Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 novembre 2020 et 9 février 2021, Mme B... E..., représentée par Me Bensasson, avocat, demande à la cour :
1°) de confirmer le jugement du tribunal administratif de Versailles en tant qu'il a déclaré sa requête recevable ;
2°) d'infirmer ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions ;
3°) de condamner la commune d'Yerres à lui verser la somme de 50 000 euros au titre des dommages et intérêts pour réparation de l'ensemble des préjudices subis ;
4°) de condamner la commune d'Yerres au versement des intérêts de droit à compter de la réclamation préalable et à leur capitalisation ;
5°) de mettre à la charge de la commune de Yerres la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête dirigée contre la décision implicite de rejet née le 10 septembre 2018 est recevable puisque la décision du 14 septembre 2018 n'est pas une décision explicite de rejet et que cette dernière ne saurait se substituer à la décision du 10 septembre 2018 ;
- elle a été victime de faits constitutifs de harcèlement moral de la part de sa supérieure, dont elle établit la réalité ;
- l'administration a aussi commis une faute en restant inactive ;
- ces fautes lui ont causé un préjudice moral et financier.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 11 janvier et 14 avril 2021, la commune d'Yerres, représentée par Me Paillard, avocat, conclut au rejet de la requête de Mme E... et demande à la cour de mettre à la charge de Mme E... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable en raison de l'absence de décision administrative préalable ;
- les moyens soulevés par Mme E... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mauny,
- les conclusions de Mme Bobko, rapporteure publique,
et les observations de Mme E... et de Me Legrand représentant la commune d'Yerres.
Une note en délibéré présentée pour Mme E... a été enregistrée le 4 octobre 2021.
Considérant ce qui suit :
1. Recrutée en 1989 puis titularisée en qualité d'agente administrative le 1er novembre 1994 par la commune d'Yerres, Mme E... exerce depuis 2011 au service de l'accueil du public de l'hôtel de ville d'Yerres, au " guichet famille ". Mme E... a été placée en congé longue maladie à partir du 28 février 2017. Le 14 mars 2018, elle a déposé une plainte pour harcèlement à l'encontre de ses deux supérieures hiérarchiques. Par une lettre du 6 juillet 2018 envoyée le 9 juillet 2018, Mme E... a demandé à la commune d'Yerres de l'indemniser de son préjudice. Par un courrier du 14 septembre 2018, la commune d'Yerres a accordé la protection fonctionnelle à Mme E... et lui a demandé de préciser sa demande indemnitaire. Par un jugement du 21 septembre 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté la demande de Mme E... tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 14 septembre 2018 en tant qu'elle rejetterait sa demande d'indemnisation et de la décision implicite de rejet de sa demande née le 11 septembre 2018 et, d'autre part, à la condamnation de la commune d'Yerres à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation des préjudices résultant d'une situation de harcèlement moral et des fautes qu'aurait commises la commune. Mme E... relève appel de ce jugement.
Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune d'Yerres à la demande de première instance :
2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. ".
3. Si la commune d'Yerres soutient que la demande de Mme E... était irrecevable en l'absence de décision administrative préalable ayant pu lier le contentieux, il est constant qu'une décision implicite de rejet est née du silence gardé par l'administration au terme du délai de deux mois ayant couru à compter de la réception de la demande indemnitaire de la requérante formulée par une lettre du 6 juillet 2018. Quand bien-même le courrier du 14 septembre 2018 pourrait ne pas être regardé comme une décision expresse de rejet s'étant substitué à cette décision implicite mais comme une invitation de la requérante à produire des éléments complémentaires, il est constant que cette dernière a produit des éléments complémentaires à l'appui d'un courrier daté du 18 octobre 2018 auquel la commune n'a donné aucune suite. Il s'ensuit que la commune d'Yerres, qui n'a pas répondu à la demande indemnitaire de Mme E..., doit être regardée comme ayant, à tout le moins, rendu une décision implicite de rejet à l'issue de l'expiration du délai de deux mois ayant suivi la réception du dernier courrier de Mme E.... Dès lors, la commune d'Yerres n'est pas fondée à soutenir que la demande était irrecevable en l'absence de liaison du contentieux.
Sur les conclusions indemnitaires :
4. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires susvisée : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / (...). ". Aux termes de l'article 11 de cette même loi : " I.- A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. (...) IV.- La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. (...) ".
