Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés respectivement le 31 juillet 2015 et le 19 janvier 2016, le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de renvoyer aux premiers juges la demande ;
3° au cas où elle évoquerait, de remettre à la charge de la Sasu BS One les compléments d'impôt sur les sociétés et les rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos le 30 juin 2010 et le 30 juin 2011 et de la période du 4 mars 2009 au 30 juin 2010 pour un montant global, en droits, intérêts de retard, majorations et amende, de 165 900 euros.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier ;
- l'administration n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 82 C du livre des procédures fiscales, relatif au droit de communication auprès du Parquet, une lettre du 27 septembre 2012 du procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Nanterre attestant la clôture le 9 février 2012 de l'enquête préliminaire et la décision de renvoi devant le tribunal correctionnel le 2 avril 2012, jour même de la consultation du dossier pénal par le vérificateur ;
- la notion d'instance au sens de l'article L. 82 C est moins restrictive que celle prévue à l'article L. 170, devenu l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales ;
- la substitution dans l'article L. 82 C, par l'article 92 de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015, du terme " procédure judiciaire " au terme " instance " ne tend qu'à harmoniser les dispositions du livre des procédures fiscales avec la modification du délai de reprise en matière de fiscalité douanière ;
- l'administration a respecté l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, ayant mentionné la teneur et l'origine des documents consultés et communiqué à la contribuable l'ensemble des documents détenus par elle ;
- elle n'a pas méconnu les principes de présomption d'innocence et de secret de l'enquête au sens de l'article 6-2 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les dispositions de l'article 11 du code de procédure pénale ne créent aucune obligation envers les agents de l'administration fiscale ;
- les prestations de services réalisées par la société 5B2S et facturées à la Sasu Orion Holding étaient fictives et s'inscrivaient dans le cadre d'une communauté d'intérêts entre cette société et la Sasu Orion Holding ;
- il en va de même des prestations de services facturées par la Sasu BS One à la Sasu Orion Holding, qui était dépourvue de salariés, de moyens matériels et de comptabilité probante.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Soyez,
- les conclusions de M. Errera, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., de la SCP A...Le Vaillant avocats, pour la Sasu BS One.
Une note en délibéré présentée pour la Sasu BS One, par la SCP A...Le Vaillant avocats, a été enregistrée le 8 avril 2019.
Considérant ce qui suit :
1. La Sasu BS One, qui exerce une activité dans le domaine du multimédia et du conseil en entreprise, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période comprise entre le 4 mars 2009 et le 30 juin 2011 et des exercices clos le 30 juin 2010 et le 30 juin 2011, à l'issue de laquelle l'administration lui a proposé des rectifications en matière d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée. Par un jugement du 1er juin 2015, le Tribunal administratif de Montreuil a accueilli le moyen tiré de ce que l'administration avait consulté irrégulièrement les pièces de la procédure pénale dirigée contre la société. Pour ce motif, il a prononcé la décharge des compléments d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée contestés par Sasu BS One. Le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Si le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS se prévaut de l'irrégularité dont serait entaché le jugement, il n'assortit son moyen d'aucune précision permettant d'en apprécier la portée. Ainsi, ce moyen ne peut qu'être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué, en ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
3. Aux termes de l'article L. 82 C du livre des procédures fiscales dans sa version applicable à cette procédure : " A l'occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles, le ministère public peut communiquer les dossiers à l'administration des finances ". Aux termes de l'article 388 du code de procédure pénale : " Le tribunal correctionnel est saisi des infractions de sa compétence soit par la comparution volontaire des parties, soit par la citation, soit par la convocation par procès-verbal, soit par la comparution immédiate, soit enfin par le renvoi ordonné par la juridiction d'instruction. ".
4. Il résulte des termes mêmes de l'article L. 82 C du livre des procédures fiscales que l'exercice de du droit de communication auprès du ministère public s'entend de la consultation des pièces de la procédure pénale à compter de l'ouverture de l'instance. Ces dispositions renvoient à une phase du procès pénal, l'instance, définie et régie par le droit de la procédure pénale, notamment par l'article 388 du code de procédure pénale. En application de ce droit, seul l'engagement de poursuites, qui inclut, le cas échéant, la phase de l'instruction conduite par le juge d'instruction, doit être regardé comme ouvrant l'instance. Ni l'ouverture d'une enquête préliminaire ni l'examen des poursuites par le ministère public, selon les formes et conditions prévues par le code de procédure pénale, n'ont, eux-mêmes, un tel effet. Par suite, et sans qu'il y ait lieu de se référer aux débats parlementaires ayant précédé l'adoption de l'article L. 82 C du livre des procédures fiscales, l'instance exclut la phase de l'enquête préliminaire et toute phase de procédure pénale antérieure à l'engagement des poursuites ou à la saisine du juge d'instruction.
