Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 5 novembre 2018, le PREFET DU VAL-D'OISE, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
Il soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a accueilli le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation de sa décision de transfert au regard de l'article 17 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 ;
- les autres moyens soulevés par M. B... devant le Tribunal administratif de
Cergy-Pontoise n'étaient pas fondés.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Tronel ;
- et les observations de MeC..., représentant M.B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant afghan, né le 13 mai 1992 à Kaboul, déclare être entré irrégulièrement en France le 20 mars 2017. Il a présenté auprès des services du préfet du
Val-D'oise une demande d'asile le 2 mai 2018. La consultation des données de l'unité centrale Eurodac lors de l'instruction de cette demande a révélé que ses empreintes avaient préalablement été relevées le 2 janvier 2018 en Belgique. Les autorités de ce pays ont été saisies le 31 mai 2018 d'une demande de reprise en charge de l'intéressé. Leur accord quant à cette reprise en charge a été donné le 5 juin suivant. Par arrêtés du 8 octobre 2018, le PREFET DU VAL-D'OISE a prononcé la remise de M. B... aux autorités belges et son assignation à résidence. Ce préfet relève régulièrement appel du jugement du 16 octobre 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a, à la demande de M. B..., annulé ces arrêtés et lui a enjoint de réexaminer la situation de l'intéressé.
Sur le moyen d'annulation retenu par le premier juge :
2. Aux termes du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 17 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) ". Les autorités françaises doivent assurer la mise en oeuvre de cette clause dérogatoire à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution aux termes duquel " les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ". Aux termes de l'article 18 du même règlement : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : / (... ) d ) reprendre en charge (...) le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre (...) ". Aux termes de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre État qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'État responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet État. (...) Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'État d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre État ".
3. Pour annuler l'arrêté en litige comme reposant sur une erreur manifeste dans la mise en oeuvre du pouvoir d'appréciation que le PREFET DU VAL-D'OISE tient de l'article 17 précité du règlement du 26 juin 2013, le premier juge s'est fondé sur la circonstance que la demande d'asile de M. B... a été définitivement rejetée par la Belgique les 11 janvier 2016 et 6 février 2018 et que sa remise aux autorités belges aurait pour conséquence un réacheminement vers l'Afghanistan et dans la province de Kaboul où il réside, où, compte tenu de la situation de conflit armé et intense qui s'y déroule, l'intéressé serait exposé à un risque réel. Toutefois, alors que la décision contestée a seulement pour objet de renvoyer M. B... en Belgique, il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités belges auraient déjà pris une mesure en vue de l'éloigner à destination de l'Afghanistan. En outre, la Belgique est membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que les autorités belges, à la lumière de ces textes qu'elles se sont obligées à mettre en oeuvre, ne procèderont pas, à la requête de l'intéressé ou même d'office, à une évaluation des risques de mauvais traitements auxquels M. B... pourrait être exposé du seul fait de son éventuel retour en Afghanistan.
4. Il résulte de ce qui précède que le PREFET DU VAL-D'OISE est fondé à soutenir que c'est à tort que pour annuler la décision de transfert, le premier juge s'est fondé sur le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qu'il aurait commise
5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les parties tant devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise que devant la cour.
Sur les autres moyens de la demande présentée par M. B... :
En ce qui concerne le moyen commun aux décisions de transfert et d'assignation à résidence :
6. Par un arrêté du 5 février 2018, régulièrement publié au recueil des actes administratifs du même jour, le PREFET DU VAL-D'OISE a donné délégation à Mme D..., chef du bureau du contentieux des étrangers à l'effet de signer les décisions de transfert vers l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile et les assignations à résidence. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit, par suite, être écarté.
En ce qui concerne la décision de transfert :
7. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 : " (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 (...) ". Aux termes de l'article 29 du même règlement : " 1. Toute personne relevant de l'article 9, paragraphe 1, de l'article 14, paragraphe 1, ou de l'article 17, paragraphe 1, est informée par l'État membre d'origine par écrit et, si nécessaire, oralement, dans une langue qu'elle comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'elle la comprend(...) ".
8. D'une part, le PREFET DU VAL-D'OISE produit la copie des pages de garde de deux brochures d'informations, dont il est constant qu'elles sont rédigées dans la langue de M. B..., l'afghan. Ces copies de pages de garde indiquent que l'intégralité du document a été remise à l'intéressé le 2 mai 2018 et portent une signature, dont M. B... ne peut prétendre qu'elle ne serait pas la sienne, dès lors que ce paraphe est très similaire à ceux figurant, sur les décisions dont le requérant a accusé notification et que M. B... ne conteste pas avoir signés. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article 4 du règlement (UE) n°604/2013 doit être écarté.
