I. Par une requête, enregistrée sous le numéro 18VE02021, et des mémoires, enregistrés les 15 juin 2018, 25 janvier 2019, 17 novembre et 20 décembre 2021, M. B..., représenté par Me Delacarte, avocat, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de surseoir à statuer dans l'attente de la réponse à la demande de versement des pièces de la procédure d'instruction pénale à la présente procédure ;
2°) d'annuler cette ordonnance ;
3°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à sa charge au titre des années 2010 à 2012, ainsi que des pénalités correspondantes ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'ordonnance attaquée est irrégulière au regard des dispositions de l'article R. 222-1 du code de justice administrative en l'absence d'invitation à produire un mémoire ampliatif, en méconnaissance de ses droits de la défense, en l'absence de visa de son mémoire du 22 mars 2018 et en l'absence de motivation suffisante faute d'analyser correctement ses moyens et ses conclusions ;
- en outre, l'ordonnance attaquée est entachée d'erreur de droit en tant qu'elle lui fait intégralement supporter la charge de la preuve, alors qu'il avait apporté un commencement de preuve découlant des pièces d'une procédure pénale en cours et notamment un arrêt de la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Bordeaux, et que le juge n'a pas fait usage de son pouvoir inquisitorial ;
- la réponse du 21 décembre 2017 apportée à sa réclamation est insuffisamment motivée et incompréhensible, en l'absence de mention de l'imposition mise à sa charge ;
- le montant des revenus distribués taxés entre ses mains est erroné ; en effet, la reconstitution du chiffre d'affaires de la société AM DIFF, à l'origine des distributions, n'est pas fondée tant en ce qui concerne le montant des recettes qu'en ce qui concerne les charges déductibles ; s'agissant des recettes, les articles textiles et de téléphonie en cause, soit ont été offerts aux clients, soit figuraient encore en stock au 31 décembre 2012 et n'ont donc pu générer aucune recette taxable ; s'agissant des charges, le rejet de diverses charges et en particulier le refus d'admettre en déduction d'importants achats de produits publicitaires manufacturés, en vue de les offrir aux clients pour les fidéliser, n'est pas justifié ;
- il n'a jamais appréhendé les sommes éventuellement distribuées par la SARL AM DIFF dès lors qu'il n'était pas maître de l'affaire, ainsi que l'attestent les pièces de la procédure pénale qu'il verse au dossier, quand bien même il en était associé, gérant de droit et disposait des comptes bancaires ; d'ailleurs, les deux gérants de fait ont reconnu, dans le cadre de la procédure pénale en cours, qu'il n'était qu'un " gérant de paille " de la société ;
- la majoration de 40 % appliquée sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts n'est pas fondée, l'administration n'apportant pas la preuve de sa mauvaise foi.
..........................................................................................................
II. Par une requête, enregistrée sous le numéro n° 18VE02344 le 6 juillet 2018, M. B..., représenté par Me Delacarte, avocat, demande à la cour :
1°) à titre principal, de surseoir à statuer sur la requête enregistrée sous le numéro 18VE02021, dans l'attente de l'issue de la procédure d'instruction n° JICABJI 115000001 et 14104000035 devant le tribunal judiciaire de Bordeaux ;
2°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer sur la requête enregistrée sous le numéro 18VE02021, dans l'attente de la réponse du procureur à sa demande formée le 13 juin 2018 dans le cadre de l'instruction pénale n° JICABJI 115000001 et 14104000035.
Il soutient que :
- l'ordonnance du 16 avril 2018 de la présidente de la 7ème chambre du tribunal administratif de Versailles est irrégulière, en l'absence d'invitation à produire un mémoire ampliatif en méconnaissance de ses droits de la défense, en l'absence de visa de son mémoire du 22 mars 2018 et en l'absence de motivation suffisante faute d'analyser correctement ses moyens et ses conclusions ;
- elle est entachée d'erreur de droit en tant qu'elle lui fait intégralement supporter la charge de la preuve, alors qu'il avait apporté un commencement de preuve découlant des pièces d'une procédure pénale en cours et notamment un arrêt de la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Bordeaux, et que le juge n'a pas fait usage de son pouvoir inquisitorial ;
- l'instruction pénale en cours est déterminante pour apprécier l'absence d'appréhension, entre ses mains, de revenus de la SARL AM DIFF ;
- le montant des revenus distribués taxés entre ses mains est erroné ; en effet, la reconstitution du chiffre d'affaires de la société AM DIFF, à l'origine des distributions, n'est pas fondée tant en ce qui concerne le montant des recettes qu'en ce qui concerne les charges déductibles ;
- il n'était ni le gérant de fait, ni le maître de l'affaire de la SARL AM DIFF, comme en attestent les pièces de l'instruction pénale en cours, dont il a demandé la communication au parquet ;
- la majoration de 40 % appliquée sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts n'est pas fondée, l'administration n'apportant pas la preuve de sa mauvaise foi.
