Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 12 avril 2018, Mme E..., représentée par Me de Lavaur, avocat, demande à la Cour :
A titre principal :
1° d'infirmer en tout point le jugement du Tribunal administratif de Versailles ;
2° d'ordonner, une nouvelle expertise judiciaire confiée à un expert spécialisé en gynécologie-obstétrique et un expert spécialisé en psychologie ;
A titre subsidiaire :
3° de condamner le centre hospitalier de Longjumeau à lui verser la somme de 20 000 euros majorée des intérêts au taux légal calculés à compter de sa demande préalable et capitalisés ;
En tout état de cause :
4° de mettre à la charge du centre hospitalier de Longjumeau une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens de l'instance.
Elle soutient que :
- le rapport d'expertise du docteur Boutin est insuffisant à éclairer la Cour ;
- elle n'a reçu aucune information sur les risques encourus à l'occasion de son opération, non plus que sur les éventuelles alternatives thérapeutiques ; si elle avait été informée des risques encourus, elle aurait choisi de différer l'opération ;
- l'expert n'a pas écarté l'hypothèse que la complication dont elle a été victime résulte d'une faute technique ; elle a perdu une chance d'éviter la survenue de cette complication ; l'expert n'a pas évalué cette perte de chance ;
- la perte de son dossier médical par le centre hospitalier est de nature à lui causer un préjudice ;
- l'expert n'a pas été en mesure de se prononcer sur son préjudice psychologique et ne s'est pas prononcé sur son préjudice sexuel ;
- le préjudice moral résultant de la perte de son dossier doit être évalué à la somme de 10 000 euros et son préjudice d'impréparation à la même somme de 10 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juillet 2018, le centre hospitalier de Longjumeau et la Société hospitalière d'assurance mutuelle (SHAM), représentés par Me D..., demandent à la cour :
1° d'accueillir leur recours incident et d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Versailles du 13 février 2018 en tant qu'il l'a condamné à verser à Mme E... la somme de 1 000 euros ;
2° en toute hypothèse, de rejeter la requête.
Ils font valoir que :
- une nouvelle expertise serait frustratoire ;
- aucun défaut d'information ne peut être imputé au centre hospitalier dès lors que les éléments ont été communiqués oralement à la patiente ;
- en tout état de cause, un défaut d'information n'engage la responsabilité du centre hospitalier que si ce manquement a fait perdre au patient une chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé ; en l'espère, la patiente n'aurait pu se soustraire à l'opération ;
- il ne ressort pas des pièces du dossier que le préjudice d'impréparation dont se prévaut la requérante aurait été sous-évalué ;
- le rapport d'expertise est sans ambiguïté sur l'absence de faute médicale à l'origine de la sténose dont la patiente a été victime ;
- la requérante ne démontre aucun préjudice consécutif à la perte de son dossier médical.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F...,
- les conclusions de Mme Grossholz, rapporteur public,
- les observations de Me C..., substituant Me D..., pour le centre hospitalier de Longjumeau et la SHAM.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., alors âgée de 31 ans, a subi, en raison de résultats de frottis anormaux, une colposcopie et une double biopsie du col utérin qui ont révélé, le 14 juin 2001, la présence de " lésions malpighiennes intra épithéliales de haut grade (CIN II) sans signe d'infection à HPV". Le 13 septembre 2001, quatre nouvelles biopsies ont confirmé une " dysplasie modérée (CIN II) ". Mme E... étant alors enceinte de trois mois, l'intervention de conisation a été repoussée. Deux mois après l'accouchement, le 10 juin 2002, deux nouvelles biopsies réalisées au centre hospitalier de Longjumeau ont révélé la présence de lésions de haut grade (CIN III) et conduit à une intervention de conisation avec électro-résection du col utérin pratiquée par le docteur Thaler le 5 août 2002. A la suite de cette intervention, Mme E... a consulté le 2 décembre 2002, puis en urgence le 20 janvier 2003, pour des douleurs pelviennes et des vomissements. Il a été diagnostiqué une sténose complète du col et un hématocolpos secondaire à cette sténose. Le 22 janvier 2003, le Docteur Bailly Salin a réalisé au centre hospitalier de Longjumeau une intervention consistant en une dilatation progressive du col dont le bilan post opératoire s'est avéré normal. En avril 2004, Mme E... a consulté pour infertilité au centre hospitalier de Nanterre. A l'occasion du bilan effectué, un kyste ovarien et une récidive de la sténose ont été constatés justifiant que Mme E... soit de nouveau opérée par coelioscopie le 28 avril 2004. Afin de pouvoir mener à bien sa troisième grossesse, Mme E... bénéficiera d'inséminations intra-utérines permettant de conduire à la grossesse désirée et à un accouchement par césarienne en 2005. Afin d'obtenir réparation des préjudices qu'elle estime imputables aux fautes commises par le centre hospitalier de Longjumeau dans le cadre de sa prise en charge, Mme E... a présenté une demande préalable indemnitaire le 6 mars 2015, rejetée par une décision explicite du centre hospitalier le 3 avril 2015. Mme E... a alors saisi le Tribunal administratif de Versailles d'une demande indemnitaire. Par un jugement en date du 13 février 2018, le tribunal administratif a partiellement fait droit à cette demande en accordant à Mme E... une somme de 1 000 euros au titre de son préjudice d'impréparation. Il a également mis les dépens à la charge du centre hospitalier. Mme E... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires et sa demande d'expertise complémentaire. Le centre hospitalier présente, quant à lui, un appel incident contre ce même jugement.
