Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 21 décembre 2017, le PREFET DES HAUTS-DE-SEINE demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de rejeter la requête de M.A....
Le préfet des Hauts-de-Seine soutient que :
- l'arrêté portant transfert aux autorités italiennes était suffisamment motivé ;
- les moyens de première instance ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Vergne a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que M.A..., ressortissant soudanais, né le 1er août 1992 et entré en France le 12 février 2017, a présenté, le 20 avril 2017, une demande d'admission au séjour au titre de l'asile à la préfecture des Hauts-de-Seine ; que la consultation du fichier Eurodac a établi que ses empreintes digitales, relevées lors de cette demande, l'avaient déjà été par les autorités italiennes le 2 septembre et le 20 octobre 2016 ; qu'après un entretien individuel mené le 20 avril 2017 avec l'intéressé, les services de la préfecture ont saisi ces autorités, le 16 mai 2017 d'une demande de reprise en charge qui a été acceptée le 1er juin 2017 ; que le PREFET DES HAUTS-DE-SEINE, par un arrêté du 30 octobre 2017, notifié le même jour, a ordonné le transfert de M. A...vers l'Italie ; qu'il relève appel du jugement en date du 22 novembre 2017 par lequel le magistrat désigné du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cet arrêté ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; / (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision " ;
3. Considérant que la décision de transfert en litige vise la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la convention de Genève ainsi que les règlements de l'union européenne et les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatifs aux demandes d'asile ; qu'elle précise notamment que la comparaison des empreintes digitales de M. A...au moyen du système " Eurodac " a permis de constater que l'intéressé avait sollicité l'asile en Italie le 20 octobre 2016 ; qu'elle mentionne également que les autorités italiennes, saisies le 16 mai 2017 d'une demande de reprise en charge en application de l'article 18.1 b) du règlement (UE) n° 604/2013, correspondant au cas d'un demandeur d'asile ayant déposé une demande de protection internationale en cours d'instruction dans un autre Etat membre, ont accepté cette demande par accord implicite du 1er juin 2017 ; qu'elle indique ainsi clairement le motif pour lequel l'Italie a été retenue comme Etat responsable du traitement de la demande d'asile, à savoir que ce pays est celui où a été déposé une première demande de protection internationale ; que, par ailleurs, elle mentionne que la situation de l'intéressé ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 et 17-2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et que M. A..., célibataire, ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France, et " n'établit pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités de l'Etat responsable de sa demande d'asile " ; que cette motivation est suffisante, en droit comme en fait, et révèle un examen suffisant de la situation personnelle particulière de l'intéressé ; que si le premier juge a accueilli le moyen tiré de ce que la décision n'énonce pas le critère ayant permis de déterminer l'Etat responsable de la demande de M.A..., la référence à l'article 18.1 b) du règlement déjà mentionné permet en tout état de cause d'en déduire, implicitement mais nécessairement, qu'il s'agit de l'Etat où la première demande d'asile de l'intéressé a été déposée ; que le moyen tiré du défaut de motivation ne peut ainsi être accueilli ; que, par suite, c'est à tort, ainsi que le soutient le PREFET DES HAUTS-DE-SEINE, que le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise s'est fondé, pour annuler l'arrêté litigieux, sur le moyen tiré de l'insuffisance de motivation ;
4. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A...devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;
5. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé " ;
6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, que M. A...a bénéficié d'un entretien individuel le 20 avril 2017, lors du dépôt de sa demande d'asile, visant à faciliter la détermination de l'Etat membre responsable de sa demande d'asile ; qu'il ressort du compte-rendu de cet entretien qu'il a pu faire valoir ses observations, dont il a attesté par sa signature le caractère exact ; que s'il en ressort également que cet entretien n'a duré que 10 minutes, le requérant n'établit ni même n'allègue que cette durée aurait été insuffisante du fait qu'il avait d'autres éléments précisés à porter à la connaissance de son interlocuteur ; que s'il fait valoir qu'il n'a pas bénéficié du concours d'un traducteur, le compte rendu de l'entretien porte mention que celui-ci s'est déroulé, ainsi que le prévoient les dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, avec l'assistance d'un interprète en arabe, langue qu'il a déclaré comprendre, mandaté par l'association " ISM interprétariat ", laquelle bénéficie d'un agrément ministériel aux fins d'interprétariat et de traduction et présente ainsi des garanties suffisantes ; que les renseignements recueillis et consignés sur ce document signé par l'intéressé sont précis et complets, notamment en ce qui concerne sa situation personnelle et familiale, les Etats d'Afrique et de l'Union européenne qu'il a successivement traversés, la présence éventuelle de membres de sa famille en France ou en Europe, la durée de séjour en Italie avant de rejoindre la France, l'existence éventuelle de demandes déposées dans un autre pays ; que le requérant ne fait état d'aucune erreur dans ces informations, ni d'aucune observation qu'il aurait été privé de la possibilité de transmettre, du fait de problèmes