Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 février 2017 et 4 décembre 2017, la société Deutsche Bank AG, représentée par Me Rontani et Me Foucher, avocats, demande à la cour :
1° d'annuler le jugement attaqué ;
2° de prononcer la décharge de ces impositions ;
3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'exclusion des primes payées au titre des contrats d'option, pour le calcul des " gains non encore imposés " au sens des dispositions du 3° du 6 de l'article 38 du code général des impôts, constitue une violation de ces dispositions qui limitent la déduction de certaines pertes par référence aux " gains non encore imposés " et non par rapport aux variations de valeur ;
- une telle exclusion aboutit à un résultat absurde économiquement, la position de l'administration revenant à refuser la déduction d'une provision, économiquement justifiée, au prétexte d'un gain futur, alors même que ce gain futur n'existe ni d'un point de vue économique ni d'un point de vue fiscal ;
- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, la notion de perte implique d'établir un bilan prévisionnel, décliné opération par opération pour respecter les dispositions du 3° du 6 de l'article 38 du code général des impôts et intégrant les coûts, lesquels correspondent, dans le cas d'une option, aux primes payées ;
- la doctrine administrative, elle-même, intègre le montant de la prime pour déterminer les gains ou les pertes sur les contrats d'option ;
- l'interprétation faite par le tribunal des travaux parlementaires constitue une dénaturation délibérée de ces documents ;
- les références au traitement comptable constituent une violation de la jurisprudence du Conseil d'État s'agissant d'appliquer des dispositions anti-abus dont la portée est exclusivement fiscale.
Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'Etat :
Par des mémoires, enregistrés les 2 mars 2020 et 16 septembre 2020, la société Deutsche Bank AG, représentée par Me Rontani et Me Foucher, avocats, demande, à la cour :
1° d'annuler le jugement attaqué ;
2° de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale sur cet impôt et des intérêts de retard mis a` sa charge au titre de l'exercice 2010, à hauteur de la somme de 69 953 283 euros ;
3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- quel que le soit le traitement fiscal retenu au titre des primes d'option, elle a subi une surimposition au titre de l'exercice 2010, à raison de la fiscalisation à l'échéance de la prime d'option ; elle est, par suite, fondée à demander le bénéfice de la compensation prévue par les dispositions de l'article L. 205 du livre des procédures fiscales ;
- procéder à la déduction des primes d'option au titre des charges de l'exercice de débouclage des options déroge au droit comptable et n'est fondé sur aucun texte ;
- en procédant à la déduction des primes d'option au titre des charges de l'exercice de débouclage des options, l'administration méconnaît les principes généraux de déduction des charges, qui supposent une déduction au titre de l'exercice au cours duquel elles sont exposées ;
- au lieu de procéder à une fiscalisation de la prime d'option à l'échéance, il y aurait lieu de la déduire des résultats au titre de l'exercice au cours duquel la prime a été payée, en appliquant les principes généraux de déduction des charges ou au couru, s'il y a lieu de considérer que le contrat d'option donne lieu à une prestation continue ; ce traitement fiscal de la prime d'option aurait le mérite d'aligner le traitement fiscal sur le traitement comptable retenu par la société Deutsche Friedland SAS.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le décret n° 2020-1404 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bobko,
- les conclusions de M. Met, rapporteur public,
- et les observations de Me Foucher, pour la société Deutsche Bank AG.
