Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les observations de M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant pakistanais né le 8 novembre 1994, entré irrégulièrement en France, a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile auprès de la préfecture du Val-d'Oise le 12 octobre 2018. La consultation du fichier Eurodac ayant révélé que ses empreintes digitales avaient été enregistrées en Italie le 24 août 2018, le préfet du Val-d'Oise a saisi les autorités italiennes d'une demande de prise en charge. Par arrêté du 15 mars 2019, il a constaté l'accord implicite de ces autorités du 9 janvier 2019 et décidé le transfert de M. A... aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par la présente requête, le préfet du Val-d'Oise relève régulièrement appel des articles 2, 3 et 4 du jugement par lesquels le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, après avoir à l'article premier admis M. A... provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle, a annulé cet arrêté, lui a enjoint de délivrer à M. A... une attestation de demande d'asile et a mis à la charge de l'Etat une somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : "(...)Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable.".
3. Il résulte des dispositions précitées que la présomption selon laquelle un État membre respecte les obligations découlant de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne est renversée lorsqu'il existe de sérieuses raisons de croire qu'il existe, dans " l'État membre responsable " de la demande d'asile au sens du règlement précité, des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile impliquant pour ces derniers un risque d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants.
4. D'une part, en se bornant à faire référence à différentes sources d'informations publiques, notamment des rapports d'Amnesty International sur l'Italie pour les années 2016 et 2017, du rapport de visite d'information en Italie du 2 mars 2017 du Conseil de l'Europe ainsi que du rapport de Médecins sans Frontières " Réfugiés et demandeurs d'asile en Italie : exclus des systèmes d'accueil et en danger aux frontières " du 20 février 2018, et à soutenir que l'afflux de migrants auquel est confrontée l'Italie dans la période récente a entrainé une importante dégradation des conditions d'accueil de ceux-ci, M. A... n'établit pas qu'à la date de la décision attaquée, le système d'asile italien manifestait des défaillances telles qu'une demande d'asile ne pourrait y être examinée dans des conditions conformes aux principes dégagés par la Convention de Genève. D'autre part, le requérant ne produit aucun début de justification à l'appui de ses allégations émises à la barre en première instance relatives à la mise en péril de son état de santé dans le camp de réfugiés dans lequel il séjournait en Italie et au fait qu'il aurait été livré à lui-même sans pouvoir bénéficier d'informations sur le droit d'asile. Dans ces conditions, en saisissant les autorités italiennes d'une demande de prise en charge, l'administration n'a pas méconnu les dispositions de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Le préfet du Val-d'Oise est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a annulé pour ce motif son arrêté du 15 mars 2019 ordonnant la remise de M. A... aux autorités italiennes.
5. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
6. En premier lieu, la décision de transfert à fin de prise en charge attaquée qui après avoir fait référence à l'article 13.1 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, mentionne notamment que M. A... de nationalité pakistanaise, a, au cours des douze mois ayant précédé le dépôt de sa demande d'asile en France, pénétré irrégulièrement au sein de l'espace Dublin par le biais de l'Italie et que les autorités italiennes saisies le 9 novembre 2018 d'une demande de prise en charge ont donné leur accord implicite le 9 janvier 2019, est suffisamment motivée en fait et en droit.
7. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Val-d'Oise qui, saisi par M. A... d'une demande d'asile, n'avait pas à examiner d'autre fondement d'une admission au séjour, se serait abstenu de procéder à un examen particulier de la situation personnelle de M. A....