de compréhension, pour la détermination du pays où il pourrait être renvoyé, ni d'aucune explication sur la procédure Dublin qu'il n'aurait pas pu obtenir lors de cet entretien du fait de difficultés linguistiques ; que, dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée a été prise au terme d'une procédure irrégulière ; que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit, par suite, être écarté ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 précise que " 1. L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre... " ; qu'aux termes de l'article 23 de ce règlement : " 1. Lorsqu'un État membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre État membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne (...) " ; que si l'arrêté du 30 octobre 2017 mentionne de manière erronée que " les autorités italiennes ont accepté leur responsabilité (...) en application des articles 22 et 25 du règlement UE n° 604/2013 ", il est clairement fondé, selon ses termes mêmes, sur une " demande de reprise en charge en application de l'article 18 paragraphe 1 point b) " de ce règlement, relevant de la mise en oeuvre des articles 23 à 25 dudit règlement, concernant la procédure de reprise en charge, et non des articles 21 et 22 ; que, par suite, le moyen tiré par le requérant de ce que l'arrêté litigieux serait entaché d'un défaut de base légale au motif qu'il a été pris sur le fondement de l'article 22 dudit règlement au lieu de l'article 23 ne peut qu'être écarté ;
8. Considérant, en troisième lieu, que M. A...soutient que les dispositions des articles 18, 23 et 25 du règlement (UE) n° 604/2013 ne lui étaient pas applicables, dès lors qu'il n'a jamais effectué de demande de protection internationale en Italie ; que, toutefois, il est suffisamment établi, d'une part, par l'édition du résultat de la consultation par l'administration du fichier " Eurodac ", révélant l'enregistrement de M. A...en Italie le 20 octobre 2016, sous le n° IT 1 BR00WKH, donc dans la " catégorie 1 ", définie par le point 4 de l'article 24 du règlement (UE) n° 603/2013 comme correspondant aux demandeurs d'asile, et, d'autre part, par la circonstance que l'Italie, requise aux fins d'une reprise en charge de l'intéressé sur le fondement de l'article 18 paragraphe 1 point b) du règlement applicable, a implicitement admis sa compétence, que M. A...a effectivement effectué une demande d'asile en Italie, bien qu'il ait dissimulé cette démarche à l'autorité administrative française au cours de son entretien individuel du 20 avril 2017 ; que, par suite, le moyen par le requérant tiré de ce que les dispositions précitées fondant la décision litigieuse n'étaient pas applicables à sa situation ne peut qu'être écarté ;
9. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes des dispositions de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ;
10. Considérant que l'Italie étant membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que cette présomption est toutefois réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant ; que dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités italiennes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile ;
11. Considérant qu'il ne ressort pas des pièces produites par l'intéressé que la situation générale en Italie ne permettrait pas d'assurer, à la date à laquelle la décision du 30 octobre 2017 en litige a été prise, un niveau de protection suffisant aux demandeurs d'asile, ni que ce pays exposerait le requérant à un risque personnel de traitement inhumain ou dégradant ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la décision en litige aurait été prise en méconnaissance des dispositions de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;
12. Considérant, en cinquième lieu, qu'aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) / 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit (...) " ;
13. Considérant qu'il ressort des termes mêmes de la décision contestée que le PREFET DES HAUTS-DE-SEINE a examiné s'il y avait lieu de faire application des dispositions de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 avant de retenir l'Italie comme Etat responsable de la demande d'asile de M.A... où celui-ci devait être transféré ; que, compte tenu notamment de ce qui a été dit au point 11, et alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la demande d'asile de M. A...ne serait pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait méconnu les dispositions précitées de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 ; que ce moyen doit être écarté ;
14. Considérant, en dernier lieu, que M. A...est célibataire et dépourvu de famille en France ; que s'il a fait valoir devant le magistrat délégué du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise qu'il y bénéficie d'un suivi psychologique et d'un traitement médical et que son état de santé risque de s'aggraver en cas de transfert vers l'Italie, cette affirmation n'est assortie d'aucun document justificatif ; qu'eu égard aux conditions et à l'ancienneté de son séjour en France et eu égard à ce qui a été dit ci-dessus aux points 10 à 13, le moyen tiré de ce que le PREFET DES HAUTS-DE-SEINE aurait commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation en prenant à son encontre un arrêté de transfert aux autorités italiennes ne peut être accueilli ;
15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le PREFET DES HAUTS-DE-SEINE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé son arrêté du 30 octobre 2017 portant transfert de M. A...aux autorités italiennes ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1710140 du 22 novembre 2017 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A...devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est rejetée.
N° 17VE03944 2