Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 juin 2013 et
27 janvier 2015, la société FIT, représentée par Me Brousseau, avocat, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de condamner France Agrimer à lui verser la somme de 5 975 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de sa réclamation préalable, et de la capitalisation des intérêts à compter du 6 décembre 2011 ;
3° de mettre à la charge de France Agrimer la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif a méconnu l'autorité de la chose jugée par l'ordonnance du juge du référé contractuel du Tribunal administratif de Montreuil du 9 juin 2010, qui a retenu qu'elle avait perdu une chance d'obtenir l'attribution de plusieurs lots du marché en cause ;
- le tribunal administratif n'a pas tiré les conséquences de la méconnaissance par France Agrimer de l'article 53 du code des marchés publics ; le système de notation retenu n'était pas cohérent, le critère du prix le plus bas, appliqué de telle sorte que les deux autres critères prévus étaient neutralisés, ne permettant pas de déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse ; France Agrimer aurait dû retenir le critère du volume de produits offerts ou celui de la valeur du total de produits offerts ;
- il appartenait au tribunal d'apprécier ses chances d'obtenir le marché en retenant les critères du volume de produits offerts ou de la valeur du total de produits offerts ; avec de tels critères, elle avait des chances sérieuses de remporter nombre de lots ; en outre, aucun texte n'oblige France Agrimer à valoriser les produits d'intervention au prix d'intervention et la recherche de l'offre économiquement avantageuse ne peut reposer sur la nécessité de maintenir une équivalence entre les prestations réciproques des parties ;
- le préjudice doit être fixé à la somme de 5 975 000 euros, la prétendue absence de causalité directe entre l'absence d'obtention des lots litigieux et les achats de beurre ou de poudre de lait étant inopérante ; il prend en compte le bénéfice net, égal à une différence de marge.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement du Conseil de l'Union européenne n° 1234/2007 du 22 octobre 2007 ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pilven ;
- les conclusions de Mme Mégret, rapporteur public ;
- les observations de Me Brousseau pour la société FIT et celles de Me A...pour France Agrimer.
1. Considérant que, par un avis d'appel public à la concurrence, publié le
27 janvier 2010, l'établissement public France Agrimer a engagé une procédure de passation d'un marché ayant pour objet la fourniture et la livraison de quatre-vingt-douze lots de produits alimentaires à distribuer à des associations caritatives dans le cadre du programme alimentaire européen pour les personnes démunies ; que la société FIT a déposé une offre pour une vingtaine de lots ; que ses offres, à l'exception de l'une d'entre elles, n'ayant pas été retenues, la société FIT a demandé au juge des référés contractuel du Tribunal administratif de Montreuil l'annulation des lots n° 5, 23, 38, 39, 41, 52, 54 et 65 sur le fondement des dispositions des articles L. 551-13 et L. 551-18 du code de justice administrative ; que, par une ordonnance du.
9 juin 2010, le juge des référés a fait droit aux conclusions de la société FIT et ordonné la résiliation de ces lots au motif que les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles leur passation était soumise avaient été méconnues d'une manière affectant les chances de la société FIT d'obtenir les contrats ; que, par une décision du 10 novembre 2010, le Conseil d'Etat a rejeté le pourvoi en cassation formé par France Agrimer contre cette ordonnance en considérant notamment que la société FIT n'avait pu présenter ses offres d'une manière suffisamment éclairée ; que, le 15 septembre 2011, la société FIT, estimant qu'elle disposait de chances sérieuses d'obtenir les lots n° 5, 12, 23, 37, 38, 39, 46, 50, 51, 52, 54, 60, 76, 77, 78, et 79, a formé une demande préalable aux fins d'indemnisation du préjudice résultant de son éviction irrégulière qui a été rejetée le 13 décembre 2011 par le directeur général de France Agrimer ; qu'elle a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de condamner France Agrimer à lui verser la somme de 5 975 000 euros en réparation de ce préjudice ; qu'elle fait appel du jugement du 23 avril 2013 par lequel le tribunal administratif a rejeté cette demande ;
Sur les conclusions indemnitaires :
2. Considérant qu'il appartient au juge, lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier, de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché ; que, dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité ; que, dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre ; qu'il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché ; que, dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique ;
En ce qui concerne le moyen tiré de l'autorité de la chose jugée attachée à l'ordonnance du juge du référé contractuel :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 1351 du code civil : " L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité " ;
4. Considérant que la demande formée par la société FIT devant le juge des référés du Tribunal administratif de Montreuil le 27 mai 2010 tendait à l'annulation de huit des lots
du marché susmentionné et à ce qu'il soit enjoint à France Agrimer de procéder à un nouveau classement des offres pour ces lots ; qu'ainsi qu'il a été dit, par son ordonnance du 9 juin 2010, le juge des référés a ordonné la résiliation de ces lots ; que, dans le cadre du présent litige, la société FIT demande la condamnation de France Agrimer à lui verser la somme de 5 975 000 euros en réparation du préjudice qui aurait résulté pour elle de son éviction irrégulière des seize lots visés au point 1 ; que cette demande ne présente donc pas une identité d'objet avec celle sur laquelle a statué le juge des référés ; que, par suite, la société FIT n'est pas fondée à soutenir qu'en vertu de l'autorité de la chose jugée attachée à l'ordonnance du juge des référés du 9 juin 2010, elle serait fondée à demander la condamnation de France Agrimer à lui verser la somme de 5 975 000 euros en réparation du manque à gagner résultant pour elle de son éviction irrégulière des contrats en litige ;
