Procédure devant la Cour :
I. Par une requête, enregistrée le 27 juillet 2018, sous le n° 18VE02614, le préfet des Hauts-de-Seine, demande à la Cour de surseoir à l'exécution de ce jugement.
Le préfet des Hauts-de-Seine soutient que l'exécution du jugement attaqué, en ce qu'elle nécessite de placer M. B...en procédure normale d'asile, reviendrait à priver l'administration d'un recours effectif s'agissant de décisions prises en application d'une politique publique européenne, emportant ainsi des conséquences manifestement excessives au regard de l'intérêt général en cause.
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II. Par une requête, enregistrée le 27 juillet 2018, sous le n° 18VE02615, le préfet des Hauts-de-Seine, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de rejeter la demande présentée par M. B...devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
Le préfet des Hauts-de-Seine soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier : il est insuffisamment motivé ;
- le jugement contesté est infondé : c'est à tort que le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a retenu le moyen tiré de l'existence de risques de renvoi par l'Allemagne de M. B... en Afghanistan ; les moyens de légalité externe invoqués par le requérant à l'appui de sa demande devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.
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Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Guével a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par les requêtes n° 18VE02614 et n° 18VE02615 susvisées, le préfet des Hauts-de-Seine demande l'annulation et le sursis à exécution du même jugement du 11 juillet 2018 du magistrat désigné du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Ces requêtes ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur la requête n° 18VE02615 du préfet des Hauts-de-Seine :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le premier juge :
2. Aux termes du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...). ". Les autorités françaises doivent assurer la mise en oeuvre de cette clause dérogatoire à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution aux termes duquel " les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif. ".
3. Pour annuler la mesure de transfert aux autorités allemandes de M.B..., ressortissant afghan, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a estimé qu'" en décidant, plutôt que de l'autoriser à enregistrer sa demande en France, de transférer M. B...en Allemagne, alors que ce pays avait rejeté définitivement sa demande d'asile et eu égard aux risques de renvoi par l'Allemagne de M. B...en Afghanistan, le préfet des Hauts-de-Seine a commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des textes précités relatifs au droit de tout Etat d'examiner lui-même une demande de protection internationale, quand bien-même cette demande relèverait de la compétence d'un autre Etat ; ". Toutefois, si M. B...soutient qu'il courrait des risques personnels en cas de retour en Afghanistan du fait du concours qu'il y apporta à la coalition internationale, la mesure prononçant son transfert aux autorités allemandes n'implique pas, par elle-même, que l'intéressé soit automatiquement éloigné à destination de son pays d'origine. A cet égard, l'intéressé ne justifie pas que les autorités allemandes, qui ont certes opposé un refus à sa demande d'asile du 12 février 2016, feraient structurellement ou systématiquement obstacle à l'enregistrement et au traitement d'une nouvelle demande d'asile, ni qu'une telle demande ne serait pas examinée par ces mêmes autorités dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Dès lors, en décidant le transfert en Allemagne de M. B...le préfet des Hauts-de-Seine n'a commis aucune erreur de droit, ni aucune erreur manifeste d'appréciation.
4. Il résulte de ce qui précède que le préfet des Hauts-de-Seine est fondé, pour ce motif, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement entrepris du 11 juillet 2018, le magistrat désigné du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé l'arrêté du 7 juin 2018 pris à l'encontre de M.B....
5. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
En ce qui concerne les autres moyens de la demande présentée par M.B... :
6. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. ".
7. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du " résumé de l'entretien individuel ", et il n'est pas sérieusement contesté, que M. B...s'est vu remettre le 12 avril 2018, soit au début de la procédure d'examen de sa demande d'asile, la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' ", ainsi que la brochure B " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ". Ces documents, rédigés en langue farsi, langue que l'intéressé n'a pas déclaré ne pas comprendre, et qui ont été établis conformément aux modèles figurant à 1'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 susvisé, comprennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
8. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...). ".
9. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du " résumé de l'entretien individuel ", et il n'est pas sérieusement contesté que, lors de l'entretien individuel du 12 avril 2018, M. B... a été en mesure, avec le concours d'un interprète en langue dari et sans difficulté, de comprendre qu'il était placé en procédure dite " Dublin ", de répondre aux questions posées et de fournir ainsi toutes les informations pertinentes afin, notamment, de déterminer l'Etat membre responsable de sa demande d'asile, compte tenu notamment de son parcours, l'intéressé ayant indiqué avoir séjourné notamment en Allemagne où il est débouté du droit d'asile, avant de gagner la France. En outre, aucune pièce du dossier ne permet de supposer que cet entretien n'a pas été conduit par une " personne qualifiée en vertu du droit national " au sens des dispositions, mentionnées au point 8, de l'article 5 (5°) du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
10. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Pour les motifs exposés au point 3 et dans la mesure où M. B...n'établit pas, en tout état de cause, qu'il serait réellement exposé à des risques actuels de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Afghanistan, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la demande présentée par M. B...devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise doit être rejetée.
Sur la requête n° 18VE02614 du préfet des Hauts-de-Seine :
12. Dans la mesure où il est statué sur la requête n° 18VE02615 du préfet des Hauts-de-Seine tendant à l'annulation du jugement attaqué du 11 juillet 2018 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, sa requête n° 18VE02614 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement est privée d'objet. Il n'y a pas lieu d'y statuer.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le jugement du 11 juillet 2018 du magistrat désigné du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise doit être annulé, tandis que la demande présentée par M. B...devant ce tribunal doit être rejetée.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 18VE02614 présentée par le préfet des Hauts-de-Seine.
Article 2 : Le jugement n° 1805683 du 11 juillet 2018 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.
Article 3 : La demande présentée par M. B...devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est rejetée.
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N° 18VE02614...