Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 11 décembre 2018, le PREFET DE L'ESSONNE demande à la Cour d'annuler le jugement attaqué.
Le PREFET DE L'ESSONNE soutient que :
- le signataire des actes attaqués avaient compétence à cet effet ;
- les articles 4 et 5 du règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013 n'ont pas été méconnus, l'intéressée ayant reçu les deux brochures d'information, ayant signé le compte-rendu d'entretien et l'entretien ayant été mené par une personne qualifiée au sens du droit national ;
- la décision de transfert est suffisamment motivée ;
- l'assignation à résidence est suffisamment motivée ;
- l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne n'a pas été méconnu ;
- l'article 8 de la CEDH n'a pas été méconnu ;
- l'état de santé de l'intéressée ne s'oppose pas à la prise en charge de sa demande d'asile par l'Italie ;
- ni l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni l'article 17 du règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013 n'ont été méconnus.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Beaujard, président,
- les observations de Me Dussaut, avocat du PREFET DE L'ESSONNE.
Considérant ce qui suit :
1. Le PREFET DE L'ESSONNE relève appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Versailles a annulé l'arrêté du 17 octobre 2018 par lequel il a décidé le transfert aux autorités italiennes de Mme D...pour l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour assignant à résidence Mme D...pour une durée de quarante-cinq jours.
Sur la demande d'admission à l'aide juridictionnelle à titre provisoire :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence, sous réserve de l'appréciation des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président (...) ".
3. Eu égard aux circonstances de l'espèce, il y a lieu de prononcer, en application des dispositions précitées, l'admission provisoire de Mme D...au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Sur le moyen d'annulation retenu par le Tribunal administratif :
4. Aux termes de l'article 53-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 : " La République peut conclure avec les États européens qui sont liés par des engagements identiques aux siens en matière d'asile et de protection des Droits de l'homme et des libertés fondamentales, des accords déterminant leurs compétences respectives pour l'examen des demandes d'asile qui leur sont présentées. Toutefois, même si la demande n'entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ". Aux termes du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013: " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes de l'article 17 de ce règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". Et aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
5. L'Italie est un État membre de l'Union européenne, partie à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complété par le protocole de New York, et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet État membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En se bornant à critiquer de façon générale les difficultés des autorités italiennes face à l'afflux de migrants, constatées notamment par des articles de presse ou par des informations provenant d'organisations non gouvernementales, Mme D...ne démontre pas qu'il existerait une défaillance systémique en Italie et que son transfert vers ce pays l'exposerait à des traitements inhumains ou dégradants, que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la faculté que lui accorde l'article 17 précité, ou en ne faisant pas application de l'article 53-1 de la Constitution.
6. Il résulte de ce qui précède que le PREFET DE l'ESSONNE est fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé son arrêté du 23 octobre 2018 au motif que l'Italie connaitrait des défaillances systémiques.
7. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige, par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soutenus par Mme D...devant le Tribunal administratif de Versailles.
Sur la légalité de l'arrêté contesté portant transfert aux autorités italiennes :
8. En premier lieu, Mme B...A..., directrice de l'immigration et de l'intégration et signataire des décisions attaquées, bénéficiait d'une délégation de signature du PREFET DE L'ESSONNE en date du 3 octobre 2018, régulièrement publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture, à l'effet de signer, pour les matières relevant de ses attributions, tous arrêtés, actes, décisions, pièces et correspondances à l'exception de certains actes au nombre desquels ne figurent pas les décisions en litige. Dès lors, le moyen tiré de ce que les décisions attaquées auraient été signées par une autorité incompétente manque en fait et doit être écarté ;
9. En deuxième lieu, la décision de transfert aux autorités italiennes de Mme D... mentionne que celle-ci est entrée irrégulièrement sur le territoire français et s'y est maintenue sans être munie des documents et visa exigés par les textes en vigueur, que les autorités italiennes, saisies le 12 juillet 2018 d'une demande de prise en charge en application de l'article 13-1 du règlement CE n° 604/2013 susvisé ont accepté leur responsabilité par accord implicite du 12 septembre 2018 en application des articles 22-7 du règlement n° 604/2013, que ces autorités ont été informées par télécopie du 12 septembre 2018 en application de l'article 10 du règlement CE n° 1560/2003 susvisé modifié par le règlement n° 118/2014, que l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de l'intéressée ne relevait pas des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement n° 604/2013, que la décision ne portait pas une atteinte disproportionnée au respect à son droit au respect de sa vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, enfin que Mme D...n'établissait pas l'existence de risques personnels constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités italiennes. Elle est par suite suffisamment motivée. De même, la décision portant assignation à résidence est suffisamment motivée en fait et en droit. Le moyen tiré du défaut de motivation de ces deux décisions doit dès lors être écarté.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : / a) des objectifs du présent règlement (...) / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ".
11. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tous cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature desdites informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
12. Il ressort des pièces du dossier que Mme D...s'est vu délivrer, le 2 juillet 2018, les deux brochures d'information dites " A " (J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - Quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande d'asile ') et " B " (Je suis sous procédure Dublin - Qu'est-ce que cela signifie '), sur lesquelles elle a apposé sa signature. Ainsi, l'intéressée n'est pas fondée à soutenir que les dispositions de l'article 4 du règlement précité auraient été méconnues.
13. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement susvisé (UE) n° 604/2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...). 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. ".
14. Il ressort des pièces versées au dossier que Mme D...a bénéficié d'un entretien individuel avec un agent de la préfecture du Val-d'Oise, ainsi qu'en atteste sa signature sur le compte-rendu de l'entretien. Mme D...n'apporte aucun élément de nature à établir que l'entretien n'a pas été mené par une personne qualifiée au sens des dispositions nationales. Aucune disposition n'impose la mention sur le compte rendu de l'entretien individuel prévu à l'article 5 précité de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien. Notamment, ce compte-rendu ne saurait être regardé comme une correspondance au sens de l'article L.111-2 du code des relations entre le public et l'administration. Dès lors, l'agent qui a établi ce résumé n'était pas tenu d'y faire figurer ses prénom, nom, qualité et adresse administrative. En conséquence, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 ne peut être accueilli.
15. En cinquième lieu, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. 2. Ce droit comporte notamment : le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ". Ce droit n'implique pas systématiquement l'obligation, pour l'administration, d'organiser, de sa propre initiative, un entretien avec l'intéressé, ni même d'inviter ce dernier à produire ses observations, mais suppose seulement que, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, il soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de solliciter un entretien pour faire valoir ses observations orales. Une atteinte à ce droit n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle la décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision, ce qu'il lui revient, le cas échéant, d'établir devant la juridiction saisie.
16. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressée a eu la possibilité de faire valoir ses observations lors de l'entrevue du 2 juillet 2018. Par ailleurs, elle ne fait pas état d'éléments de nature de nature à influer sur le sens des décisions litigieuses, qu'elle n'aurait pas été mise à même de produire. Dès lors, elle n'est pas fondée à soutenir que le PREFET DE L'ESSONNE l'aurait privée du droit d'être entendu que garantissent les principes généraux du droit de l'Union européenne.
17. En sixième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
18. Il ressort des pièces du dossier que Mme D...est célibataire, que ses deux enfants résident au Cameroun, qu'elle n'a aucun membre de sa famille en France, et n'y a fait preuve d'aucune insertion.
19. En septième lieu, si Mme D...se plaint de divers problèmes de santé, notamment d'être affectée d'une cataracte, ou de devoir se déplacer avec une canne, aucune de ces circonstances ne sont de nature à faire obstacle à la mise en oeuvre des deux arrêtés litigieux.
20. En huitième lieu, si Mme D...a soutenu oralement, lors de l'audience devant le Tribunal administratif de Versailles que le relevé Eurodac la concernant contenait une erreur, elle n'apporte aucun élément de nature à établir ce fait, ou à établir qu'il aurait eu une influence quelconque sur le choix de l'Italie comme pays de renvoi.
21. En dernier lieu, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que Mme D...n'est pas fondée à soutenir que la décision l'assignant à résidence est dépourvue de base légale du fait de l'illégalité de la décision de transfert vers l'Italie.
22. Il résulte de tout ce qui précède que le PREFET DE L'ESSONNE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Versailles a annulé ses deux arrêté du 17 octobre 2018. Il y a lieu de rejeter la demande de Mme D... devant le Tribunal administratif de Versailles, ainsi que ses conclusions en appel tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'aide juridictionnelle provisoire est accordée à MmeD....
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Versailles du 23 octobre 2018 est annulé.
Article 3 : La demande de Mme D...devant le Tribunal administratif de Versailles, ainsi que ses conclusions en appel tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
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N° 18VE04108