Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 29 mai 2019, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de rejeter la demande présentée par Mme D... épouse E... devant le tribunal administratif de Montreuil.
Il soutient que :
- la décision de refus du regroupement familial est conforme à l'article 4 de l'accord franco-algérien, en raison du caractère irrégulier du séjour de M. E... ; en outre, les revenus de l'épouse sont insuffisants et la durée de vie commune ne constitue pas une condition suffisante au regard des mêmes stipulations pour caractériser une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de la demanderesse ;
- la décision en litige ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle ne méconnaît pas davantage les stipulations du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale des droits de l'enfant signée à New York le
26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... épouse E..., ressortissante algérienne née le 14 octobre 1980, a présenté, le 31 août 2015, une demande de regroupement familial au bénéfice de son époux, M. A... E..., né le 29 septembre 1978, de nationalité algérienne résidant déjà sur le territoire français. Cette demande a fait l'objet d'une décision de refus le 11 décembre 2017. Par la requête susvisée, le préfet de la Seine-Saint-Denis fait appel du jugement du 30 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a annulé cette décision et lui a enjoint d'autoriser ce regroupement familial dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement.
2. D'une part, aux termes de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 susvisé : " Les membres de la famille qui s'établissent en France sont mis en possession d'un certificat de résidence de même durée de validité que celui de la personne qu'ils rejoignent. Sans préjudice des dispositions de l'article 9, l'admission sur le territoire français en vue de l'établissement des membres de famille d'un ressortissant algérien titulaire d'un certificat de résidence d'une durée de validité d'au moins un an, présent en France depuis au moins un an sauf cas de force majeure, et l'octroi du certificat de résidence sont subordonnés à la délivrance de l'autorisation de regroupement familial par l'autorité française compétente. / Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : / 1 - le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont pris en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales. L'insuffisance des ressources ne peut motiver un refus si celles-ci sont égales ou supérieures au salaire minimum interprofessionnel de croissance ; / 2 - le demandeur ne dispose ou ne disposera pas à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant en France. / Peut être exclu de regroupement familial : / (...) 2 - un membre de la famille séjournant à un autre titre ou irrégulièrement sur le territoire français. ". D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
" 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... épouse E..., titulaire d'une carte de résident valable jusqu'au 4 janvier 2019, s'est mariée le 29 mars 2014 avec un compatriote, lequel se trouvait en situation irrégulière sur le territoire français depuis son entrée en France. Deux enfants sont nés de cette union, respectivement en février 2015 et janvier 2017. A supposer même établie la réalité de la vie commune des époux depuis le mois de mars 2014, alors que les quelques pièces produites pour en justifier sont datées de 2016 et principalement de 2017, il n'est établi aucun élément tiré de la situation familiale des époux ou de celle de leurs enfants mineurs justifiant un regroupement familial sur place. Il n'est pas davantage établi que les intéressés, tous les deux ressortissants algériens, seraient dépourvus d'attaches familiales dans leur pays d'origine, où rien ne s'oppose à la reconstitution de la cellule familiale. Compte tenu du caractère encore récent de la vie familiale en France, au jour de la décision attaquée, du jeune âge des enfants, dont seul l'aîné était scolarisé en maternelle, ainsi que de la possibilité d'un regroupement familial, alors que Mme D... épouse E... fait valoir, mais sans toutefois en justifier, que le montant de ses ressources est désormais suffisant, la décision du préfet de la Seine-Saint-Denis du 11 décembre 2017, laquelle au demeurant n'a pas pour effet direct la séparation de M. E... de sa famille, n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, le préfet de la Seine-Saint-Denis est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur le motif tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour annuler cette décision.
4. Il appartient, toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par Mme D... épouse E..., devant le tribunal administratif de Montreuil et devant la cour.
5. En premier lieu, pour refuser de faire droit à la demande de regroupement familial sur place déposée par Mme D... épouse E..., au bénéfice de son époux, M. E..., le préfet de la Seine-Saint-Denis s'est fondé sur l'insuffisance des ressources de l'intéressée pendant la période de douze mois précédant la demande et sur le caractère irrégulier de la présence en France de M. E..., ainsi que l'y autorisaient les stipulations précitées de l'article 4 de l'accord franco-algérien. D'une part, Mme D... épouse E... ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des critères de la circulaire du 28 novembre 2012 du ministre de l'intérieur relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que cette circulaire est dépourvue de caractère réglementaire et, au surplus, ne concerne pas les décisions de regroupement familial. D'autre part, contrairement à ce que soutient l'intéressée, et nonobstant le délai de réponse de plus de deux ans, il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que le préfet de la Seine-Saint-Denis a pris sa décision après avoir examiné les conséquences de celle-ci sur la vie privée et familiale de la demanderesse. Le montant des ressources de 1 294 euros par mois allégué par l'intéressée, correspond non pas à une situation professionnelle stable mais aux droits perçus de la caisse d'allocations familiales. Dans ces conditions, et au regard également de ce qui a été dit au point 3. de l'arrêt, les moyens tirés de ce que la décision en litige serait entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation, doivent être écartés.
6. En second lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant susvisée : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur de l'enfant dans toutes les décisions les concernant.
7. Mme D... épouse E... fait valoir que son époux serait temporairement séparé de leurs enfants dans l'attente d'un regroupement familial. D'une part, la décision en litige qui n'est pas une mesure d'éloignement, n'a pas pour effet direct de séparer le père de ses enfants. D'autre part, et en tout état de cause, cette circonstance n'est pas de nature à faire regarder cette décision comme étant prise en violation des stipulations précitées, alors au demeurant que rien ne s'oppose à la reconstitution de la cellule familiale dans le pays d'origine du couple. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant doit être écarté.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Saint-Denis est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision litigieuse. Il y a lieu, par voie de conséquence de rejeter les conclusions présentées en appel par Mme D... épouse E... aux fins d'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 1er, 2 et 3 du jugement n° 1801241 du 30 avril 2019 du tribunal administratif de Montreuil sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par Mme D... épouse E... devant le tribunal administratif de Montreuil et ses conclusions présentées en appel sont rejetées.
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N° 19VE01960