Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 17 mai 2018, M. E..., représenté par Me Dendouga, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 22 mars 2018 ainsi que la décision du 7 décembre 2015 du ministre du travail ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a écarté le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision du 7 décembre 2015, la compétence de M. C... B... ne pouvant se fonder sur la décision du directeur général du travail du 11 août 2015, rédigée en des termes imprécis et généraux, faute de délimitation suffisamment précise du champ de la délégation donnée ;
- c'est à tort que le tribunal a écarté le moyen tiré des erreurs de fait entachant la décision du 7 décembre 2015 en retenant premièrement que chaque reprise de poste par M. E... avait déclenché des arrêts de travail et l'exercice de leur droit de retrait par plusieurs salariés, tel n'étant pas le cas de sa reprise le 24 février 2015, jour où les salariés ont travaillé en sa présence de 10 heures à midi avant d'exercer, pour certains d'entre eux, leur droit de retrait, deuxièmement, l'existence d'un lien entre la présence de M. E... et les arrêts de travail produits par l'employeur, alors que certains d'entre eux étaient justifiés par des douleurs lombaires faisant suite au soulèvement de charges lourdes et un état de souffrance psychologique de six salariés, qui ne ressort pas des pièces du dossier, le médecin du travail n'ayant relevé une telle souffrance que chez certains d'entre eux dans son courrier du 6 mars 2015, troisièmement, le fait que l'avis du CHSCT en date du 7 janvier 2015 aurait été rendu au regard de cet avis du médecin du travail, qui pourtant lui est postérieur ;
- c'est à tort que le tribunal a retenu que ces erreurs de fait étaient restées sans incidence sur la décision du ministre ;
- le ministre a commis une erreur manifeste d'appréciation en retenant que la faute qui lui est reprochée est établie, dès lors que le refus de mutation a pour origine l'exercice infondé par des salariés de leur droit de retrait, que c'est à tort que le tribunal a regardé ce caractère infondé comme sans incidence alors que l'exercice du droit de retrait est à l'origine de la mutation litigieuse et que le ministre ne pouvait regarder la mutation comme n'étant constitutive que d'un changement dans les conditions de travail conforme à la clause de mobilité du contrat de travail, dès lors que celle-ci avait en réalité un caractère disciplinaire, fondé sur les mêmes faits que ceux invoqués dans le cadre de la précédente procédure de licenciement et justifié par des motifs différents, à savoir, les droits de retrait ;
- la décision du ministre est entachée d'erreur manifeste d'appréciation pour avoir considéré que la faute reprochée était d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement ;
- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, il existe un lien entre le mandat et la mesure de licenciement.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les conclusions de Mme Grossholz, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Buffalo Grill a présenté une demande d'autorisation de licenciement de M. E..., responsable de salle sur l'établissement de Villeneuve d'Ascq, et délégué syndical, pour faute consistant dans le refus d'une modification de son lieu de travail. Par décision du 12 mai 2015, l'inspecteur du travail de l'Essonne a refusé d'autoriser le licenciement de M. E.... Le ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique introduit le 8 juin 2015 par la société Buffalo Grill, annulé la décision de l'inspecteur du travail et autorisé le licenciement de M. E.... Par jugement du 22 mars 2018, dont M. E... relève appel, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la légalité externe de la décision attaquée :
2. Aux termes de l'article 7 de la décision du 11 août 2015 portant délégation de signature publiée au Journal officiel de la République française n°0187 du 14 août 2015, texte n° 29 : " délégation est donnée à M. C... B..., directeur du travail, chef du bureau du statut protecteur, à l'effet de signer, dans la limite des attributions du bureau du statut protecteur et au nom du ministre chargé du travail, tous actes, décisions ou conventions, à l'exclusion des décrets ". Aux termes de l'article 5 de l'arrêté du 22 juillet 2015 relatif à l'organisation de la direction générale du travail publié au Journal officiel de la République française n° 0184 du 11 août 2015 texte n° 17 : " Le bureau du statut protecteur est chargé : (...) d'instruire des recours hiérarchiques et contentieux relatifs aux licenciements des salariés protégés (...) ". Contrairement à ce que soutient M. E..., ces dispositions délimitent de façon suffisamment précise du champ de la délégation donnée à M. C... B..., auteur de la décision attaquée. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire ne peut, par suite, qu'être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision attaquée :
S'agissant des moyens tirés des erreurs de fait entachant la décision attaquée :
3. En premier lieu, il convient, par adoption des motifs des premiers juges, qui sont suffisamment circonstanciés et qui ne sont pas critiqués en appel, d'écarter les moyens tirés des erreurs de fait consistant dans l'exercice des droits de retrait par d'autres salariés de la société à chaque reprise de poste par M. E..., d'une part, et dans le lien entre la présence de ce dernier sur le lieu de travail et les arrêts de travail d'autres salariés, de l'autre.