En ce qui concerne les autres moyens :
5. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 53 du code des marchés publics, dans sa version applicable au présent litige : " I. - Pour attribuer le marché au candidat qui a présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur se fonde : 1° Soit sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché, notamment la qualité, le prix, la valeur technique, le caractère esthétique et fonctionnel, les performances en matière de protection de l'environnement, les performances en matière d'insertion professionnelle des publics en difficulté, le coût global d'utilisation, la rentabilité, le caractère innovant, le service après-vente et l'assistance technique, la date de livraison, le délai de livraison ou d'exécution (...) " ;
6. Considérant que la société FIT soutient que la méthode de notation retenue par France Agrimer n'était pas adaptée au marché en cause, consistant en des échanges de produits d'intervention contre des produits alimentaires finis, que le critère du prix le plus bas n'était pas pertinent et qu'il conviendrait, pour procéder à un classement adéquat des offres, de retenir les critères de la quantité de produits alimentaires finis ou de la quantité valorisée de produits alimentaires finis ; que, toutefois, dans un système d'échange nécessitant pour un candidat de proposer une quantité de produits alimentaires finis en échange d'une quantité fixe de produits d'intervention valorisée selon les dispositions du règlement du Conseil de l'Union européenne n° 1234/2007 du 22 octobre 2007, le prix unitaire de ces produits finis est nécessairement lié à la quantité de produits finis offerts par le candidat afin de correspondre au montant de la quantité valorisée de produits d'intervention ; que, dès lors, le critère du prix unitaire retenu par France Agrimer n'est pas, contrairement à ce que soutient la société requérante, dépourvu de toute pertinence et pouvait légalement être retenu parmi les trois critères prévus pour le classement des offres présentées dans le cadre de l'appel d'offres susmentionné ; que, par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que cette méthode d'évaluation n'aurait pas été respectée, ni que le critère du prix aurait été appliqué de telle sorte que les deux autres critères prévus auraient été neutralisés ; que, par suite, la société requérante n'est pas fondée à se prévaloir d'un classement des offres selon des critères différents de ceux prévus par France Agrimer pour soutenir qu'elle a été privée d'une chance sérieuse d'obtenir les lots en litige, alors au surplus, comme l'a retenu à bon droit le tribunal administratif, qu'il n'appartient pas au juge, saisi de conclusions indemnitaires fondées sur la perte d'une chance d'obtenir un marché, de définir a posteriori une nouvelle méthode de notation ;
7. Considérant, en second lieu, qu'il résulte en revanche de l'instruction que, faute d'avoir été préalablement informée que les offres des candidats seraient jugées en fonction du rapport entre, d'une part, les quantités multipliées par les prix proposés par les candidats et, d'autre part, les quantités de produits d'intervention multipliées par les prix d'intervention, la société FIT a été empêchée de présenter de façon suffisamment éclairée son offre de prix ; qu'il résulte également de l'instruction, ainsi d'ailleurs que l'a jugé le juge des référés du Tribunal administratif de Montreuil par son ordonnance du 9 juin 2010, que la société FIT n'était pas dépourvue de toute chance d'emporter d'autres lots que le lot n° 66, pour lequel elle a été reconnue comme attributaire, si elle avait pu avoir une connaissance suffisamment éclairée de la méthode de classement des offres par France Agrimer ; que, cependant, il ne résulte pas de l'instruction que ce défaut d'information préalable lui aurait fait perdre une chance sérieuse d'obtenir les lots en litige dès lors que la requérante qui, ainsi qu'il a été dit conteste la pertinence des critères retenus par France Agrimer, n'établit pas, ni même n'allègue que la diminution de la quantité de produits finis proposés par elle lui aurait permis de proposer des prix unitaires moins élevés que ceux d'autres candidats ayant obtenu une meilleure note qu'elle pour le critère du prix, ni même que les conditions de cet échange auraient eu une influence sur la détermination de ses prix unitaires ; que, par ailleurs, la circonstance qu'elle ait été privée d'une chance d'obtenir un contrat pour les lots susmentionnés n'est pas de nature à elle seule à établir que cette chance aurait été sérieuse, ni, par suite, à lui ouvrir droit à être indemnisée de son manque à gagner ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société requérante n'établit pas qu'au vu des trois critères prévus pour la notation des offres des candidats, elle aurait eu une chance sérieuse d'emporter les lots en litige et qu'ainsi, ses conclusions tendant à la condamnation de France Agrimer à l'indemniser de son manque à gagner ne peuvent qu'être rejetées ; que, par ailleurs, si la société FIT peut être regardée comme n'ayant pas été dépourvue de toute chance d'emporter ces lots, elle n'apporte aucun élément de nature à permettre à la Cour de statuer sur les frais qu'elle aurait engagés pour présenter ses offres, dont elle ne sollicite d'ailleurs pas le remboursement ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir opposée par France Agrimer, la société FIT n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant que France Agrimer n'étant pas la partie perdante, la société FIT n'est pas fondée à demander qu'une somme soit mise à sa charge en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société requérante, sur le fondement de ces dispositions, une somme de 2 000 euros à verser à France Agrimer ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société FIT est rejetée.
Article 2 : La société FIT versera une somme de 2 000 euros à France Agrimer en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de France Agrimer tendant à l'application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.
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N°13VE02090