Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 juillet 2019, Mme D..., représentée par
Me E..., avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cette décision ;
3°) de mettre à la charge de la commune d'Argenteuil la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision attaquée est entachée d'un défaut de motivation, dès lors que sa demande tendant à la communication de ses motifs, présentée le 8 juin 2017, est restée sans réponse, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation, dès lors que sa demande de protection fonctionnelle est justifiée par la circonstance qu'elle est victime d'agissements répétés de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie et de certains de ses collègues, caractérisés par des actes et propos vexatoires, une dégradation de ses conditions de travail, une atteinte à sa dignité et sa santé ayant entraîné son placement en congé de maladie ; elle a été privée de certains équipements ou moyens d'action ;
- sa dernière affectation doit être regardée comme une sanction déguisée ;
- la décision attaquée est entachée de détournement de pouvoir, dès lors que son véritable objet est de la pousser à démissionner.
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Clot, rapporteur public,
- les observations de Me E..., pour Mme D..., et celles de Me C..., pour la commune d'Argenteuil.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... a été recrutée le 1er avril 2012 par la communauté d'agglomération Argenteuil-Bezons, d'abord en tant que chargée de mission formation puis, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée signé le 1er mars 2015 pour une durée de trois ans, en qualité de directrice de l'emploi, de la formation et de l'insertion. A la suite de la dissolution de cette communauté d'agglomération le 1er janvier 2016, Mme D... a été transférée au sein de la direction de l'éducation et de l'enfance de la commune d'Argenteuil, qui lui a confié des missions relatives à l'enseignement supérieur. Mme D... relève appel du jugement du 4 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le maire de la commune d'Argenteuil sur sa demande de protection fonctionnelle présentée en dernier lieu le 10 octobre 2016.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Si la société requérante soutient que le jugement attaqué est entaché d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation, en particulier parce qu'il serait fondé sur une version lacunaire des dispositions de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration, de tels moyens, qui se rattachent au bien-fondé du raisonnement suivi par le tribunal, ne sont pas de nature à affecter la régularité du jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la légalité externe :
3. Aux termes de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. /
Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ".
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... a présenté le 10 octobre 2016 une demande de protection fonctionnelle qui a été implicitement rejetée par le maire de la commune d'Argenteuil. Si elle fait à cet égard valoir qu'elle a demandé la communication des motifs de cette décision implicite de rejet, il ressort des pièces du dossier que cette demande n'a été adressée à l'administration que le 8 juin 2017, après l'expiration du délai de recours contentieux mentionné à l'article L. 232-4 précité du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, le moyen tiré d'un défaut de motivation de la décision attaquée doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne :
5. D'une part, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ". Aux termes de l'article 11 de cette même loi : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionne. (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. (...) ". Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en oeuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
6. D'autre part, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.
7. Mme D... soutient qu'elle a été victime, à compter de janvier 2016, d'agissements répétés de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie et de certains de ses collègues de la commune d'Argenteuil, caractérisés par des actes et des propos vexatoires, une dégradation de ses conditions de travail, une atteinte à sa dignité et sa santé ayant entraîné un épisode dépressif réactionnel nécessitant son placement en congé de maladie.
8. En premier lieu, si la requérante fait valoir que le directeur général adjoint des services de la commune lui a demandé, dès lors qu'elle ne disposait pas de ses archives, de s'appuyer sur sa mémoire afin d'établir un bilan de ses actions conduites dans ses précédentes fonctions, destiné à l'adjointe au maire déléguée aux questions d'enseignement supérieur, cette démarche ne saurait être regardée comme vexatoire ou méprisante. Il ressort d'ailleurs des pièces du dossier que le directeur général adjoint des services lui a également conseillé à cette occasion de s'appuyer sur ses fichiers informatiques ou sur des copies de documents dont elle avait été l'auteur et susceptibles d'être entre les mains d'autres agents. Si Mme D... fait également valoir que ses relations professionnelles avec certains de ses collègues se sont fortement et rapidement dégradées, et produit à cet égard la copie d'une main courante qu'elle a déposée au commissariat d'Argenteuil le 14 septembre 2016, ce seul document, fondé sur ses propres déclarations, n'est pas de nature à l'établir.