Considérant ce qui suit :
1. La société Deutsche Bank AG est la société mère d'un groupe fiscalement intégré comprenant la société Deutsche Friedland SAS. Cette dernière réalisait une activité d'arbitrage financier dans le cadre de laquelle elle était amenée à détenir des actions et leurs dérivés, caractérisant des positions symétriques au sens du 3° du 6 de l'article 38 du code général des impôts. A l'issue d'une vérification de comptabilité, le service a remis en cause le calcul fait par la société Deutsche Friedland SAS du montant des pertes déductibles sur de telles positions au titre de l'exercice 2010, dès lors qu'elle a pris en compte, pour le calcul des gains non encore imposés sur les positions prises en sens inverse, le montant des primes versées lors de la souscription des contrats d'option. Le service a ainsi remis en cause la déduction extra comptable d'une provision pour pertes latentes d'un montant de 250 738 449 euros au titre de l'exercice clos en 2010 et sa réintégration au titre de l'exercice suivant. Saisi par la société, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale sur cet impôt et des intérêts de retard mis à sa charge à l'issue de ce contrôle, au titre de l'exercice clos en 2010, à hauteur de la somme de 69 953 283 euros. Sur appel de la société, la cour administrative d'appel de Versailles a, par un arrêt n° 17VE00442, annulé ce jugement et prononcé la décharge demandée. Par une décision n° 431066 du 19 décembre 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux et saisi par le ministre de l'action et des comptes publics, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour.
Sur le bien-fondé des impositions :
2. En vertu des dispositions combinées du 1 de l'article 38 et de l'article 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature, effectuées par les entreprises. Selon le 2 de l'article 38 : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. "
3. Aux termes, toutefois, du 6 de ce même article 38 : " 1° Par exception aux 1 et 2, le profit ou la perte résultant de l'exécution de contrats à terme d'instruments financiers en cours à la clôture de l'exercice est compris dans les résultats de cet exercice ; il est déterminé d'après le cours constaté au jour de la clôture sur le marché sur lequel le contrat a été conclu. / [...] 3° Lorsqu'une entreprise a pris des positions symétriques, la perte sur une de ces positions n'est déductible du résultat imposable que pour la partie qui excède les gains non encore imposés sur les positions prises en sens inverse. / Pour l'application de ces dispositions, une position s'entend de la détention, directe ou indirecte, de contrats à terme d'instruments financiers, de valeurs mobilières, de devises, de titres de créances négociables, de prêts ou d'emprunts ou d'un engagement portant sur ces éléments. / Des positions sont qualifiées de symétriques si leurs valeurs ou leurs rendements subissent des variations corrélées telles que le risque de variation de valeur ou de rendement de l'une d'elles est compensé par une autre position, sans qu'il soit nécessaire que les positions concernées soient de même nature ou prises sur la même place, ou qu'elles aient la même durée. "
4. Il résulte des dispositions du 1° du 6 de l'article 38 du code général des impôts, relatives à l'imposition des résultats de l'exécution de contrats à terme d'instruments financiers en cours à la clôture de l'exercice et qui, expressément constitutives d'une exception, doivent être interprétées strictement, que les pertes ou profits sur contrat d'option en cours à la date de la clôture de l'exercice s'entendent de la seule marge déficitaire - pour le vendeur de l'option - ou bénéficiaire - pour l'acheteur de l'option - qui résulterait de l'exercice à cette date de l'option, c'est-à-dire de l'écart négatif ou positif constaté, le jour de la clôture, entre la valeur d'exercice convenue et le cours de l'actif sous-jacent. En vue de la préservation des recettes fiscales, les dispositions du 3° de ce même 6 limitent le montant des pertes déductibles sur la position procédant de la détention de l'actif sous-jacent à leur fraction excédant les gains non encore imposés sur la position symétrique procédant de la souscription du contrat d'option. Pour l'application de ces dernières dispositions, le montant des gains non encore imposés sur contrat d'option s'entend aussi de la marge bénéficiaire qui résulterait de l'exercice de l'option. Dès lors, et indépendamment du point de savoir à quel exercice doit être rattachée la charge correspondante pour l'acheteur de l'option, ce montant ne s'établit pas sous déduction de la prime versée par celui-ci en contrepartie de l'acquisition de l'option. Par suite, en remettant en cause la distraction des marges bénéficiaires latentes des primes payées au titre des contrats d'options, pour leur montant au couru, au titre de l'exercice 2010, le service vérificateur n'a pas méconnu les dispositions du 3° du 6 de l'article 38 du code général des impôts.
