Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 28 mai 2018 et des mémoires en réplique enregistrés les 25 avril et 19 juillet 2019, la société Inter Prod, représentée par Me D..., avocat, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement et la décision implicite de rejet du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris ;
2° d'enjoindre au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, de modifier l'arrêté du 3 octobre 2014, d'une part, en modifiant le nom de l'organisme bénéficiaire et, d'autre part, en supprimant les termes " pour un période de trois ans " ;
3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4° si la cour ne s'estimait pas suffisamment éclairée, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle relative à la compatibilité des dispositions des articles L. 7122-9 et R. 7122-4 du code du travail avec les objectifs de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.
La société Inter Prod soutient que :
- le Tribunal administratif de Montreuil a omis de statuer sur sa demande de transmission d'une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ; le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, étant en situation de conflit d'intérêts, ses écritures devant le tribunal étaient irrecevables ;
- le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, n'avait aucune raison de ne pas rectifier son arrêté s'agissant de la désignation de l'organisme bénéficiaire de la licence ; il ressort des pièces jointes à la demande de licence que l'autorité administrative ne pouvait ignorer que " Arte Factory Agency " était un nom commercial alors que la dénomination sociale était " Inter Prod ", qui seule aurait dû figurer sur l'arrêté du 3 octobre 2014 ;
- cet arrêté, en ce qu'il limite la durée de la licence à trois ans, méconnaît les conditions impératives fixées par l'article 11 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 ; la transposition en droit interne de cette directive dans le domaine du spectacle ne respecte pas les objectifs poursuivis par la directive ; la simple évocation d'une raison impérieuse d'intérêt général ne peut justifier le maintien d'une durée limitée de la licence d'entrepreneur de spectacles vivants ; une telle limitation de la durée de la licence n'est ni nécessaire, ni proportionnée aux objectifs d'intérêt général allégués ; le maintien d'une durée limitée de la licence d'entrepreneur de spectacles porte atteinte à la liberté de diffusion, à la liberté de création et à la diversité des expressions culturelles protégée par la convention de l'UNESCO de 2005 ; il existe une discrimination à l'égard des entreprises privées.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur ;
- le code du travail ;
- le code de procédure civile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 2011-302 du 22 mars 2011 ;
- la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 ;
- le décret n° 2011-994 du 23 août 2011 ;
- l'arrêté du 20 décembre 2012 pris en application du code du travail (partie réglementaire) et relatif à la licence d'entrepreneur de spectacles vivants ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Grossholz, rapporteur public,
- et les observations de Me D... pour la société Inter Prod.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... C... a adressé le 1er septembre 2014 à la direction régionale des affaires culturelles d'Ile-de-France une demande tendant à la délivrance d'une licence d'entrepreneur de spectacles vivants de 2ème catégorie. Par un arrêté du 3 octobre 2014, le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, a fait droit à cette demande en délivrant une licence valable trois ans. Par un courrier du 1er septembre 2016, reçu le 9 septembre suivant, M. C..., en qualité de président de la SASU Inter Prod, a demandé au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, d'une part, de rectifier le nom de la société figurant sur l'arrêté du 3 octobre 2014 et, d'autre part, de supprimer les termes " pour une période de trois ans " figurant à l'article premier de cet arrêté. La société Inter Prod relève appel du jugement du 20 mars 2018 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le préfet de région sur sa demande.
Sur la fin de non-recevoir opposée aux écritures du ministre en défense :
2. Aux termes de l'article R. 431-12 du code de justice administrative relatif à la représentation de l'Etat devant les cours administratives d'appel : " L'Etat est dispensé du ministère d'avocat soit en demande, soit en défense, soit en intervention. / Les recours, les mémoires en défense et les mémoires en intervention présentés au nom de l'Etat sont signés par le ministre intéressé ".
3. En application de ces dispositions seul le ministre de la culture a qualité pour présenter des observations en défense dans la présente instance. La fin de non-recevoir opposée par la société requérante aux écritures en défense du ministre doit, par suite, être écartée.
Sur la régularité du jugement :
4. En premier lieu, si la société Inter Prod soutient que les premiers juges ont omis de statuer sur ses conclusions tendant à la transmission d'une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, il ressort de l'examen des écritures de première instance que la société s'était bornée à indiquer que " si le juge administratif s'estime insuffisamment éclairé, il lui est loisible de solliciter l'avis de la cour de justice de l'Union européenne ". Une telle mention ne constitue pas l'énoncé de conclusions au sens de l'article R. 411-1 du code de justice administrative. Le Tribunal administratif de Montreuil, en tout état de cause, n'a donc pas entaché son jugement d'irrégularité en s'abstenant de statuer sur cette demande.