9. En deuxième lieu, s'agissant de la dégradation de ses conditions de travail à compter de sa prise de fonctions au sein de la mairie d'Argenteuil, la requérante fait valoir qu'elle n'a obtenu ni fiche de poste ni directives claires sur ses nouvelles fonctions au sein de la commune d'Argenteuil, qu'elle a subi une perte de responsabilités dès lors que ses fonctions d'encadrement lui ont été irrégulièrement retirées, qu'elle a perdu le titre de directrice, qu'elle a été écartée de la gestion d'un dossier, qu'elle n'a pu accéder immédiatement à ses archives, qu'elle n'a pu utiliser le réseau de la commune et son imprimante, qu'elle n'a pas eu accès au parking de la mairie pendant trois semaines en dépit de demandes répétées, et qu'on lui a attribué un bureau temporaire lors de sa prise de fonctions. Toutefois, s'il est constant que les nouvelles missions attribuées à l'intéressée au sein de la direction de l'éducation et de l'enfance de la mairie d'Argenteuil étaient sans lien avec ses fonctions précédentes, il ressort des pièces du dossier que ces nouvelles tâches s'accompagnaient d'une forte autonomie et impliquaient notamment l'élaboration de stratégies ou la mise en place de partenariats dans le domaine de l'enseignement supérieur. Dans ces conditions, cette nouvelle affectation, qui n'a pas porté atteinte à sa situation professionnelle, ne saurait être regardée comme une sanction déguisée ou faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. En outre, s'il est vrai que, lors de sa prise de fonctions au sein de la mairie d'Argenteuil le 5 janvier 2016, la requérante n'a pas été en mesure de disposer de ses archives papier, il ressort des pièces du dossier que cette difficulté n'a été que temporaire, les documents en question ayant été momentanément égarés lors du déménagement des services de la communauté d'agglomération Argenteuil-Bezons. De même, les circonstances qu'un bureau provisoire lui a été attribué lors de sa prise de fonctions et qu'elle n'a pu temporairement accéder au parking de la mairie ne sont pas, en soi, de nature à faire présumer une situation de harcèlement, alors d'ailleurs, au surplus, que l'intéressée n'établit ni même n'allègue que les services des moyens généraux de la mairie n'auraient accompli aucune démarche visant à remédier à ces difficultés. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces versées au dossier, en particulier d'un courriel du directeur de l'éducation et de l'enfance adressé le 17 mai 2016 à une enseignante de l'université Paris 13, que Mme D... n'aurait pas été, comme elle le fait valoir, conviée à une réunion qui aurait eu lieu le 19 mai 2016 avec cette enseignante et qu'elle avait contribué à organiser. Enfin, la circonstance, à la supposer établie, que Mme D... n'aurait pas été prévenue d'une visite du maire dans son service le 7 septembre 2016 n'est pas de nature à faire présumer l'existence du harcèlement allégué.
10. En troisième lieu, si la requérante fait valoir qu'elle n'a pas obtenu le soutien de sa hiérarchie et qu'elle a sollicité en vain, à deux reprises les 27 janvier 2016 et 9 février 2016, un rendez-vous auprès du directeur des ressources humaines afin de lui faire part des agissements dont elle s'estimait victime, cette circonstance n'est pas de nature à faire présumer le harcèlement qu'elle allègue. S'il ressort des pièces du dossier qu'elle a également sollicité un rendez-vous auprès du directeur général des services de la commune les 4 décembre 2015
et 6 janvier 2016, ces demandes ont été présentées dès sa prise de fonctions, avant le commencement des agissements qu'elle invoque. Par ailleurs, et alors qu'entre le 5 et le 13 janvier 2016, l'intéressée a eu plusieurs échanges avec le directeur général adjoint, relatifs au contenu de commandes qui lui avaient été passées et aux conditions matérielles de sa prise de fonctions, il ressort des pièces du dossier qu'elle a obtenu de sa part le 29 mars 2016 un accord de principe sur le rendez-vous qu'elle avait sollicité le jour même. La commune d'Argenteuil relève d'ailleurs que le directeur de l'enfance et de l'éducation l'a reçue à plusieurs reprises et qu'elle a pu en outre bénéficier d'entretiens avec le médecin du travail et un psychologue. Enfin, si la requérante fait également valoir qu'il lui aurait été conseillé de démissionner, elle ne l'établit par aucune pièce. Dans ces conditions, la requérante ne peut être regardée comme n'ayant pas reçu le soutien et l'attention de ses supérieurs hiérarchiques.
11. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que le refus de protection fonctionnelle dont Mme D... a fait l'objet visait en réalité à provoquer son départ de la collectivité. Ainsi, le détournement de pouvoir allégué par la requérante doit être écarté.
12. Dans ces conditions, et alors même que la santé de Mme D... s'est dégradée en 2017, celle-ci présentant un " épisode dépressif réactionnel ", l'ensemble des éléments exposés ci-dessus ne permet pas de faire présumer l'existence du harcèlement moral dont Mme D... aurait fait l'objet et qui aurait justifié, selon elle, l'octroi de la protection fonctionnelle. Ainsi, l'administration a pu rejeter sa demande de protection fonctionnelle sans entacher sa décision d'erreur de droit ou d'erreur d'appréciation.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la commune d'Argenteuil au titre de ces dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête présentée par Mme D... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune d'Argenteuil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
N° 19VE02745 2