4. En second lieu, si la décision attaquée est entachée d'erreurs de fait en ce qu'elle a, pour caractériser la gravité de la faute reprochée à M. E... comme suffisante pour justifier le licenciement de ce dernier, retenu que dans son courrier du 6 mars 2015, le médecin du travail aurait fait état de la situation de souffrance psychologique de six salariés alors qu'il n'en faisait état que pour certains d'entre eux, d'une part, et qu'elle a indiqué à tort que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail aurait, dans son avis du 7 janvier 2015, préconisé la mutation de M. E... au regard du courrier du médecin du travail alors que ce dernier lui était postérieur, il ressort des pièces du dossier, et du refus de nombreux salariés de travailler en présence de M. E..., que ces erreurs n'ont pas eu d'incidence sur le sens de la décision attaquée. Il en résulte que le moyen ne peut qu'être écarté.
S'agissant des moyens tirés des erreurs d'appréciation entachant la décision attaquée :
5. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. En l'absence de mention contractuelle du lieu de travail d'un salarié, la modification de ce lieu de travail constitue un simple changement des conditions de travail, dont le refus par le salarié est susceptible de caractériser une faute de nature à justifier son licenciement, lorsque le nouveau lieu de travail demeure à l'intérieur d'un même secteur géographique, lequel s'apprécie, eu égard à la nature de l'emploi de l'intéressé, de façon objective, en fonction de la distance entre l'ancien et le nouveau lieu de travail ainsi que des moyens de transport disponibles. En revanche, sous réserve de la mention au contrat de travail d'une clause de mobilité, tout déplacement du lieu de travail dans un secteur géographique différent du secteur initial constitue une modification du contrat de travail.
6. En premier lieu, M. E... ne conteste pas l'absence de mention de son lieu de travail dans son contrat, ni que le nouveau lieu de travail qui lui a été proposé par son employeur demeurait à l'intérieur d'un même secteur géographique. La modification de son lieu de travail constituait ainsi un simple changement dans ses conditions de travail. Si M.E... soutient que sa mutation était fondée sur l'exercice infondé du droit de retrait par certains salariés d'une part et qu'elle présentait un caractère disciplinaire d'autre part, il ressort toutefois des pièces du dossier que la décision attaquée ne se fonde pas sur l'exercice du droit de retrait par certains salariés, mais sur l'ambiance de travail conflictuelle pour qualifier le refus par M. E... d'accepter le changement de lieu de travail de faute de nature à justifier son licenciement. Par conséquent, la circonstance, à la supposer établie, que l'exercice du droit de retrait présenterait un caractère infondé est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée. D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette proposition de mutation aurait revêtu un caractère disciplinaire, alors même qu'un courrier adressé par son employeur le 24 février 2015 mentionnerait la procédure de licenciement pour motif disciplinaire lié à des faits d'agression commis sur d'autres salariés engagée en 2014, dès lors notamment que ce même courrier indique que la mutation a pour but d'" apaiser le climat social de l'établissement ". Par suite, le ministre a pu sans erreur manifeste d'appréciation considérer que le refus de M. E... d'accepter ce changement dans ses conditions de travail afin d'apaiser le climat conflictuel au sein du restaurant de Villeneuve d'Ascq constituait une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.
7. En second lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, en particulier de la mention dans la décision du ministre du travail, de ce que le climat conflictuel au sein de l'entreprise résulterait notamment de divergences syndicales, que cette mutation aurait présenté un caractère discriminatoire. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la mesure de licenciement serait en rapport avec les fonctions représentatives du requérant ou son appartenance syndicale, la concomitance entre l'initiation d'une procédure disciplinaire à l'encontre de l'intéressé et sa candidature aux élections professionnelles résultant de la découverte de faits survenus dans le restaurant de Villeneuve d'Ascq trois jours après la candidature de M. E... aux élections professionnelles. Le moyen ne peut, par conséquent, qu'être écarté.
8. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions aux fins d'annulation du jugement attaqué et de la décision du ministre du travail du 7 décembre 2015 doivent être rejetées.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit, sur leur fondement, mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante à la présente instance.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
N° 18VE01713 2