Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés respectivement le 12 avril 2018 et le 4 octobre 2018, la société CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE DE RHONE-ALPES, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1° d'annuler le jugement attaqué ;
2° de prononcer la décharge des droits litigieux ;
3° à titre subsidiaire, de poser à la Cour de Justice de l'Union Européenne une question préjudicielle tendant à savoir si l'exonération prévue à l'article 135, paragraphe 1, sous d), de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 pour les opérations concernant les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements, créances, s'applique aux actes réalisés par un établissement financier au vu des actes de saisie par le Trésor public français dont font l'objet ses clients. En particulier : lorsque la banque dépositaire du fonds de son client a accompli son obligation légale qui consiste dans le blocage du compte de son client, le calcul du montant disponible et, le cas échéant, le paiement au profit du Trésor, réalise-t-il un service de recouvrement au profit du Trésor distinct de celui de tenue de compte et de paiement réalisé au profit de son client ; à cet égard, le fait que la banque opère en vertu d'une obligation légale a-t-il une incidence ' Dans l'affirmative, le fait que la loi nationale prévoit que la banque est un débiteur de substitution et doit verser au Trésor public les sommes en lieu et place de clients défaillants a-t-il une importance '
4° et de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à la suite de l'émission d'un avis à tiers détenteur, un établissement bancaire devient débiteur de substitution à l'égard du Trésor en vertu des articles L 262 et suivants du livre des procédures fiscales ;
- les diligences accomplies en pareil cas par l'établissement sont imposées par la loi ;
- les sommes perçues par l'établissement bancaire en cas d'avis à tiers détenteur n'ont pas de lien direct avec une prestation de services entrant dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée ;
- l'établissement ne rend pas un service individualisé à son client ;
- les frais bancaires en cas d'avis à tiers détenteur présentent le caractère d'une indemnisation d'un préjudice subi par la banque du fait des diligences nécessaires à l'exécution de ses obligations légales ;
- à titre subsidiaire, à supposer que les frais perçus constituent la contrepartie d'une prestation de services, elle bénéficie de l'exonération de taxe prévue à l'article 261 C 1° C du code général des impôts.
Vu 2) sous le n° 18VE01279, la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE DE RHONE-ALPES a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre des périodes correspondant aux années 2013, 2014 et 2015.
Par un jugement n°1706928 en date du 8 mars 2018, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés respectivement le 16 avril 2018 et le 4 octobre 2018, la société CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE DE RHONE-ALPES, représentée par Me A..., demande à la Cour, par les mêmes moyens que sous la requête n°18VE01239 :
1° d'annuler le jugement attaqué ;
2° de prononcer la décharge des droits litigieux
3° à titre subsidiaire, de poser à la Cour de Justice de l'Union Européenne la question préjudicielle tendant à savoir si l'exonération prévue à l'article 135, paragraphe 1, sous d), de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 pour les opérations concernant les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements, créances, s'applique aux actes réalisés par un établissement financier au vu des actes de saisie par le Trésor public français dont font l'objet ses clients. En particulier : lorsque la banque dépositaire du fonds de son client a accompli son obligation légale qui consiste dans le blocage du compte de son client, le calcul du montant disponible et, le cas échéant, le paiement au profit du Trésor, réalise-t-il un service de recouvrement au profit du Trésor distinct de celui de tenue de compte et de paiement réalisé au profit de son client ; à cet égard, le fait que la banque opère en vertu d'une obligation légale a-t-il une incidence ' Dans l'affirmative, le fait que la loi nationale prévoit que la banque est un débiteur de substitution et doit verser au Trésor public les sommes en lieu et place de clients défaillants a-t-il une importance '
4° et de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code des procédures civiles d'exécution ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Soyez, président-assesseur ;
- et les conclusions de M. Chayvialle, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes n° 18VE01239 et n°18VE01279 concernent la taxe sur la valeur ajoutée qui a été réclamée à la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE RHONE-ALPES au titre d'années successives. Il a y lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. A la suite de vérifications de comptabilité de la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE RHONE-ALPES au titre des périodes correspondant, d'une part, aux années 2010, 2011 et 2012, d'autre part, aux années 2013, 2014 et 2015, l'administration a notifié à la banque des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, motif pris que les frais payés par ses clients au titre des diligences effectuées en exécution d'avis à tiers détenteur, entraient dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée. Elle relève appel, sous le n°18VE01239, du jugement n° 1706926/27 en date du 15 février 2018, par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande en décharge des droits relatifs à la première période, et, sous le n° 18VE01279, du jugement n°1706928 en date du 8 mars 2018, par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande en décharge des droits relatifs à la seconde période.