5. D'une part, les dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
6. D'autre part, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
7. Mme E... soutient qu'elle a fait l'objet d'agissements répétés de la part de sa supérieure hiérarchique directe, sans réaction de la part de sa cheffe de service, qui seraient constitutifs de harcèlement moral. Si elle fait valoir que depuis son intégration, en 2011, au service " accueil famille " A... la commune d'Yerres, sa supérieure hiérarchique directe a adopté un comportement agressif et dégradant à son encontre en la dévalorisant et en remettant en cause les conditions d'exécution de son travail voire sa probité, en prenant des mesures l'isolant du public, en lui refusant indument des congés et des autorisations d'absence à l'occasion de circonstances familiales exceptionnelles et en refusant de rémunérer des heures supplémentaires, les pièces qu'elle produit, qui sont pour l'essentiel des attestations établies par des proches ou des connaissances faisant un lien entre son état de santé et les conditions de travail décrites par la requérante, ne sont pas suffisantes pour retenir l'existence d'une situation de harcèlement moral à l'égard de Mme E.... Si la requérante produit, en revanche, le témoignage de Mme D..., qui a travaillé dans le même service que Mme E... et corrobore une partie de ses allégations, le courriel de l'intéressée, eu égard à ses termes et en absence de précision, n'est pas seul de nature à établir l'existence d'une situation de harcèlement. Les prescriptions et certificats médicaux, notamment ceux du Dr C... du 4 décembre 2019 et du Dr F... du 19 juin 2020, établissent l'état dépressif et la souffrance psychique non discutée de Mme E... mais ne retracent aucun évènement précis et ne sont pas de nature à justifier d'une situation de harcèlement. Par ailleurs, si la requérante met en avant l'appréciation qui a été portée sur son travail dans son compte rendu d'évaluation de l'année 2013, il ressort de ce document, qui juge effectivement insuffisantes les connaissances professionnelles de l'intéressée et sa capacité à assumer des responsabilités, qu'elle a été évaluée comme ayant atteint le niveau attendu pour la plupart des critères et même avoir dépassé les objectifs en terme de ponctualité et d'assiduité et de disponibilité vis-à-vis du public et que ses qualités d'accueil et d'écoute sont mises en valeur dans l'appréciation littérale. Dans ces conditions, quand bien même elle justifie de la dégradation de son état de santé, Mme E... n'est pas fondée, en l'absence d'éléments de fait, pris isolément ou dans leur ensemble, de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre, à solliciter l'engagement de la responsabilité de la commune d'Yerres à ce titre, la circonstance qu'une plainte contre ses supérieures hiérarchiques, qui apparaît toujours en cours d'instruction, étant à cet égard sans incidence.
8. Par ailleurs, si Mme E... soutient aussi que la commune d'Yerres a commis une faute en ne prenant les mesures de nature à faire cesser les agissements de ses supérieures hiérarchiques et ne lui assurant pas la protection qu'elle lui devait, il résulte de l'instruction que Mme E... a échangé avec plusieurs responsables des ressources de la commune avant qu'une réunion ne soit organisée le 4 février 2013 pour répondre à la demande de Mme E... relative à ses conditions de travail et au fonctionnement du service " accueil famille ". Il résulte en outre des propres déclarations de Mme E... dans le cadre de la procédure pénale qu'elle a initiée qu'un autre poste lui a été proposé en 2017 mais qu'elle l'a refusé. Enfin, il est constant que, le maire d'Yerres lui a accordé le bénéfice de la protection fonctionnelle le 14 septembre 2018. Il suit de là, en tout état de cause, que la commune n'est pas restée passive face aux difficultés rencontrées par cette dernière et n'a donc pas manqué à son obligation de protection.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Versailles du 21 septembre 2020 et la condamnation de la commune d'Yerres ni à lui verser la somme de 50 000 euros, assortie des intérêts de droit à compter de sa réclamation préalable et à leur capitalisation.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
11. Les conclusions de Mme E... tendant à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Yerres la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées dès lors que cette dernière n'est pas la partie perdante à l'instance
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme E... une somme à verser à la commune de Yerres en application de ces dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par Mme E... et par la commune de Yerres tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... et à la commune de Yerres.
Délibéré après l'audience du 23 septembre, à laquelle siégeaient :
M. Albertini, président de chambre,
M. Mauny, président assesseur ;
Mme Moulin-Zys, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 octobre 2021.
Le rapporteur,
O. MAUNYLe président,
P.-L. ALBERTINILa greffière,
F. PETIT-GALLAND
La République mande et ordonne au préfet des Yvelines en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 20VE02984 3