5. En second lieu, la société requérante soutient que les écritures en défense du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, étaient irrecevables à raison de la situation de conflit d'intérêt dans laquelle il se trouve. Toutefois, la circonstance que le préfet de région siège en qualité de représentant de l'Etat au conseil d'administration de divers organismes à caractère culturel et établissements de spectacles n'est pas de nature à créer une situation de conflits d'intérêts qui s'opposerait à ce qu'il puisse représenter l'Etat dans une instance mettant en cause une décision prise par lui en matière de licence d'entrepreneur de spectacles vivants. C'est donc sans entacher son jugement d'irrégularité que le Tribunal administratif de Montreuil n'a pas écarté des débats les écritures en défense du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la correction de la dénomination dans l'arrêté du 3 octobre 2014 de l'organisme bénéficiaire de la licence :
6. La société Inter Prod soutient que le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, aurait dû faire droit à sa demande de rectification, dès lors que la " SASU Arte Factory Agency ", mentionnée dans l'arrêté du 3 octobre 2014, " n'existe pas " et que la dénomination sociale de l'organisme est " SASU Inter Prod ". Il ressort du formulaire CERFA de demande de licence d'entrepreneur de spectacles vivants, rempli par M. B... C... le 1er septembre 2014, que le seul nom indiqué par ce dernier au titre de l'identification de l'organisme était " Arte Factory Agency ". Il suit de là que, dès lors que l'arrêté du 3 octobre 2014 ne comporte pas une erreur matérielle imputable à l'administration, le préfet, saisi près de deux ans après l'édiction de cette décision, a pu, sans entacher sa décision d'illégalité, rejeter implicitement la demande de la société Inter Prod tendant à la correction de cette décision.
7. Le présent litige n'ayant pas pour finalité la mise en oeuvre du droit d'accès et de rectification dont dispose la société Inter Prod sur les informations et données mentionnées à l'article L. 114-8 du code des relations entre le public et l'administration, elle ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance desdites dispositions. Il en va de même de celles de l'article 1047 du code de procédure civile, relative aux rectifications des actes de l'état civil.
En ce qui concerne la suppression de la mention " pour une durée de trois ans " figurant dans l'arrêté du 3 octobre 2014 :
8. Aux termes de l'article L. 7122-9 du code du travail, en vigueur à la date de l'arrêté du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris : " La licence d'entrepreneur de spectacles vivants est délivrée pour une durée déterminée renouvelable. ". Selon l'article R. 7122-4 du même code : " Lorsque l'entrepreneur de spectacles vivants est établi en France, la licence d'entrepreneur de spectacles vivants est délivrée par le préfet de région du lieu de l'établissement principal de l'entreprise de spectacles vivants pour une durée de trois ans renouvelable. Cette licence est accordée après avis motivé de la commission consultative régionale mentionnée à l'article R. 7122-18. ".
9. En délivrant " pour une durée de trois ans " la licence d'entrepreneur de spectacles vivants à M. C..., le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, a fait une exacte application des dispositions précitées du code du travail. La société requérante soutient toutefois que la limitation ainsi apportée à la durée de validité de sa licence méconnaît les dispositions de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.
10. Aux termes de l'article 9, paragraphe 1, de cette directive : " Les Etats membres ne peuvent subordonner l'accès à une activité de service et son exercice à un régime d'autorisation que si les conditions suivantes sont réunies : a) le régime d'autorisation n'est pas discriminatoire à l'égard du prestataire visé ; b) la nécessité d'un régime d'autorisation est justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général ; c) l'objectif poursuivi ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu'un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle ". Aux termes de l'article 11, paragraphe 1, de cette même directive : " L'autorisation octroyée au prestataire ne doit pas avoir une durée limitée à l'exception des cas suivants : a) l'autorisation fait l'objet d'un renouvellement automatique ou est subordonnée seulement à l'accomplissement continu d'exigences ; b) le nombre d'autorisations disponible est limité par une raison impérieuse d'intérêt général ; ou c) une durée limitée d'autorisation est justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général ".
11. La transposition en droit interne des directives communautaires, qui est une obligation résultant du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, revêt, en vertu de l'article 88-1 de la Constitution, le caractère d'une obligation constitutionnelle. Il appartient au juge national, juge de droit commun de l'application du droit communautaire, de garantir l'effectivité des droits que toute personne tient de cette obligation à l'égard des autorités publiques. Tout justiciable peut en conséquence demander l'annulation des dispositions règlementaires qui seraient contraires aux objectifs définis par les directives et, pour contester une décision administrative, faire valoir, par voie d'action ou par voie d'exception, qu'après l'expiration des délais impartis, les autorités nationales ne peuvent ni laisser subsister des dispositions réglementaires, ni continuer de faire application des règles, écrites ou non écrites, de droit national qui ne seraient pas compatibles avec les objectifs définis par les directives. En outre, tout justiciable peut se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive, lorsque l'État n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires.
12. Ainsi que le Tribunal administratif de Montreuil l'a jugé, la directive 2006/123/CE a été transposée dans le droit interne par la loi n° 2011-302 du 22 mars 2011 et par le décret n° 2011-994 du 23 août 2011 relatif à la licence d'entrepreneur de spectacles vivants. La société Inter Prod ne peut donc pas se prévaloir de la méconnaissance des dispositions de l'article 11 de cette directive à l'appui de sa requête dirigée contre la décision individuelle dont s'agit. Elle ne peut que tenter d'exciper de l'incompatibilité des dispositions légales ou réglementaires dont la décision individuelle fait application, aux objectifs de cette directive qu'elles transposent.
