Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 juillet 2019 et 24 janvier 2020, la SAS Les Moulins, représentée par Me Bouquet, avocat, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée, et de l'amende prévue par l'article 1759 du code général des impôts, mis à sa charge au titre des exercices clos en 2011 et 2012 ;
3°) de mettre à la charge de l'État les dépens et la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la réponse de l'interlocuteur régional du 3 mai 2016 faisant état de l'abandon des achats de liquide ayant fait l'objet de doublons ne lui permettait pas, faute de comporter le détail des calculs, d'appréhender les rehaussements maintenus et de faire valoir ses observations ;
- la méthode de reconstitution des recettes est radicalement viciée ; l'extrapolation à des années antérieures du chiffre d'affaires reconstitué ne rend pas compte de son activité sur les années contrôlées ; il n'a pas été tenu compte des pertes de liquides liées à son installation et à la consommation du personnel ; le ratio entre les liquides et les solides ne tient pas compte de ses activités de bar et vente à emporter de pizzas ; il n'est pas réaliste que les recettes de l'exercice 2011, qui n'a duré que dix mois, soit supérieur aux douze mois d'exploitation de l'année 2012 ; la reconstitution aboutit à un ticket moyen par client de 58 euros par repas ou à un nombre de services quotidiens de trois et demi et jusqu'à plus de quatre ;
- elle propose une méthode de reconstitution du chiffre d'affaires mieux adaptée en ce qu'elle extourne les quantités relatives aux bons de livraison et un pourcentage des boissons, de 20 % au titre de 2011 et 5 % au titre de 2012, au titre de l'activité " limonade ", et qu'elle ajoute les chiffres d'affaires liés aux activités du bar et de la vente à emporter de pizzas ; le taux de perte est de 2 % pour les boissons et 15 % pour la bière et la reconstitution intègre la consommation du personnel ;
- la majoration de 40 % qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts n'est pas motivée en méconnaissance des articles 1er et 3 de la loi du 1er juillet 1979 et est infondée, faute pour l'administration d'établir le caractère intentionnel du manquement fiscal ;
- l'amende qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts est injustifiée tant dans son principe que dans son montant.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les conclusions de M. Huon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Les Moulins, qui exerce à Pantin une activité de restauration traditionnelle, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 12 janvier 2010 au 31 décembre 2012, au terme de laquelle l'administration a rejeté sa comptabilité comme irrégulière et non probante et a reconstitué ses recettes. Par une proposition de rectification du 11 juin 2014, le service vérificateur a notifié à la SAS Les Moulins notamment, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période allant 12 janvier 2011 au 31 décembre 2012, des suppléments d'impôt sur les sociétés pour les exercices clos les 31 décembre 2011 et 2012, assortis de la majoration prévue au a de l'article 1729 du code général des impôts ainsi que l'amende prévue à l'article 1759 de ce même code. Par une décision du 3 mai 2016, l'interlocuteur régional a prononcé une réduction des rehaussements proposés. La SAS Les Moulins fait appel du jugement du 21 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, de ces impositions.
Sur la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 48 du livre des procédures fiscales : " (...) Lorsqu'à un stade ultérieur de la procédure de rectification contradictoire l'administration modifie les rehaussements, pour tenir compte des observations et avis recueillis au cours de cette procédure, cette modification est portée par écrit à la connaissance du contribuable avant la mise en recouvrement, qui peut alors intervenir sans délai. (...) ".
3. Il résulte de l'instruction que, dans sa décision du 3 mai 2016, dont il n'est pas contesté par la SAS Les Moulins qu'elle l'a effectivement reçue, l'interlocuteur régional indique qu'après avoir procédé à un dépouillement exhaustif des copies de factures d'achats délivrées par la société Tafanel et des tableaux récapitulatifs des bons de livraison figurant en annexe du courrier de la société du 5 février 2016, le service abandonne les achats de liquides ayant fait l'objet d'une double comptabilisation. Cette décision, qui n'a au demeurant pas pour effet de rouvrir le débat oral et contradictoire tenu au cours du contrôle, présente des tableaux détaillés par année et par type de boisson, les montants de chiffres d'affaires finalement retenus par l'administration fiscale, soit la somme globale de 477 732 euros, et expose ainsi de manière suffisamment précise les calculs ayant conduit, à méthode constante, à la réduction des montants des rehaussements mis à la charge de la société intéressée, ainsi que les nouvelles conséquences financières qui en résultent, conformément aux prescriptions de l'article L. 48 précité du livre des procédures fiscales. Par suite, le moyen tiré de ce que l'insuffisante de motivation de la décision de l'interlocuteur régional l'aurait privée de faire valoir ses observations ne peut qu'être écarté.
