II. M. C... B... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du maire de la commune du Raincy du 26 octobre 2017 portant suspension de fonctions à titre conservatoire pour une durée de quatre mois, d'enjoindre au maire de le rétablir dans sa carrière et sa rémunération, et de " réunir les conditions de sa reprise d'activité ", et de mettre à la charge de la commune du Raincy la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1710557 du 9 novembre 2018, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande et mis à la charge de M. B... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédures devant la Cour :
I. Par une requête, enregistrée sous le n° 18VE02930 le 9 août 2018, M. B..., représenté par Me Grimaldi, avocat, demande à la Cour :
1° d'annuler le jugement n° 1802143 du Tribunal administratif de Montreuil du 22 juin 2018 ;
2° d'annuler l'arrêté du 22 février 2018 ;
3° de mettre à la charge de la commune du Raincy la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les premiers juges ont commis des erreurs manifestes d'appréciation ;
- la décision attaquée est insuffisamment motivée en fait ;
- elle a été prise au terme d'une procédure irrégulière, dès lors que l'avis du conseil de discipline a été rédigé et notifié postérieurement à l'arrêté en litige, en méconnaissance de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 ;
- les faits qui lui sont reprochés ne sont pas établis ;
- la sanction retenue est disproportionnée.
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II. Par une requête, enregistrée sous le n° 19VE00048 le 7 janvier 2019,
M. B..., représenté par Me Grimaldi, avocat, demande à la Cour :
1° d'annuler le jugement n° 1710557 du Tribunal administratif de Montreuil du 9 novembre 2018 ;
2° d'annuler l'arrêté du 26 octobre 2017 ;
3° de mettre à la charge de la commune du Raincy la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'erreurs manifestes d'appréciation ;
- la décision attaquée doit être regardée comme une sanction déguisée ;
- les droits de la défense ont été méconnus, dès lors qu'il n'a été convoqué à aucun entretien préalable, qu'il n'a pas pu faire appel à un défenseur de son choix et qu'il n'a été informé de son droit à communication de son dossier individuel que le 25 novembre 2017, postérieurement à la décision attaquée ;
- la décision attaquée est insuffisamment motivée en fait ;
- elle est infondée.
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Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 89-677 du 18 septembre 1989 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Clot, rapporteur public,
- et les observations de Me E..., pour la commune du Raincy.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né le 5 mars 1968, est titulaire du grade d'attaché territorial principal. Il a été nommé par la voie du détachement dans l'emploi fonctionnel de directeur général des services de la commune du Raincy à compter du 1er mars 2017. Il a été informé par un courrier du 18 septembre 2017 que l'autorité territoriale envisageait de mettre fin à son détachement. Par un arrêté du 26 octobre 2017, D... de la commune du Raincy a suspendu l'intéressé de ses fonctions pour une durée maximale de quatre mois. Par un courrier du 25 novembre 2017, D... de la commune du Raincy a informé M. B... qu'une procédure disciplinaire était engagée à son encontre. Par un arrêté du 26 novembre 2017, D... de la commune du Raincy a mis fin au détachement de l'intéressé à compter du 1er décembre 2017 et l'a réintégré dans le cadre d'emplois des attachés territoriaux. Alors que le conseil de discipline avait émis le 10 janvier 2018 un avis favorable à un avertissement, D... de la commune du Raincy, par un arrêté du 22 février 2018, a prononcé à l'encontre de M. B... une sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quatre mois. M. B... relève appel des jugements des 22 juin 2018 et 9 novembre 2018 par lesquels le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des arrêtés susmentionnés des 26 octobre 2017 et 22 février 2018.
2. Les requêtes nos 18VE02930 et 19VE00048 présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la légalité de l'arrêté du 26 octobre 2017 portant suspension de fonctions à titre conservatoire pour une durée de quatre mois :
3. Aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. (...) ".
4. La mesure provisoire de suspension prévue par les dispositions précitées ne présente pas par elle-même un caractère disciplinaire. Elle est uniquement destinée à écarter temporairement un agent du service, en attendant qu'il soit statué disciplinairement ou pénalement sur sa situation. Elle peut être légalement prise dès lors que l'administration est en mesure d'articuler à l'encontre de l'intéressé des griefs qui ont un caractère de vraisemblance suffisant et qui permettent de présumer que celui-ci a commis une faute grave. Elle n'a pas, en conséquence, à être précédée de la communication à l'intéressé de son dossier, ni à être prise à la suite d'une procédure comportant les garanties de la procédure disciplinaire.
5. Pour prononcer la suspension de M. B... pour une durée de quatre mois à compter du 26 octobre 2017, D... de la commune du Raincy s'est fondé sur les circonstances suivantes : mise en cause injurieuse du maire à l'égard de tiers ; comportement envers les élus de la ville du Raincy ; différents manquements au devoir de réserve ; manifestations de déloyauté et actes répétés d'insubordination ; refus d'obéissance et insubordination le 25 octobre 2017 ; comportement vis-à-vis des fonctionnaires placés sous son autorité.