13. Le ministre de la culture fait valoir en défense que les dispositions précitées du code du travail, qui limitent la durée de validité d'une licence d'entrepreneur de spectacles vivants, ne sont pas incompatibles avec les objectifs de la directive dès lors qu'une telle durée limitée est justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général tenant à la sécurité publique, la santé publique, la protection des travailleurs de ce secteur et la propriété intellectuelle.
14. Aux termes de l'article 4 de la directive 2006/123/CE déjà mentionnée: " Aux fins de la présente directive, on entend par : / (...) 8) " raisons impérieuses d'intérêt général ", des raisons reconnues comme telles par la jurisprudence de la Cour de justice, qui incluent les justifications suivantes: l'ordre public, la sécurité publique, la santé publique, la préservation de l'équilibre financier du système de sécurité sociale, la protection des consommateurs, des destinataires de services et des travailleurs (...), la propriété intellectuelle, la conservation du patrimoine national historique et artistique, des objectifs de politique sociale et des objectifs de politique culturelle ; / (...) ".
15. Il est constant que le régime d'autorisation d'une durée de trois ans renouvelable instauré par les articles L. 7122 et R. 7122-4 du code du travail, s'applique à toute personne souhaitant produire des spectacles vivants, et ne revêt pas, dès lors, de caractère discriminatoire. Par ailleurs, ce régime d'autorisation temporaire a notamment pour objet la protection des travailleurs de ce secteur et la protection de la propriété intellectuelle. Il est dès lors justifié par des raisons impérieuses d'intérêt général telles que définies par l'article 4 cité ci-dessus de la directive. Si d'autres mécanismes, tels que les contrôles de l'inspection du travail, permettraient, selon la société requérante, de poursuivre l'objectif de respect de la règlementation du travail, ils ne peuvent tenir lieu de contrôle régulier et automatique du respect de cette règlementation, et ne permettraient pas, en tout état de cause, de poursuivre des objectifs d'intérêt général tel que la protection de la propriété intellectuelle. Dès lors, l'existence de tels contrôles ne permet pas de considérer que l'instauration d'un régime d'autorisation temporaire, qui permet de rechercher de manière cohérente et systématique la réalisation des objectifs d'intérêt général poursuivis, serait disproportionnée par rapport à ces objectifs et que ceux-ci pourraient être atteints par une mesure moins contraignante. Ainsi, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions précédemment citées du code du travail seraient incompatibles au regard des objectifs de l'article 11, paragraphe 1, de la directive 2006/123/CE.
16. Ainsi qu'il vient d'être dit, le régime d'autorisation d'une durée de trois ans renouvelable instauré par les articles L. 7122 et R. 7122-4 du code du travail s'applique à l'ensemble des opérateurs, quel que soit leur régime juridique et ne présente donc pas un caractère discriminatoire. Si le préfet de région, compétent pour délivrer la licence d'entrepreneur de spectacles vivants et en prononcer le renouvellement, est, par ailleurs, amené à participer, en sa qualité de représentant de l'Etat, au conseil d'administration de divers établissements de spectacles, il ne se trouve pas, de ce seul fait, en situation de conflit d'intérêts. La société Inter Prod n'est par suite pas fondée à invoquer l'existence d'un tel conflit d'intérêt pas plus qu'à mettre en cause, sans le moindre commencement de preuve, l'objectivité de l'autorité administrative dans l'instruction et la délivrance des licences de spectacles vivants ou dans leur renouvellement. La société requérante n'établit pas ainsi que le régime d'autorisation en cause serait discriminatoire et, par suite, incompatible avec l'article 9 précédemment cité de la directive 2006/123/CE.
17. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que le moyen tiré par voie d'exception de l'incompatibilité des dispositions précédemment citées du code du travail au regard des objectifs de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 doit être écarté.
18. Le régime d'autorisation à durée limitée en matière de spectacles vivants, justifié ainsi qu'il a été dit par des raisons impérieuses d'intérêt général, qui n'a ni pour objet ni pour effet de permettre à l'administration de se prononcer lors de la demande de renouvellement de la licence, sur la qualité du travail fourni par le pétitionnaire au cours des trois années précédentes, ni de créer une " police des spectacles ", mais seulement de s'assurer du respect des conditions légales d'exercice de leur activité par les entreprises de spectacles vivants, ne contrevient pas aux principes de la liberté de la création artistique et de la diffusion de la création artistique. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 13 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de la loi du 7 juillet 2016 doit, par suite, être écarté. Il en est de même, en tout état de cause, de celui tiré de la méconnaissance des stipulations de la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles du 20 octobre 2005.
19. Il résulte de tout ce qui précède que la société Inter Prod n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, doivent également être rejetées ses conclusions aux fins d'injonction, ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Inter Prod est rejetée.
N° 18VE01827 2