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 29 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 " 1. Toute personne relevant de l'article 9, paragraphe 1, de l'article 14, paragraphe 1, ou de l'article 17, paragraphe 1, est informée par l'État membre d'origine par écrit et, si nécessaire, oralement, dans une langue qu'elle comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'elle la comprend : a) de l'identité du responsable du traitement au sens de l'article 2, point d), de la directive 95/46/CE, et de son représentant, le cas échéant ; b) de la raison pour laquelle ses données vont être traitées par Eurodac, y compris une description des objectifs du règlement (UE) n° 604/2013, conformément à l'article 4 dudit règlement, et des explications, sous une forme intelligible, dans un langage clair et simple, quant au fait que les États membres et Europol peuvent avoir accès à Eurodac à des fins répressives ; c) des destinataires des données ; d) dans le cas des personnes relevant de l'article 9, paragraphe 1, ou de l'article 14, paragraphe 1, de l'obligation d'accepter que ses empreintes digitales soient relevées ; e) de son droit d'accéder aux données la concernant et de demander que des données inexactes la concernant soient rectifiées ou que des données la concernant qui ont fait l'objet d'un traitement illicite soient effacées, ainsi que du droit d'être informée des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris les coordonnées du responsable du traitement et des autorités nationales de contrôle visées à l'article 30, paragraphe 1. ".
9. L'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des États membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit d'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Par suite, M. A... ne peut utilement faire valoir, pour contester la décision de transfert en litige, qu'il n'aurait pas reçu les informations concernant l'application du règlement " Eurodac ".
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 : " (...) Les États membres veillent à ce que des informations sur les personnes ou entités susceptibles de fournir une assistance juridique à la personne concernée soient communiquées à la personne concernée avec la décision visée au paragraphe 1, si ces informations ne lui ont pas encore été communiquées. / 3. Lorsque la personne concernée n'est pas assistée ou représentée par un conseil juridique ou un autre conseiller, les États membres l'informent des principaux éléments de la décision, ce qui comprend toujours des informations sur les voies de recours disponibles et sur les délais applicables à l'exercice de ces voies de recours, dans une langue que la personne concernée comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'elle la comprend. ".
11. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté litigieux qui indique les voies et délais de recours applicables ainsi que les possibilités d'être assisté d'un conseil et d'un interprète devant le tribunal, a été notifié à M. A... avec prestation téléphonique d'un interprète en langue ourdou le 15 mars 2019 à 13 heures 40. Le moyen tiré de ce que l'arrêté aurait été pris en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 26 du règlement du 26 juin 2013 doit donc en tout état de cause être écarté.
12. En cinquième lieu, le moyen tiré de ce que M. A..., n'aurait pas été transféré dans " les brefs délais recommandés " par les articles 21 à 24 du règlement Dublin III, n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.
13. En sixième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Entretien individuel : (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
14. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a bénéficié de l'entretien individuel prévu par les dispositions précitées le 12 octobre 2018. Cet entretien a été mené par un agent instructeur de la préfecture, avec l'assistance, par téléphone, d'un interprète en langue ourdou dépendant d'un organisme d'interprétariat agréé par l'administration. Le résumé de l'entretien individuel mené avec le demandeur d'asile et qui selon l'article 5 du règlement précité du 26 juin 2013 peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type, mentionne que l'entretien a été réalisé dans un endroit confidentiel et isolé du public et porte la signature de M. A... certifiant que les renseignements le concernant sont exacts et que le guide du demandeur d'asile et les informations sur les règlements communautaires lui ont été remis. Par ailleurs aucune disposition n'impose que l'agent qui établit ce résumé soit tenu d'y faire figurer sa qualité. Le moyen tiré de la violation des garanties de procédure de l'article 5 du règlement n° 604/2013 doit, par suite, être écarté.
15. En septième lieu, aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
16. M. A... qui se borne à soutenir, d'une part, que des individus l'auraient agressé en Italie, d'autre part, que les autorités italiennes pourraient le renvoyer dans son pays d'origine, n'étaye ses allégations d'aucune précision suffisante. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celui tiré de l'erreur manifeste d'appréciation de sa situation doivent être écartés.
17. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Val-d'Oise est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé l'arrêté litigieux, lui a enjoint de délivrer à M. A... une attestation de demande d'asile et a mis à la charge de l'Etat une somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 1903456 du 8 avril 2019 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au préfet du Val-d'Oise, à M. D... A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2019, à laquelle siégeaient :
M. C..., président de chambre,
Mme B..., premier conseiller
Mme Aventino-Martin, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 3 octobre 2019.
Le rapporteur,
B. B...Le président,
M. C...Le greffier,
C. RICHARD
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
Le greffier,
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N° 19VE01863