Sur la recevabilité des conclusions présentées contre la SHAM, assureur du centre hospitalier :
2. Il résulte de l'instruction que la SHAM, assureur du centre hospitalier de Longjumeau, n'avait pas été mise en cause en première instance et ne devait d'ailleurs pas nécessairement l'être à défaut de conclusions dirigées contre elle. Dès lors, si Mme E... a présenté sa requête d'appel comme étant dirigée tant contre le centre hospitalier que contre son assureur, la SHAM, ces conclusions présentées pour la première fois, et donc nouvelles, en appel, doivent être rejetées comme irrecevables.
Sur la responsabilité du centre hospitalier de Longjumeau :
S'agissant de la faute médicale :
3. Aux termes de l'article L.1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".
4. Il résulte de l'instruction, et notamment des termes du rapport d'expertise rédigé par le Docteur Boutin, gynécologue-obstétricien, dont les termes sont suffisamment précis sur ce point, qu'aucune faute médicale ou de soins, ni de faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service lors du traitement des lésions précancéreuses, ni lors de la prise en charge de la sténose de Mme E... n'a été commise par l'équipe médicale. S'il résulte des termes de ce même rapport d'expertise que la hauteur de la conisation aurait pu être moindre, l'expert a également rappelé que la sténose du col reste un aléa thérapeutique qui peut survenir sur de petites conisations, qu'elle est imprévisible et que la conisation peut provoquer, même tardivement, un rétrécissement qui empêche l'écoulement normal des règles et la surveillance du col. Ainsi, si Mme E... a été victime, un temps, d'une infertilité secondaire à la conisation, infertilité qui a au demeurant été surmontée grâce aux inséminations artificielles dont la patiente a été victime, les préjudices en résultant ne peuvent être regardés comme la conséquence d'une faute médicale qui engagerait la responsabilité du centre hospitalier de Longjumeau.
S'agissant du défaut d'information de la patiente :
5. Aux termes de l'article L.1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver. Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. (...) "
6. Si le centre hospitalier de Longjumeau soutient que l'information a été donnée oralement à la patiente lors de l'entretien qui a précédé l'intervention, il n'apporte aucun élément de nature à établir que Mme E... aurait effectivement bénéficié d'une information portant sur les risques dont la réalisation était la conséquence possible de l'opération. Le rapport d'expertise relève d'ailleurs " il n'est pas noté sur le dossier si le Dr Thaler a informé Mme E... des risques liés à l'électro résection du col " et que " l'information de la patiente, par le Dr Tahler, concernant les risques liés à la conisation n'est pas établie ". Dès lors, Mme E... est fondée à soutenir que le centre hospitalier a commis une faute en s'abstenant de l'informer des risques inhérents à une résection du col de l'utérus par électro résection.
S'agissant de la perte du dossier médical de la patiente :
7. Le centre hospitalier de Longjumeau ne conteste pas ne pas être en mesure de présenter le dossier médical de la patiente. Il n'a, pas davantage, été en mesure de remettre ce dernier à l'expert pour la rédaction de son rapport. Mme E... est dès lors fondée à soutenir que le centre hospitalier a commis une faute de ce fait.
Sur les préjudices :
En ce qui concerne les préjudices conséquences du défaut d'information de la patiente :
8. En appel, la requérante détaille ces postes de préjudice et se prévaut, d'une part, d'un préjudice de perte de chance de différer l'intervention chirurgicale du 5 août 2002 et, d'autre part, d'un préjudice moral d'impréparation.