9. D'autre part, la méconnaissance de l'obligation d'information prévue par l'article 29 du règlement n° 604/2013 susvisé, qui a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, ne peut être utilement invoquée à l'encontre de la décision portant remise aux autorités belges.
10. En second lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ".
11. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du résumé de l'entretien individuel, que, lors de l'entretien individuel du 2 mai 2018, M. B... a été en mesure, avec le concours d'un interprète en langue pachto, de comprendre qu'il était placé en procédure dite " Dublin ", de répondre aux questions posées et de fournir ainsi toutes les informations pertinentes afin, notamment, de déterminer l'Etat membre responsable de sa demande d'asile, compte tenu notamment de son parcours. L'intéressé a ainsi indiqué avoir demandé en vain l'asile en Belgique après avoir traversé de nombreux pays d'Europe de l'Est et avant de gagner la France. Si M. B... reproche au résumé de l'entretien individuel de ne pas mentionner le nom de l'agent qui a conduit l'entretien, une telle obligation n'est nullement prévue par l'article 5 du règlement n° 604/2013. La circonstance que l'interprète ne peut être identifié que par le patronyme " Raziq " ne saurait être regardée comme ayant privé le requérant d'une garantie et d'avoir exercé une influence sur le sens de la décision de transfert attaquée. Enfin, aucune circonstance ne permet d'établir que cet entretien ne se serait pas déroulé dans des conditions n'en garantissant pas sa confidentialité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement n°604/2013 doit être écarté.
12. En troisième lieu, le paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 prévoit que : " Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen ". Le paragraphe 2 de l'article 7 de ce règlement dispose : " la détermination de l'Etat membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un Etat membre ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 13 du même règlement : " Lorsqu'il est établi [...] que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un Etat membre dans lequel il est entré en venant d'un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière.". Il résulte clairement des dispositions de l'article 7 du règlement précité que la détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de la demande de protection internationale s'effectue une fois pour toutes à l'occasion de la première demande d'asile, au vu de la situation prévalant à cette date. Il résulte également de la combinaison des dispositions précitées que les critères prévus à l'article 13 du règlement ne sont susceptibles de s'appliquer que lorsque le ressortissant d'un pays tiers présente une demande d'asile pour la première fois depuis son entrée sur le territoire de l'un ou l'autre des Etats membres et, qu'en particulier, les dispositions de cet article ne s'appliquent pas lorsque le ressortissant d'un pays tiers présente, fût-ce pour la première fois, une demande d'asile dans un Etat membre après avoir déposé une demande d'asile dans un autre Etat membre, que cette dernière ait été rejetée ou soit encore en cours d'instruction.
13. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a présenté une demande d'asile auprès des autorités belges le 2 janvier 2018. Par suite, les critères précités de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 n'étaient pas applicables à la demande d'asile présentée postérieurement par M. B... en France, le 2 mai 2018, qui ne constituait pas une première demande d'asile présentée sur le territoire de l'Union Européenne. En conséquence, le moyen tiré de ce que la France serait responsable de sa demande d'asile en application des dispositions combinées des articles 3 et 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
14. En quatrième lieu, M. B... ne peut pas utilement soutenir que le PREFET DU VAL-D'OISE a méconnu l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte tenu des risques qu'il encourt en cas de retour en Afghanistan, dès lors que, ainsi qu'il a été dit au point 5, la décision litigieuse n'a pas pour objet de l'y renvoyer, et qu'il n'est pas établi qu'elle aurait un tel effet.
En ce qui concerne l'assignation à résidence :
15. La décision litigieuse mentionne l'ensemble des considérations de droit et des circonstances de fait qui en constitue le fondement. Le moyen tiré de son insuffisante motivation doit, par suite, être écarté.
16. M. B...ne peut pas utilement invoquer, à l'appui de sa demande d'annulation de l'assignation à résidence, les dispositions de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013, qui concernent les modalités de notification des décisions de transfert.
17. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : (...) 1° bis Fait l'objet d'une décision de transfert (...) ". La seule circonstance que M. B... s'est rendu aux convocations de l'administration ne caractérise ni une erreur de droit, ni une erreur d'appréciation du préfet dans l'application des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
18. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de
Cergy-Pontoise a annulé les décisions en litige.
19. L'exécution du présent arrêt n'implique pas qu'il soit enjoint au préfet du
Val-d'Oise d'enregistrer la demande d'asile de M.B.... Les conclusions présentées en ce sens par l'intimé doivent, dès lors, être rejetées.
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, verse à M. B...la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1810374 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise en date du 8 octobre 2018 est annulé.
Article 2 : La demande de M. B... présentée devant le Tribunal administratif de
Cergy-Pontoise ainsi que ses conclusions présentées en appel sont rejetées.
N° 18VE03650