5. Il résulte de l'instruction qu'après avoir formulé une demande en ce sens le 20 mars 2012, le service vérificateur a consulté le 2 avril 2012 les pièces de la procédure pénale en cours dirigée contre M. B...et la Sasu Orion Holding au parquet du Tribunal de grande instance de Nanterre. Il n'est pas sérieusement contesté qu'avant cette date, le 9 février 2012, était close l'enquête préliminaire consécutive au dépôt d'une plainte de la société LCH contre la Sasu Orion Holding et M.B.... En réponse aux critiques de la contribuable sur l'exercice de ce droit de communication, l'administration a produit une lettre du 27 septembre 2012 par laquelle le procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Nanterre atteste avoir, le 2 avril 2012, pris une décision de renvoi de la Sasu BS One, notamment, devant le tribunal correctionnel par voie de citation directe. La circonstance que le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS n'ait pas produit copie de cette citation directe, alors que la Sasu BS One produit un mandatement de citation du parquet en date du 3 décembre 2014, citation qui au demeurant peut être nécessitée par une modification des faits poursuivis, de leur incrimination ou par un incident de procédure, ne suffit pas à remettre en cause l'attestation délivrée par l'autorité judiciaire. Ainsi, l'instance pénale doit être regardée comme engagée à compter du 2 avril 2012, jour de saisine du tribunal correctionnel par citation directe du ministère public. Dans ces conditions, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil s'est fondé, pour prononcer la décharge des impositions contestées, sur le motif tiré de la méconnaissance des conditions fixées par l'article L. 82 C du livre des procédures fiscales pour l'exercice du droit de communication auprès du ministère public.
6. Mais aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande. ". L'obligation faite par ces dispositions à l'administration de tenir à la disposition du contribuable qui les demande ou de lui communiquer, avant la mise en recouvrement des impositions, les documents ou copies de documents qui contiennent les renseignements qu'elle a utilisés pour procéder aux redressements ne peut porter que sur les documents effectivement détenus par les services fiscaux. Dans l'hypothèse où les documents que le contribuable demande à examiner sont détenus non par l'administration fiscale, qui les a seulement consultés dans l'exercice de son droit de communication, mais par l'autorité judiciaire, il appartient à l'administration fiscale d'en informer l'intéressé afin de le mettre en mesure, s'il s'y croit fondé, d'en demander communication à cette autorité et, en tout état de cause, de porter à sa connaissance l'ensemble des renseignements fondant l'imposition que cette autorité lui avait permis de recueillir.
7. Si la société requérante fait valoir que nombre de ces documents ne sont pas joints à la réponse du 2 octobre 2012 à ses observations, contrairement aux mentions portées par le service dans cette réponse, il résulte de l'instruction, comme le fait valoir l'administration, qu'elle n'a pas été autorisée à prendre copie de toutes les pièces du dossier pénal en cause et qu'elle a transmis à la société requérante la copie des documents auxquels elle a eu accès comme suite à sa demande formulée le 19 juillet 2012 en réponse à la proposition de rectification du 2 juillet 2012.
8. Pour soutenir que l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales a été méconnu, la Sasu BS One fait valoir que l'administration ne lui a pas clairement et explicitement indiqué, dans les pièces de procédure, les documents dont elle n'avait pas pu prendre copie auprès du Procureur de la République qui les détenait, mais s'est bornée à indiquer l'adresse du Procureur auprès duquel elle a exercé son droit de communication. Elle ajoute que même si l'administration avait satisfait à cette obligation, elle n'aurait pas pu avoir accès aux documents au motif que lors de l'enquête préliminaire, les parties n'ont pas accès au dossier.
9. Il résulte des termes de la réponse aux observations de la contribuable du 2 octobre 2012 que si le vérificateur y a indiqué les coordonnées complètes du Procureur de la République auprès duquel il a exercé le droit de communication prévu par l'article L. 82C du livre des procédures fiscales, il n'a pas indiqué à la contribuable qu'il lui appartenait, en particulier pour les documents que l'administration fiscale ne détenait pas, de présenter cette demande à l'autorité judiciaire. Il s'ensuit que l'administration ne peut être regardée comme ayant porté à la connaissance de la Sasu BS One l'ensemble des renseignements fondant l'imposition que l'autorité judiciaire lui avait permis de recueillir dans l'exercice de son droit de communication dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'administration aurait porté à la connaissance de la contribuable l'ensemble des renseignements fondant l'imposition que l'autorité judiciaire lui avait permis de recueillir dans l'exercice de son droit de communication. Ainsi, la Sasu BS One n'a pas été en mesure d'exercer, au cours de la procédure de rectification, les droits de la défense garantis par les dispositions précitées du livre des procédures fiscales alors que l'enquête préliminaire était close depuis le 9 février 2012. Dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés à l'encontre des rectifications découlant de l'exercice du droit de communication auprès de l'autorité judiciaire, le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement entrepris, les premiers juges ont prononcé la décharge des compléments d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée, en droits et pénalités, auxquels la Sasu BS One a été assujettie au titre des revenus distribués révélés par l'exercice de ce droit de communication.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la Sasu BS One et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à la Sasu BS One une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la Sasu BS One est rejeté.
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N° 15VE02589