9. Il résulte du rapport d'expertise du Docteur Boutin qu'il n'existait pas d'alternative à la conisation pratiquée, la seule alternative à la conisation étant l'hystérectomie (ablation de l'utérus avec le col), inenvisageable chez la patiente qui était désireuse de grossesse. Par ailleurs, il résulte du rapport de l'expert qu'il était " impensable de ne pas intervenir sur la lésion du col qui aurait évolué en cancer invasif " et que la conisation était donc " impérative ". Ainsi, et alors que l'intervention chirurgicale du 5 août 2002 avait déjà été différée compte tenu de l'état de grossesse de la patiente, il ne résulte pas de l'instruction que l'opération, qui a été menée conformément aux bonnes pratiques médicales en vigueur ainsi que le rappelle le rapport de l'expert, aurait pu être une nouvelle fois reportée dans le temps sans risque pour la santé de la patiente qui ne peut ainsi être regardée comme ayant perdu une chance de se soustraire aux difficultés qu'elle a rencontrée en conséquence de son infertilité post opératoire temporaire.
10. Mme E... est en revanche fondée, ainsi que l'ont jugé les premiers juges, à se prévaloir d'un préjudice moral d'impréparation liée à l'infertilité rencontrée dans un contexte de désir de grossesse constamment réaffirmé auprès de l'équipe médicale. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de poste de préjudice en portant la somme allouée à ce titre par les premiers juges à la somme de 1 500 euros.
En ce qui concerne le préjudice lié à la perte du dossier médical de la patiente :
11. Mme E... se prévaut d'un préjudice moral lié à la perte de son dossier médical par le centre hospitalier, perte qui ne lui aurait pas permis de connaître les conditions dans lesquelles s'est déroulée l'intervention du 5 août 2002 et de s'assurer de la conformité du geste médical aux données de la science. Si le rapport d'expertise rédigé par le Docteur Boutin a permis de lever les doutes sur ce point, il demeure que la perte du dossier médical de la patiente a contribué à l'anxiété vécue par cette dernière dans un contexte, sus rappelé, de défaut d'information de Mme E... sur les risques inhérents à l'intervention chirurgicale subie. Mme E... est dès lors fondée à demander l'indemnisation du préjudice moral lié à la perte de son dossier médical. Dans les circonstances particulières de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en lui accordant une somme de 500 euros.
12. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de désigner un nouvel expert, Mme E... est seulement fondée à demander que l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier de Longjumeau par le Tribunal administratif de Versailles soit portée à la somme de 2 000 euros. Le surplus des conclusions de sa requête ainsi que les conclusions d'appel incident présentées par le centre hospitalier et son assureur doivent dès lors être rejetés.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
13. Mme E... est fondée à demander que cette somme de 2 000 euros soit majorée des intérêts au taux légal, à compter de la date de réception par le centre hospitalier de sa réclamation préalable du 6 mars 2015, soit le 10 mars 2015. En outre, il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts échus au 12 avril 2018, date d'enregistrement des premières conclusions de Mme E... en ce sens, puis à chaque échéance annuelle ultérieure.
Sur les dépens :
14. Dans les circonstances de l'espèce, c'est à bon droit que le Tribunal administratif de Versailles a mis à la charge du centre hospitalier de Longjumeau les frais d'expertise taxés et liquidés par l'ordonnance du 25 avril 2013 de son Président à la somme de 2 363 euros.
Sur les frais liés au litige :
15. Il résulte des dispositions des articles 75-1 de la loi du 10 juillet 1991, codifiée à l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et des articles 37 et 43 de la même loi, que le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle ne peut demander au juge de mettre à la charge, à son profit, de la partie perdante que le paiement des seuls frais qu'il a personnellement exposés, à l'exclusion de la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle confiée à son avocat. Mais, l'avocat de ce bénéficiaire peut demander au juge de mettre à la charge de la partie perdante la somme correspondant à celle qu'il aurait réclamée à son client, si ce dernier n'avait eu l'aide juridictionnelle, à charge pour l'avocat qui poursuit le recouvrement à son profit de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
16. D'une part, Mme E..., pour le compte de laquelle les conclusions de la requête relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être réputées présentées, n'allègue pas avoir exposé de frais autres que ceux pris en charge par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale qui lui a été allouée. D'autre part, l'avocat de Mme E... n'a pas demandé que lui soit versée par le centre hospitalier la somme correspondant aux frais exposés qu'il aurait réclamée à sa cliente si cette dernière n'avait bénéficié d'une aide juridictionnelle totale. Dans ces conditions, les conclusions de la requête tendant à ce qu'il soit mis à la charge du centre hospitalier de Longjumeau une somme de 3 000 sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 1 000 (mille) euros dont le versement à Mme E... a été mis à la charge du centre hospitalier de Longjumeau par l'article 1er du jugement n° 1506787 du Tribunal administratif de Versailles du 13 février 2018 est portée à la somme de 2 000 (deux mille) euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 10 mars 2015 et les intérêts échus le 12 avril 2018 seront capitalisés à cette date ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement n° 1506787 du 13 février 2018 du Tribunal administratif de Versailles est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de Mma E... et les conclusions d'appel incident du centre hospitalier de Longjumeau et de la SHAM sont rejetés.
N°18VE01253 2