Sur la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires :
4. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, dans sa version applicable au litige : " Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge. (...) ".
5. Il est constant, d'une part, que l'administration fiscale a écarté la comptabilité de la SAS Les Moulins comme irrégulière et non probante en raison notamment de l'absence de conservation des données de la caisse, de pièces justificatives des recettes et d'un suivi imprécis voire inexistant des stocks, graves irrégularités non contestées par l'appelante, et, d'autre part, que les impositions en litige ont été établies conformément à l'avis rendu le 13 octobre 2015 par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires de la Seine-Saint-Denis. Dès lors, la preuve du caractère exagéré de la reconstitution du chiffre d'affaires à laquelle a procédé l'administration incombe à la société requérante.
6. Pour reconstituer le chiffre d'affaires réalisé par la SAS Les Moulins au titre des années 2011 et 2012, le service vérificateur a mis en œuvre la méthode dite des boissons, laquelle a consisté à calculer la part du chiffre d'affaires résultant des ventes de liquides dans le chiffre d'affaires total en se fondant sur les tickets mensuels papier RAZ qui lui ont été fournis par la société contrôlée. Le ratio ainsi déterminé a été fixé à 17,85% pour l'exercice 2011 et 17,09% pour l'exercice 2012. Les ventes de liquides ont été évaluées sur la base des factures d'achat corrigées de la variation des stocks en se référant aux tarifs mentionnés par les menus du restaurant et en retenant des correctifs pour pertes, offerts et consommation du personnel de 3% sur les bouteilles de vin, 5% sur les carafes de vin, 2% sur les bières embouteillées, 15% sur les bières en pression, 2% les boissons non alcoolisées. Le chiffre d'affaires total a été déterminé en appliquant le ratio précédemment calculé au produit des ventes de liquides.
7. Pour soutenir que la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires des exercices 2011 et 2012 est radicalement viciée, la SAS Les Moulins fait valoir, en premier lieu, que les taux retenus au titre des pertes, offerts et consommation par le personnel sont insuffisants. S'agissant des offerts, si la société requérante soutient qu'il n'a pas été tenu compte de ce qu'elle a démarré son activité qu'au cours de l'année 2008 ce qui a donné lieu à un nombre important d'offerts pour attirer une clientèle composée essentiellement de salariés travaillant dans les environs, elle n'apporte aucune justification sur sa politique en matière de produits offerts. En ce qui concerne les pertes, si elle produit un courrier du 31 juillet 2014 de son fournisseur de bière, se bornant à indiquer que l'installation du matériel dans une réserve donnant sur l'extérieur, sujette à de grandes variations de températures, est de nature à provoquer des problèmes de tirage, ce document, qui ne précise pas le pourcentage de perte pouvant en résulter, ne permet pas de tenir pour établi que les volumes concernés justifieraient de retenir des taux de pertes supérieurs à celui de 15 % admis par l'administration. S'agissant de la consommation des salariés, la société, qui estime que les seize employés de l'établissement prennent chacun mensuellement 44 repas accompagnés au moins d'une boisson, propose un calcul qui aboutit à retenir un taux de consommation des personnels de 6% des sodas. Cependant, outre que les bulletins de salaires produits ne concernent que le mois de janvier 2012, ils font apparaître selon les cas de 8 à 44 avantages en nature par mois, de sorte qu'il n'est pas établi que, sur l'ensemble de la période vérifiée, chaque salarié consommait effectivement 44 repas par mois. En outre, le taux proposé n'est calculé qu'au regard des eaux et sodas et non en prenant en compte l'ensemble des boissons auxquelles un abattement pour consommation du personnel a été appliqué par le service. Dans ces conditions, la SAS Les Moulins n'apporte la preuve de l'insuffisance des abattements retenus par le vérificateur.
8. En deuxième lieu, la société requérante soutient que l'absence d'individualisation de son activité autonome de bar et les ventes à emporter de pizza conduit à la surévaluation du ratio entre les liquides et les solides et à un chiffre d'affaires reconstitué sans rapport avec son activité réelle. Si lors des opérations de contrôle, les dirigeants ont déclaré une activité de " bar restaurant italien de type traditionnel ", ils ne justifient pas de l'exercice d'une telle activité qui n'est retracée ni par la comptabilité, ni par les pièces de recettes, ni d'une tarification relative à la vente de boissons au bar. Par ailleurs, la seule production de factures d'achats de boîtes en carton ne permet pas de justifier d'une activité de vente à emporter de pizzas à hauteur de 20 % du chiffre d'affaires, ainsi que l'allègue la société requérante dont les dirigeants ont déclaré au cours des opérations de vérification que ces ventes présentaient un caractère marginal. De même, la facture d'achat de cartes de fidélité est insuffisante pour justifier la politique commerciale de l'établissement. Ainsi, et en l'absence de tout élément de facturation individualisée de cette activité et de celle de bar, la SAS Les Moulins ne démontre pas que ces ventes influeraient de manière significative sur le ratio liquide/solide, et par suite, que la méthode de reconstitution serait radicalement viciée.