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
3. D'une part, aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts, qui transpose l'article 2, paragraphe 1 sous a) de la directive visée ci-dessus du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ". Il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, qu'une prestation de services n'est effectuée à titre onéreux et n'est dès lors taxable que s'il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire.
4. En vertu des dispositions de l'article L. 262 du livre des procédures fiscales, les établissements teneurs des comptes bancaires de redevables d'imposition sont tenus, sur la demande qui leur en est faite sous forme d'avis à tiers détenteur notifié par le comptable chargé du recouvrement, de verser, aux lieu et place des redevables, les fonds qu'ils détiennent à concurrence des impositions dues par ces derniers. Conformément aux articles 47 et 47-1 de la loi du 9 juillet 1991 relative aux procédures civiles d'exécution alors en vigueur, désormais codifiés aux articles L. 262-1 et L. 262-2 du code des procédures civiles d'exécution, l'établissement auquel est notifié un avis à tiers détenteur doit déclarer au comptable le solde des comptes au jour de la saisie, procéder au blocage des sommes laissées en dépôt pendant un délai de quinze jours afin de dénouer les opérations en cours, puis procéder au versement des sommes dues au Trésor public dans la limite des fonds disponibles et sous réserve de laisser à la disposition du redevable une somme à caractère alimentaire. Et aux termes de l'article 43 de la même loi du 9 juillet 1991 alors en vigueur, désormais codifié à l'article L. 211-2 du code des procédures civiles d'exécution, et rendu applicable aux avis à tiers détenteur par l'article L. 263 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction alors en vigueur : " L'acte de saisie emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie disponible entre les mains du tiers ainsi que de tous ses accessoires. Il rend le tiers personnellement débiteur des causes de la saisie dans la limite de son obligation ".
5. D'une part, l'obligation pour la banque d'accomplir les opérations décrites ci-dessus ne découle pas d'un rapport juridique entre la banque et son client sur le fondement duquel des prestations réciproques sont échangées, mais de la demande qui lui est faite sous la forme d'avis à tiers détenteur par le comptable chargé du recouvrement, sans que le client puisse être regardé comme tirant un avantage de ces opérations. Par suite, les frais prévus par la convention de compte conclue avec le client ne sauraient davantage s'analyser comme la rémunération de ces opérations.
6. D'autre part, il résulte des dispositions analysées au point 4 que l'avis à tiers détenteur rend la banque personnellement débitrice des sommes dues au Trésor public par son client, dans la limite des fonds disponibles sur les comptes de ce dernier et sous réserve de laisser à sa disposition une somme à caractère alimentaire. Dans ces conditions, les opérations décrites au même point, accomplies par la banque à la réception d'un avis à tiers détenteur, qui ont pour seul objet le paiement d'une créance dont elle est personnellement redevable, ne constituent pas non plus des prestations de services accomplies au bénéfice du Trésor public.
7. Par suite, les frais facturés par la banque pour l'exécution d'avis à tiers détenteur mis par un comptable du Trésor ne sont pas soumises à la taxe sur la valeur ajoutée en application des dispositions du I de l'article 256 du code général des impôts.
8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer pour soumettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, que la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE RHONE-ALPES est fondée à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande en décharge des droits de taxe sur la valeur ajoutée et à en obtenir la décharge.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. En l'absence de chiffrage, les conclusions de la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE RHONE-ALPES tendant à l'application des dispositions de cet article ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE RHONE-ALPES est déchargée des droits de taxe sur la valeur ajouté litigieux.
Article 2 : Les jugements du Tribunal administratif de Montreuil n°s 1706926,1706927 en date du 15 février 2018 et n° 1706928 en date du 8 mars 2018 sont annulés.
Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.
2
N°s18VE01239, 18VE01279