.........................................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bonfils,
- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,
- et les observations de Me Delacarte, pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes n° 18VE02021 et n° 18VE02344 présentées pour M. B... concernent la situation d'un même contribuable et présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. A la suite d'une vérification de comptabilité de la SARL AM DIFF au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012, M. A... B..., gérant de droit et associé unique de cette société, a été regardé, en qualité de maître de l'affaire, comme bénéficiaire des sommes redressées, constitutives de revenus distribués sur le fondement du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, et imposées entre ses mains, selon la procédure contradictoire, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. M. et Mme B... se sont ainsi vu notifier des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 2010 à 2012, résultant de la réintégration de l'ensemble de ces sommes au sein de leur revenu imposable. Parallèlement à cette procédure, la juridiction interrégionale spécialisée près le tribunal judiciaire de Bordeaux a ouvert à l'encontre de M. B... et de plusieurs autres personnes une information judiciaire pour des faits de blanchiment concernant l'activité de la SARL AM DIFF, conduisant au renvoi de l'intéressé devant le tribunal correctionnel pour participation à un groupement formé ou une entente établie en vue de la préparation du délit de blanchiment en bande organisée. M. B... fait appel de l'ordonnance du 16 avril 2018 par laquelle la présidente de la 7ème chambre du tribunal administratif de Versailles a rejeté, sur le fondement du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2010, 2011 et 2012.
Sur le bien-fondé des suppléments d'imposition :
3. Aux termes du 1 de l'article 109 du code général des impôts : " Sont considérés comme revenus distribués : 1°) tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital (...) ". Aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109 les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés. (...) ". En cas de refus des propositions de rectifications par le contribuable, qu'elle entend imposer comme bénéficiaire des sommes regardées comme distribuées, il incombe à l'administration d'apporter la preuve que celui-ci en a effectivement disposé. Toutefois, le contribuable qui, disposant seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, est en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres et doit ainsi être regardé comme le seul maître de l'affaire, est présumé avoir appréhendé les distributions effectuées par la société qu'il contrôle.
4. M. B..., dont les rehaussements ont été notifiés selon la procédure de rectification contradictoire, ayant contesté les rectifications résultant du rattachement à son revenu des revenus regardés comme distribués à la suite de la vérification de comptabilité de la SARL AM DIFF, il incombe à l'administration d'apporter la preuve de leur appréhension par l'intéressé.
5. Pour estimer que M. B... était le seul maître de l'affaire, l'administration fiscale s'est fondée sur les circonstances que l'intéressé était l'unique associé et le gérant statutaire de la SARL AM DIFF au cours de années 2010 à 2012 en litige, qu'il était le seul détenteur des cartons de signature des deux comptes bancaires de la société, et qu'il signait tous les chèques émis par la société à destination des fournisseurs et endossait les règlements des clients. Elle a également indiqué, dans sa décision d'admission partielle du 21 décembre 2017 que le requérant n'apportait, contrairement à ce qu'il soutenait, aucun élément de nature à démontrer que d'autres personnes auraient été les gérants de fait de cette société.
6. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment des procès-verbaux d'audition que M. B... a été autorisé à produire, mais également de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel en date du 9 juillet 2021 dont les constatations peuvent être prises en considération par le juge administratif parmi les pièces du dossier qui lui est soumis alors même qu'aucune autorité de la chose jugée ne lui est attachée, que si le requérant a accepté d'exercer la gestion de droit de la société AM DIFF dans le but de permettre à un ami de contourner l'interdiction de gérer qui menaçait ce dernier, en signant des chèques en blanc afin de faciliter la sortie de sommes d'argent de la société et qu'il a ainsi été amené à constater des agissements anormaux, tels que des retraits d'espèces et des fausses facturations par une autre société dont il était le gérant, il n'a occupé ces fonctions que comme homme de paille, sans exercer aucun contrôle effectif sur le fonctionnement de cette société. L'instruction pénale a également mis en lumière le rôle des deux salariés de la société AM DIFF, qui ont reconnu exercer la responsabilité effective de l'ensemble de la gestion administrative, commerciale et financière de la société, et être les instigateurs du système de facturation frauduleux, mettant hors de cause M. B... qui " n'était qu'un prête-nom ". Ces derniers ont d'ailleurs été renvoyés devant le tribunal correctionnel notamment pour des actes de blanchiment aggravé résultant de leur gestion de fait, une telle incrimination n'étant pas retenue à l'égard de M. B.... Compte tenu de ces différents éléments, le requérant ne disposait pas seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société. Il ne saurait ainsi être regardé comme le seul maître de l'affaire et ne peut, en conséquence, être présumé avoir appréhendé les distributions effectuées par la société. L'administration n'apporte, par ailleurs, pas la preuve que M. B... aurait effectivement appréhendé ces sommes. Dans ces conditions, le requérant est fondé à demander la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2010, 2011 et 2012, ainsi que des pénalités correspondantes.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, ni de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure d'instruction pénale, laquelle est désormais close, ou de la communication de pièces de la procédure d'instruction pénale, au demeurant produites, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, la présidente de la 7ème chambre du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 1801205 du 16 avril 2018 de la présidente de la 7ème chambre du tribunal administratif de Versailles est annulée.
Article 2 : M. B... est déchargé des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2010, 2011 et 2012, ainsi que des pénalités correspondantes.
Article 3 : L'État versera à M. B... la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes n°18VE02021 et 18VE02344 est rejeté.
18VE02021,18VE02344 2