Par une requête et un mémoire, enregistrés le 14 mai 2018, le 3 décembre 2018 et le 19 juin 2019, M. et Mme B..., représentés par Me Philip, avocat, demandent à la Cour dans le dernier état de leurs écritures :
1° d'infirmer ce jugement ;
2° de prononcer la décharge des impositions et majorations laissées à leur charge au titre de l'année 2011 ;
3° de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- ils auraient dû faire l'objet d'une imposition distincte au titre de l'année 2011 conformément aux dispositions de l'article 6 du code général des impôts ;
- il incombe à l'administration de démontrer que M. B... n'aurait pas passé plus de 183 jours en Espagne au titre de l'année 2011, preuve qui n'est pas rapportée ;
- conformément à la documentation administrative de base référencée 5-B-1121 n° 3, 5-B-7 n° 6 et 5-B-7123 n° 2, qui est opposable à l'administration fiscale sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, l'article 4 B du code général des impôts devait leur être appliqué à chacun de manière propre et individuelle ;
- dès l'année 2011, M. B... était résident fiscal espagnol en vertu de l'article 4 de convention conclue entre la France et l'Espagne le 10 octobre 1995, ses revenus d'origine espagnole, qui sont bien supérieurs à ses revenus d'origine française, étant uniquement imposables en Espagne en vertu de l'article 15 de la même convention ;
- les impositions auraient dû être établies sous forme d'avis de mise en recouvrement, conformément à l'article 1658 du code général des impôts, modifié.
..........................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention fiscale France-Espagne du 10 octobre 1995 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de M. Huon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. A la suite d'un contrôle de leur situation fiscale personnelle, M. et Mme B... se sont vu notifier une proposition de rectification, en date du 31 octobre 2014, établie selon la procédure contradictoire, portant notamment sur des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2011 à 2013. Ils ont formé une réclamation le 23 novembre 2015. Le directeur départemental des finances publiques des Hauts-de-Seine a décidé, le 26 novembre 2015, le maintien des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2011 et 2012 mises à leur charge du fait de l'imposition en France des revenus de source espagnole de M. B.... Par la requête susvisée, M. et Mme B... doivent être regardés comme faisant appel du jugement du 15 mars 2018 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise seulement en tant qu'il a rejeté le surplus de leur demande tendant à la décharge de l'intégralité des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu mises à leur charge au titre de l'année 2011.
Sur les conclusions à fin de décharge :
En ce qui concerne l'imposition séparée des époux et leur résidence fiscale :
2. En premier lieu, le 4 de l'article 6 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable, dispose : " Les époux font l'objet d'impositions distinctes : / a. Lorsqu'ils sont séparés de biens et ne vivent pas sous le même toit (...) ". Il résulte de ces dispositions que, dans le cas d'époux séparés de biens, le simple fait que les intéressés résident sous des toits séparés entraîne leur imposition distincte, dès lors que cette résidence n'a pas un caractère temporaire. Il appartient toutefois au contribuable marié qui se prévaut de l'exception au principe de l'imposition commune des personnes mariées, affirmé par le paragraphe 1 de l'article 6 précité, de justifier qu'il se trouve dans l'une des situations limitativement énumérées au paragraphe 4 de ce texte.
3. S'il est constant que les époux B..., qui ont déclaré résider à Suresnes dans leur déclaration des revenus au titre de l'année 2010, sont mariés sous le régime de la séparation de biens, il résulte de l'instruction que M. B... a exercé ses activités professionnelles en France jusqu'au 7 juin 2011, date à laquelle il a été recruté sur un emploi à temps plein en Espagne, tout en conservant ses activités immobilières en France. Il a signé un bail de location le 25 mai 2011 pour un logement situé à Madrid qu'il n'a toutefois occupé qu'à compter du 15 juillet 2011. Il est également établi qu'à compter du mois de septembre de la même année, les enfants du couple ont été scolarisés à Madrid sans qu'il soit soutenu que, dès lors, les époux n'auraient pas vécu sous le même toit en Espagne. Dans ces conditions, la période au cours de laquelle M. et Mme B... n'ont pas résidé sous le même toit n'ayant revêtu qu'un caractère temporaire au milieu de l'année 2011, les requérants ne justifient pas remplir les conditions fixées par le paragraphe 4 de l'article 6 du code général des impôts pour faire l'objet d'impositions distinctes au titre de l'année 2011. Par ailleurs, la documentation administrative de base référencée 5-B-1121 n° 3, 5-B-7 n° 6 et 5-B-7123 n° 2 ne comporte sur ce point aucune interprétation différente dont les requérants pourraient se prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
4. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article 4 A du code général des impôts : " Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus. / Celles dont le domicile fiscal est situé hors de France sont passibles de cet impôt en raison de leurs seuls revenus de source française. " Aux termes de l'article 4 B du même code, dans sa version applicable à l'année d'imposition en litige : " 1. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A : / a. Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal (...) " ; / b. Celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu'elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire ; / c. Celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques. / (...) ". D'autre part, l'article 4 de la convention fiscale conclue entre la France et l'Espagne le 10 octobre 1995 stipule s'agissant de la notion de résident : " 1. Au sens de la présente Convention, l'expression " résident d'un Etat contractant " désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet Etat, est assujettie à l'impôt en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue. / Toutefois, cette expression ne comprend pas les personnes qui ne sont assujetties à l'impôt dans cet Etat que pour les revenus de sources situées dans cet Etat ou pour la fortune qui y est située. / 2. Lorsque, selon les dispositions du paragraphe 1, une personne physique est un résident des deux Etats contractants, sa situation est réglée de la manière suivante : / a) Cette personne est considérée comme un résident de l'Etat où elle dispose d'un foyer d'habitation permanent ; si elle dispose d'un foyer d'habitation permanent dans les deux Etats, elle est considérée comme un résident de l'Etat avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux) ; / b) Si l'Etat où cette personne a le centre de ses intérêts vitaux ne peut pas être déterminé, ou si elle ne dispose d'un foyer d'habitation permanent dans aucun des Etats, elle est considérée comme un résident de l'Etat où elle séjourne de façon habituelle ; / c) Si cette personne séjourne de façon habituelle dans les deux Etats ou si elle ne séjourne de façon habituelle dans aucun d'eux, elle est considérée comme un résident de l'Etat dont elle possède la nationalité ; (...) ". Enfin, aux termes de l'article 15 de cette convention : " 2. Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, les rémunérations qu'un résident d'un État contractant reçoit au titre d'un emploi salarié exercé dans l'autre État contractant ne sont imposables que dans le premier État si : / a) le bénéficiaire séjourne dans l'autre État pendant une période ou des périodes n'excédant pas au total 183 jours au cours de toute période de douze mois consécutifs, et b) les rémunérations sont payées par un employeur ou pour le compte d'un employeur qui n'est pas un résident de l'autre État, et c) la charge des rémunérations n'est pas supportée par un établissement stable ou une base fixe que l'employeur a dans l'autre État ".