Sur la demande de compensation de l'appelante :
5. Aux termes de l'article L. 205 du livre des procédures fiscales : " Les compensations de droits prévues aux articles L. 203 et L. 204 sont opérées dans les mêmes conditions au profit du contribuable à l'encontre duquel l'administration effectue une rectification lorsque ce contribuable invoque une surtaxe commise à son préjudice ou lorsque la rectification fait apparaître une double imposition. ".
6. La société Deustche Bank AG soutient que la remise en cause de la déduction de la prime d'achat du montant des gains non encore imposés sur contrat d'option et le rehaussement qui en est résulté, a pour effet de créer une surtaxe, dès lors que ladite prime d'achat aurait dû être déduite au titre de ses charges, au cours de l'exercice 2010, et qu'elle est, par suite, en droit de demander, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 205 du livre des procédures fiscales, la compensation entre le rehaussement dont elle a fait l'objet et l'inscription au titre des dépenses déductibles du montant de la prime d'option acquitté en 2010.
7. La prime acquittée en contrepartie de l'acquisition d'une option rémunère le seul engagement pris par le vendeur de l'option et son montant, versé intégralement au cours de l'exercice où la promesse est accordée, n'est pas susceptible d'être révisé au cours du contrat, que l'option soit ou non exercée. La prime d'option acquittée est, dès lors, certaine dans son principe et son montant dès l'exercice de conclusion du contrat. Par suite les frais exposés à ce titre par la requérante se rattachent, en application du principe de spécialité des exercices, à l'exercice au cours duquel cette prime est payée. En outre, ce n'est que postérieurement aux années en litige, soit 2010 et 2011, que l'article 628-12 du règlement de l'autorité des normes comptables n° 2015-05, entré en vigueur au 1er janvier 2017, a disposé que : " Les primes d'option peuvent être étalées dans le compte de résultat sur la période de couverture ". La société, qui justifie ainsi d'une surtaxe commise à son détriment, est fondée à demander la compensation entre l'imposition résultant de la déduction du montant de la prime d'option qu'elle a acquittée au titre de l'année 2010, à hauteur de 1 035 842 831 euros, de son résultat imposable et la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés mise à sa charge.
Sur la demande de compensation du ministre :
8. Aux termes de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés e les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande. ".
9. En soutenant, à titre subsidiaire, qu'il y a lieu de tenir compte de ce que les primes d'option dont la société Deutsche Bank demande la déduction au titre de l'exercice 2010, ont été déduites au cours de l'exercice 2011, le ministre doit être regardé comme demandant le bénéfice de la compensation prévue par les dispositions de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales. Toutefois, une telle demande, qui porte sur deux années d'imposition différentes, ne peut qu'être rejetée.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Deutsche Bank AG est seulement fondée à demander la réduction de sa base d'imposition au titre de l'exercice 2010 à hauteur de de la déduction du résultat de cet exercice de la somme de 1 035 842 831 euros correspondant au montant des primes sur contrats d'option acquittées au titre de l'année 2010, et la réduction des impositions supplémentaires mises à sa charge qui en résulte. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de ses frais de justice.
DECIDE :
Article 1er : Les bases d'imposition de la Deutsche Bank à l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice 2010 sont réduites à hauteur de la somme de 1 035 842 831 euros.
Article 2 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la société Deutsche Bank a été assujettie au titre de l'exercice 2010 sont réduites dans une proportion correspondant à la réduction de ses bases d'imposition énoncée à l'article 1er.
Article 3 : Le surplus de la requête de la Deutsche Bank est rejeté.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Montreuil n° 1506591 du 15 décembre 2016 est réformé en ce qu'il y a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : L'Etat versera à la société Deustche Bank AG une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Deutsche Bank AG et au ministre de
6
N° 19VE04194