6. En premier lieu, pour établir que M. B... aurait mis en cause D... de manière injurieuse, la commune du Raincy se borne à produire une attestation établie le 12 octobre 2017 par un consultant chargé d'un audit sur le fonctionnement des services de la commune, selon lequel M. B... aurait déclaré s'adressant à lui : " vous travaillez pour un psychopathe ". Cette attestation indique également que tous les agents étaient en pause déjeuner lors de cette déclaration. Ainsi, aucun autre témoignage ne permet de corroborer la nature des propos tenus par M. B.... Ce dernier en conteste l'existence et fait valoir que les liens entretenus entre la commune et ce consultant ne permettent pas de considérer que ce reproche présentait un caractère de vraisemblance suffisant. En tout état de cause, à supposer même que la matérialité de ce fait puisse être retenue, compte tenu du contexte dans lequel ce propos injurieux aurait été proféré, de la circonstance qu'il n'aurait été entendu que par ce seul consultant et de la nature de la mission dévolue à ce dernier, il ne peut être regardé comme permettant de présumer que M. B... avait commis une faute grave.
7. En deuxième lieu, si les pièces du dossier, en particulier les courriels, permettent d'établir que M. B... a pu utiliser un ton ironique ou impertinent dans ses échanges avec les élus, il n'en résulte cependant aucun fait permettant de présumer l'existence d'une faute.
8. En troisième lieu, si M. B... a créé un dossier informatique partagé, accessible à tous les agents de la commune, ayant pour titre " harcèlement ", et a par ailleurs conseillé à un agent de déposer une main courante pour des faits de harcèlement moral mettant en cause D... de la commune, ces actions étaient conformes à ses obligations de directeur général des services et ne faisaient présumer l'existence d'aucune faute.
9. En quatrième lieu, si M. B... a adressé le 26 octobre 2017 une lettre de soutien à un autre agent faisant l'objet d'une procédure disciplinaire, les termes mesurés de ce courrier ne font pas présumer l'existence d'une faute grave. Il en va de même de la circonstance que le requérant a placé dans le dossier informatique partagé précité la copie d'un courrier adressé par lui au maire de la commune le 23 octobre 2017 relatif à la situation de l'agent ayant déposé une main courante.
10. En cinquième lieu, si M. B... a accordé des congés au directeur des services informatiques, le courriel adressé à cet agent le 25 octobre 2017 indique que cette décision est prise " sauf décision contraire de M. D... ". L'altercation survenue à ce sujet entre D... et M. B... ce même jour à 17 h 30, ce dernier ayant alors indiqué à l'élu qu'il quittait le service et ayant refusé de lui communiquer sur le champ la liste des agents ayant bénéficié de congés, ne peut être regardée comme faisant présumer l'existence d'une faute grave, compte tenu du contexte général de fortes tensions existant au sein des services de la commune.
11. Enfin, dans ce même contexte, le comportement déplacé de M. B... à l'occasion de la prise de poste de la responsable du service de l'urbanisme de la commune ne faisait pas davantage présumer l'existence d'une faute grave.
12. Dans ces conditions, si certains des faits reprochés à M. B... présentaient un caractère de vraisemblance suffisant, ils ne permettaient cependant pas de présumer que l'intéressé avait commis une faute grave. Le requérant est ainsi fondé à soutenir que l'arrêté en litige méconnaît les dispositions précitées de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.
13. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 9 novembre 2018, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 octobre 2017 portant suspension de fonctions à titre conservatoire.
Sur la légalité de l'arrêté du 22 février 2018 portant exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quatre mois :
14. Aux termes de l'article 30 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : (...) Troisième groupe : (...) l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans (...) ".
15. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
16. Il résulte des termes mêmes de l'arrêté du 22 février 2018 portant exclusion temporaire de fonctions de quatre mois que cette sanction a été prise pour des motifs identiques à ceux retenus dans l'arrêté du 26 octobre 2017 portant suspension de fonctions à titre conservatoire. Si les faits reprochés à M. B..., tels qu'ils sont décrits aux points 6, 9, 10 et 11 qui précèdent, peuvent être regardés comme établis et ont un caractère fautif, ils ne présentent pas en revanche un caractère de gravité suffisant pour justifier une exclusion temporaire de fonctions d'une durée de quatre mois, eu égard notamment à la circonstance que M. B... n'avait alors fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire. Ainsi, M. B... est fondé à soutenir que la sanction retenue par D... de la commune du Raincy est disproportionnée.
17. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 22 juin 2018, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 février 2018.
Sur les frais liés aux instances :
18. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par la commune du Raincy soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune du Raincy le versement d'une somme de 2 000 euros à M. B... au titre des mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1802143 du 22 juin 2018 et le jugement n° 1710557 du 9 novembre 2018 du Tribunal administratif de Montreuil sont annulés.
Article 2 : Les arrêtés du maire de la commune du Raincy des 26 octobre 2017 et 22 février 2018 sont annulés.
Article 3 : Le commune du Raincy versera à M. B... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Nos 18VE02930... 2