Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 29 juillet 2020 et régularisée le 19 octobre 2020, Mme D... représentée par Me A..., avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 16 décembre 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Essonne de lui délivrer une carte de séjour temporaire, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de dix jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et dans les mêmes conditions d'astreinte et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à son conseil sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
Sur la décision portant refus de séjour :
- elle est insuffisamment motivée et est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire :
- elle est privée de base légale en ce qu'elle est fondée sur une décision portant refus de titre de séjour elle-même illégale ;
- elle méconnaît le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Sur la décision fixant le pays de destination :
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 décembre 2020 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Versailles.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... D... ressortissante de la République démocratique du Congo née le 12 février 1972, qui a bénéficié de titres de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile du 15 avril 2014 au 26 mai 2018, en a sollicité le renouvellement le 27 avril 2018. Elle fait appel du jugement du 29 juin 2020 du tribunal administratif de Versailles ayant rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 décembre 2019 par lequel le préfet de l'Essonne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite.
Sur la décision portant refus de séjour :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'État. (...) ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte-tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La partie qui justifie d'un avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, s'il peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
4. Pour refuser de délivrer un titre de séjour à Mme D... à raison de son état de santé, le préfet de l'Essonne s'est fondé sur l'avis du collège de médecins de l'OFII du 25 avril 2019, qui a estimé que l'état de santé de l'intéressée nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité.
5. Pour remettre en cause cette appréciation, Mme D... s'est prévalue devant les premiers juges de certificats médicaux établis par le docteur Moreno le 25 mars 2013 puis par le docteur Nasrallah praticien hospitalier du pôle psychiatrie du centre hospitalier sud francilien les 20 avril 2016, 9 décembre 2019 et 20 janvier 2020, qui font état de ce qu'elle présente un syndrome dépressif sévère avec idées et tentatives de suicide et un grave syndrome de stress post traumatique " ayant déjà mis sa vie en péril plusieurs fois ". Il ressort également du certificat du 15 juillet 2020, établi par ce même praticien postérieurement à l'arrêté litigieux et au jugement, lequel peut toutefois être pris en compte dès lors qu'il atteste de faits antérieurs à la décision critiquée, que la poursuite du traitement et du suivi psychiatrique mensuel sont pour elle " vitaux " eu égard à " l'extrême fragilité de la santé mentale de cette patiente " qu'il suit depuis 2014. Ces éléments concordants permettent d'établir, en dépit de l'avis contraire du collège des médecins de l'OFII, que le défaut de prise en charge médicale pourrait entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité. En première instance, le préfet de l'Essonne a toutefois fait valoir la disponibilité des soins nécessités par l'état de l'intéressée dans son pays d'origine et doit être regardé comme ayant ainsi demandé que ce motif soit substitué à celui qu'il avait initialement retenu. A la date de l'arrêté attaqué, Mme D... suivait un traitement médicamenteux composé d'Abilify, d'Akineton Retard, de Seroplex et de Lysanxia comme l'établissent les ordonnances et les certificats médicaux produits. Si le préfet a produit devant les premiers juges " la liste nationale des médicaments essentiels " révisée par le ministère de la santé publique en mars 2010, selon lesquels la plupart des pathologies courantes et la pathologie psychiatrique sont prises en charge dans les grandes villes de la République Démocratique du Congo, aucune des substances actives de chacun des quatre médicaments prescrits à l'intéressée, à savoir l'aripiprazole, la biperidene chlorhydrate, escitalopram, et le prazepam n'apparaît toutefois sur cette liste. Il résulte en outre du certificat médical du 15 juillet 2020 que " la prise en charge du suivi sur le plan des psychotropes et surtout notre souci d'accès sur les cibles symptomatiques précises que sont son deuil pathologique et son état de stress post traumatique ne pourront pas être effectués en RDC ", ce qui n'est pas contesté par le préfet qui n'a pas produit en appel. En outre, à supposer même que les graves troubles psychiatriques de même nature que ceux dont souffre la requérante puissent faire l'objet d'un traitement approprié dans son pays d'origine, le syndrome post-traumatique de Mme D... présentant un lien avec des événements traumatiques vécus dans ce pays, il ne peut, dans les circonstances de l'espèce, y être envisagé un traitement effectivement approprié, le certificat médical du 15 juillet 2020 insistant sur la réminiscence de ses troubles en cas de retour en République démocratique du Congo. Par suite, il ne ressort pas des pièces du dossier que le traitement approprié à l'état de santé de Mme D... serait disponible en République démocratique du Congo. En conséquence, la requérante est fondée à soutenir que le préfet de l'Essonne a méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de lui délivrer un titre de séjour en qualité d'étranger malade.
6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 16 décembre 2019 du préfet de l'Essonne lui refusant le renouvellement d'un titre de séjour, ainsi que, par voie de conséquence, de celles du même jour lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Eu égard au motif d'annulation de l'arrêté attaqué ci-dessus retenu, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de l'Essonne délivre à Mme D... un titre de séjour. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre à cette autorité de délivrer ce titre dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a toutefois pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
8. Mme D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me A..., avocat de Mme D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État le versement à Me A... de la somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er: Le jugement n° 2001097 du 29 juin 2020 du tribunal administratif de Versailles ainsi que l'arrêté du préfet de l'Essonne du 16 décembre 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Essonne de délivrer à Mme D... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à Me A..., avocat de Mme D..., une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
N° 20VE01798 2