Procédure devant la Cour :
I) Par une requête n°19VE02819, enregistrée le 2 août 2019, le PREFET DE LA SEINE-SAINT-DENIS demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de rejeter la demande de M. D... présentée devant le Tribunal administratif de Montreuil.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues ; M. D... n'établit pas sa résidence habituelle en France de 2008 à mai 2012 puis de mai 2013 à mai 2016 et ne justifie pas d'une intégration professionnelle suffisante ; il n'établit pas le caractère effectif, ancien et intense de sa communauté de vie avec la mère de ses filles ;
- le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte manque en fait ;
- la commission du titre de séjour n'avait pas à être saisie, dès lors que M. D... n'apporte pas d'éléments suffisamment probants pour justifier d'une présence réelle et continue en France depuis plus de dix ans ;
- en estimant que la demande d'admission exceptionnelle au séjour de M. D... ne répondait pas à des considérations humanitaires et ne se justifiait pas davantage au regard de motifs exceptionnels, il n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision de refus de séjour étant légale, la décision portant obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de renvoi sont également légales ;
- la décision d'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans se justifie par la soustraction de l'intéressé à une première mesure d'éloignement prise par le préfet de police de Paris le 29 juillet 2008 ;
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II) Par une requête n°19VE02820, enregistrée le 2 août 2019, le PREFET DE LA SEINE-SAINT-DENIS demande à la Cour de prononcer le sursis à exécution du jugement rendu le 2 juillet 2019 par le Tribunal administratif de Montreuil.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que l'arrêté méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les conséquences de l'exécution du jugement attaqué seraient difficilement réparables ;
- les dispositions des articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative trouvent à s'appliquer.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme F... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le PREFET DE LA SEINE-SAINT-DENIS, par sa requête n° 19VE02819, fait appel du jugement n° 1900372 du 2 juillet 2019 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a fait droit à la demande de M. D..., ressortissant turc né le 13 janvier 1956, tendant à l'annulation de l'arrêté du 11 décembre 2018 refusant de lui délivrer un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixant le pays dont il a la nationalité comme pays de renvoi et assortissant cette mesure d'une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans. Par sa requête n° 19VE02820, le PREFET DE LA SEINE-SAINT-DENIS demande, en outre, à la Cour, de prononcer le sursis à exécution du même jugement. Il y a lieu de joindre ces deux requêtes pour qu'elles fassent l'objet d'un même arrêt.
Sur la requête n°19VE02819 aux fins d'annulation du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Pour prononcer l'annulation de l'arrêté en litige au motif pris de la méconnaissance par le PREFET DE LA SEINE-SAINT-DENIS des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les premiers juges ont estimé, alors même M. D... ne produisait pas de documents sur sa présence en France entre 2007, année où lui a été retiré le statut de réfugié, et 2012, que le caractère habituel de sa résidence en France est à tout le moins établi entre 1989 et 2007, puis depuis 2012, que l'intéressé justifiait de son intégration professionnelle par les bulletins de salaire qu'il verse aux débats, que ses deux filles nées en France et de nationalité française résident dans ce pays et qu'il n'est pas contesté qu'à la date où l'arrêté attaqué a été adopté, M. D... avait repris la vie commune avec la mère de ses enfants. Toutefois, s'il est constant que la résidence habituelle en France de M. D... est établie de 1989 à 1999 durée pendant laquelle il a bénéficié d'une carte de résident en qualité de " réfugié ", ainsi que de 2000 à 2006, contrairement à ce que soutient le préfet, l'intéressé ne justifie pas, en revanche, par les seuls éléments qu'il produit, de sa présence sur le territoire de juin 2006 à mai 2012, ni de mai 2013 à 2016. S'agissant, en outre, de la période de dix ans couvrant les années 2008 à 2018, il se borne à produire, pour l'année 2008, le recours formé par son conseil devant le Tribunal administratif de Paris contre la mesure d'éloignement dont il a fait l'objet le 29 juillet 2008, pour l'année 2009, une citation à comparaitre et pour les années 2014 et 2015 les conditions particulières d'une assurance automobile. En outre, il ne produit aucune pièce justificative pour les années 2010 et 2011. Par ailleurs, si Mme A..., mère de ses deux filles de nationalité française nées en 1991 et 1992, atteste avoir vécu avec l'intéressé en concubinage pendant plus de trente ans, puis avoir renoué avec lui depuis le 1er septembre 2018 après une séparation en 2016, cette attestation ainsi que les photographies produites n'établissent pas à elles seules, de manière suffisamment probante, la réalité, la stabilité, l'intensité et l'ancienneté de cette relation et de leur vie commune, alors au demeurant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme A... était mariée à M. G... et que M. D... a déclaré être célibataire et vivre chez sa fille lors du dépôt de sa demande d'admission au séjour. S'il se prévaut de la présence de ses deux filles de nationalité française, nées en 1991 et 1992, il est constant que la copie intégrale de l'acte de naissance de sa seconde fille, Gökce A..., ne comporte aucune référence au nom de M. D..., et qu'il ressort des pièces du dossier qu'il n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où résident six de ses sept frères et sa mère. Par suite, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en prenant à son encontre une obligation de quitter le territoire français, le PREFET DE LA SEINE-SAINT-DENIS aurait porté une atteinte disproportionnée à son droit à sa vie privée et familiale. Dans ces conditions, le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif s'est fondé sur ce motif pour annuler son arrêté du 11 décembre 2018.
4. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... tant devant le Tribunal administratif de Montreuil que devant la cour.
5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme E... I..., attachée principale d'administration de l'Etat, chef du bureau de l'éloignement et du contentieux, disposait, à la date de la décision attaquée, d'une délégation de signature consentie par arrêté n° 2018-2385 du 1er octobre 2018 du PREFET DE LA SEINE-SAINT-DENIS, à l'effet de signer, en cas d'absence ou d'empêchement de Mme H... B..., directrice des migrations et de l'intégration, notamment, les obligations de quitter le territoire français, les décisions fixant le délai de départ, ainsi que celles fixant le pays de renvoi et celles d'interdiction de retour sur le territoire français. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée doit être écarté comme manquant en fait.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2 ".
7. Si M. D... soutient que l'arrêté attaqué a été pris en méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les éléments de la vie personnelle, familiale, et professionnelle de M. D..., telle que décrite au point 3 du présent arrêt, ne caractérisent pas des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels au sens des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, le PREFET DE LA SEINE-SAINT-DENIS n'a pas méconnu les dispositions de cet article.
8. En troisième lieu, il se déduit des circonstances relatives à la situation personnelle et familiale de M. D... rappelées précédemment que l'arrêté attaqué n'a pas été pris en méconnaissance du 7° de l'article L. 313-11 du code de justice administrative.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la commission du titre de séjour " est saisie par l'autorité administrative lorsque celle-ci envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire à un étranger mentionné à l'article L. 313-11 ou de délivrer une carte de résident à un étranger mentionné aux articles L. 314-11 et L. 314-12, ainsi que dans le cas prévu à l'article ".
10. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que M. D... ne justifie ni résider de manière habituelle en France depuis plus de dix ans à la date de l'arrêté attaqué, ni entrer dans les catégories d'étrangers devant se voir délivrer un titre de séjour de plein droit sur le fondement des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait entachée d'un vice de procédure faute pour le préfet d'avoir saisi la commission du titre de séjour ne peut qu'être écarté.
11. En cinquième lieu, M. D... ne peut utilement se prévaloir de la circulaire du 28 novembre 2012, qui énonce des orientations générales que le ministre de l'intérieur a pu adresser aux préfets pour les éclairer dans la mise en oeuvre de leur pouvoir de régularisation.
12. En sixième et dernier lieu, il ne résulte pas des motifs de fait énoncés au point 3 du présent arrêt que le PREFET DE LA SEINE-SAINT-DENIS aurait entaché l'arrêté attaqué d'une erreur manifeste d'appréciation.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le PREFET DE LA SEINE-SAINT-DENIS est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a annulé l'arrêté contesté du 11 décembre 2018. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter les conclusions aux fins d'injonction présentées par M. D....
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement attaqué :
14. La Cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête n°19VE02819 du PREFET DE LA SEINE-SAINT-DENIS tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête n°19VE02820 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Par suite, il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur les frais de justice :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'État, qui n'est pas dans les présentes instances, la partie perdante, soit condamnée à payer à M. D... la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n°1900372 du Tribunal administratif de Montreuil en date du 2 juillet 2019 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C... D... devant le Tribunal administratif de Montreuil et ses conclusions présentées en appel sont rejetées.
Article 3 : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n°19VE02820 du PREFET DE LA SEINE-SAINT-DENIS tendant à ce qu'il soit sursis à exécution du jugement n°1900372 du Tribunal administratif de Montreuil du 2 juillet 2019.
N° 19VE02819, 19VE02820 2