5. Les époux B... ont déclaré résider à Suresnes à la date du 1er janvier 2011, adresse à laquelle l'épouse et les enfants du couple ont résidé habituellement jusqu'au 31 août 2011. Si M. B... a travaillé à temps plein en Espagne à compter du 7 juin 2011 et, pour ce motif, a pris en location un logement à Madrid à compter du 15 juillet 2011, le foyer des époux B... était cependant situé en France jusqu'à l'installation de l'ensemble des membres de la famille à Madrid, à compter du 1er septembre 2011. Par ailleurs, les intéressés ne peuvent utilement invoquer les stipulations de la convention fiscale franco-espagnole relative à la détermination du domicile fiscal, dès lors qu'ils n'établissent, ni même n'allèguent, avoir été imposés en Espagne comme résidents espagnols au sens de l'article 4 précité de cette convention.
6. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme B... avaient leur foyer et donc leur domicile fiscal en France du 1er janvier 2011 au 31 août 2011 au sens de l'article 4 B du code général des impôts, sans qu'ils puissent se prévaloir de la possibilité de bénéficier d'une imposition séparée au titre de cette période. Ainsi, durant cette première période, contrairement à ce qu'ils soutiennent, les salaires que M. B... a perçus en Espagne étaient imposables en France, sous réserve de l'octroi d'un crédit d'impôt par application des articles 15 et 24 de la convention fiscale franco-espagnole.
7. En revanche, il résulte de l'instruction, et n'est d'ailleurs pas contesté, que le transfert du domicile fiscal des époux B... de la France vers l'Espagne a eu lieu le 1er septembre 2011, date à compter de laquelle les intéressés ne pouvaient plus être soumis à l'impôt en France sur les revenus de source étrangère perçus par M. B....
Sur les modalités de mise en recouvrement des impositions litigieuses :
8. Aux termes de l'article 1658 du code général des impôts dans sa rédaction issue de l'article 55 de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 applicable à partir du 1er janvier 2011 : " Les impôts directs et les taxes y assimilées sont recouvrés en vertu de rôles rendus exécutoires par arrêté du préfet ou d'avis de mise en recouvrement ".
9. M. et Mme B..., qui ont reçu un avis d'imposition mettant à leur charge le paiement des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu en litige, soutiennent pour la première fois devant la Cour qu'en application des dispositions précitées de l'article 1658 du code général des impôts, les impositions supplémentaires qui leur ont été réclamées auraient dû être recouvrées par voie d'avis de mise en recouvrement.
10. Toutefois, si l'article 55 de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 a complété l'article 1658 du code général des impôts en y ajoutant le membre de phrase " ou d'avis de mise en recouvrement ", il ne résulte pas de ces dispositions éclairées par les travaux préparatoires que le législateur aurait ainsi entendu imposer à l'administration fiscale, à peine d'irrégularité, d'émettre un avis de mise en recouvrement lorsqu'elle souhaite établir et recouvrer des impositions supplémentaires en matière d'impôt sur le revenu ou de contributions sociales. Par suite, les requérants ne peuvent utilement soutenir que le défaut d'émission d'un avis de mise en recouvrement entacherait d'irrégularité les conditions de mise en recouvrement des impositions en litige.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... sont seulement fondés à soutenir, s'agissant des impositions restant en litige, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a refusé de les décharger des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2011 à raison des salaires perçus en Espagne par M. B... pour la période du 1er septembre au 31 décembre de cette année.
Sur les frais relatifs à l'instance :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à M. et Mme B... de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : M. et Mme B... sont déchargés de la fraction des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu qui leur ont été assignées au titre de l'année 2011 et correspondant à la prise en compte des salaires versés en Espagne à M. B... à compter du 1er septembre 2011.
Article 2 : Le jugement n° 1510982 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 15 mars 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à M. et Mme B... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
2
N° 18VE01624