9. En troisième lieu, la SAS Les Moulins conteste la pertinence de la reconstitution de chiffre d'affaires, laquelle aboutit selon elle à un ticket moyen par client de 58 euros par repas, au lieu de 17 euros, soit un nombre de couverts équivalent à 4,3 services par jour en 2011 et 3,5 services en 2012, ce qui n'est pas compatible avec sa fréquentation, par une clientèle de bureau, majoritairement le midi en semaine. Toutefois, la société requérante n'apporte aucun justificatif lui permettant de contester utilement les constats réalisés par l'administration selon lesquels le restaurant est ouvert tous les jours de l'année, sauf les 25 décembre et 1er janvier, de 11 heures à 23 heures, avec un personnel en salle de 4 à 5 personnes, pour une capacité de 100 places assises, dont 20 en terrasse couverte. Si elle produit l'autorisation de voierie qui lui a été délivrée le 17 décembre 2012 pour la réalisation d'une terrasse couverte, ce document n'établit pas qu'aucune capacité de service en terrasse ne préexistait alors au demeurant que les photographies produites attestent du contraire. En tout état de cause, il résulte de l'instruction que le chiffre d'affaires reconstitué correspond à l'hypothèse de 2,29 à 2,80 services par jour pour 90 couverts et un ticket moyen de 20 euros, ce qui n'apparaît nullement déraisonnable au regard du nombre de salariés et de la capacité de l'établissement, et n'est, en tout état de cause pas utilement contesté par les allégations de la société qui, faute d'avoir notamment conservé un double des notes clients, ne justifie pas de la pertinence des paramètres qu'elle avance.
10. Enfin, si, ainsi que le fait valoir la SAS Les Moulins, le chiffre d'affaires reconstitué au titre des neuf mois d'activité de la première année d'exploitation, soit 1 489 961 euros, est supérieur à celui de l'exercice suivant qui s'est étendu sur une année entière, pour un montant estimé de 1 460 720 euros, la simple constatation d'un écart entre les CA des deux années vérifiées ne révèle pas, par elle-même, une anomalie dès lors que la reconstitution s'est fondée sur les éléments, et en particulier les tickets mensuels RAZ, produits par la contribuable elle-même. Si la société fait valoir que l'extrapolation à des années antérieures du chiffre d'affaires reconstitué ne rend pas compte de son activité sur les années contrôlées, il résulte de l'instruction que le vérificateur s'est fondé sur les données de l'exploitation de la société au cours des exercices vérifiés. Dans ces conditions et alors qu'il résulte de l'instruction que le service a pris en considération les conditions concrètes de fonctionnement de l'entreprise au vu des éléments dont il a pu disposer sur place et que la méthode alternative proposée par la SAS Les Moulins n'est étayée par aucun élément à la fois plus précis et vérifiables, cette dernière n'établit pas que la méthode de reconstitution serait principalement viciée ou même simplement excessivement sommaire.
Sur la majoration pour manquement délibéré :
11. D'une part, aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de :/ a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". D'autre part, aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales dans sa version applicable : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable. (...) ".
12. Pour infliger à la société requérante l'amende visée au a de l'article 1729 du code général des impôts précité, l'administration s'est fondée sur l'absence de valeur probante de la comptabilité présentée par la SAS Les Moulins. Elle a notamment relevé, d'une part, l'absence de conservation des bandes de contrôle de la caisse et des doubles de tickets clients au cours de la période vérifiée, l'absence de détail des opérations, seuls des états de synthèse mensuel ayant été produits. Elle a également constaté des incohérences dans les inventaires des stocks tenus manuellement ou l'absence de tout inventaire pour plusieurs produits. D'autre part, elle a relevé le caractère important et répétitif des minorations de recettes. Dans ces conditions, l'administration, qui a suffisamment motivé l'application de cette majoration, apporte la preuve qui lui incombe du caractère délibéré du manquement à ses obligations déclaratives commis par la SAS Les Moulins.
Sur l'amende prévue à l'article 1759 du code général des impôts :
13. Si la SAS Les Moulins soutient que l'amende qui lui a été infligée en application des dispositions de l'article 1759 du code général des impôts serait injustifiée dans son principe ou son montant, elle n'assortit cette allégation d'aucune argumentation ni précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Les Moulins n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par conséquent, les conclusions qu'elle présente au titre des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative doivent en tout état de cause également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Les Moulins est rejetée.
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N° 19VE02515