Par une requête et un mémoire enregistrés les 4 février et 19 novembre 2019, la Sempariseine, représentée par la société d'avocats DS Avocats, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette le surplus des conclusions de sa demande ;
2°) de la décharger, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011 à 2013 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'administration a fondé son imposition sur une correspondance entre la société et son avocat du 19 mars 2012, couverte par le secret professionnel, pour laquelle la société avait refusé la communication ;
- les travaux portant sur la partie de l'ouvrage-dalle du secteur Beaugrenelle située au-dessus des rues publiques, rattachable aux espaces auxquels le public dispose d'un libre accès, ne peuvent pas être comptabilisés en immobilisations dès lors qu'elle n'est pas susceptible de générer des revenus compte tenu de sa liberté d'accès, et que ne lui est pas applicable la notion de " potentiel de services attendus ", qui est réservée aux associations, fondations et entités du secteur public duquel elle ne relève pas ;
- la provision pour dépréciation de l'immobilisation n'est pas justifiée ;
- les remplacements de joints coupe-feu excédant les travaux d'entretien et de réparation et n'entrant pas dans les charges annuelles normales de l'entreprise, peuvent donc faire l'objet d'une provision pour risques et charges.
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Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Illouz, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., pour la Sempariseine.
Considérant ce qui suit :
1. La Sempariseine a notamment pour activité la gestion et l'entretien de l'ouvrage-dalle du Front de Seine (" dalle Beaugrenelle ") située à Paris dans l'ouest du 15ème arrondissement, dont elle est propriétaire et qui figure à l'actif de son bilan. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité en matière d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale sur cet impôt, portant sur les années 2011 à 2013, à l'issue de laquelle l'administration a remis en cause la comptabilisation, comme charges déductibles de son résultat imposable, du montant des travaux de rénovation réalisés sur une partie de cet ouvrage, a réintégré les provisions pour dépréciation d'actifs portant également sur des travaux concernant cet ouvrage, mais dont le montant avait été précédemment porté à un compte d'immobilisations, et a rejeté la déduction des provisions pour charges futures de gros entretien en prévision du remplacement de joints coupe-feu et du renouvellement de la peinture des sols des parkings gérés par la société. La Sempariseine a demandé au tribunal administratif de Montreuil de lui accorder la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales sur l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011 et 2013 à la suite de cette vérification de comptabilité. Par un jugement intervenu le 6 décembre 2018, le tribunal administratif de Montreuil a partiellement fait droit à sa demande. La Sempariseine fait appel de ce jugement.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. La Sempariseine soutient, pour la première fois en appel, que l'administration a fondé les redressements contestés sur une consultation confidentielle de son avocat-conseil dont elle n'avait pas autorisé la communication au vérificateur.
3. Aux termes du premier alinéa de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques modifiée dans sa rédaction applicable issue de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 : " En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention "officielle", les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ".
4. Il ressort de ces dispositions que l'ensemble des correspondances échangées entre un avocat et son client, et notamment les consultations juridiques rédigées par l'avocat à son intention, sont couvertes par le secret professionnel. Toutefois, la confidentialité des correspondances entre l'avocat et son client ne s'impose qu'au premier et non au second qui, n'étant pas tenu au secret professionnel, peut décider de lever ce secret, sans y être contraint. Ainsi, la circonstance que l'administration ait pris connaissance du contenu d'une correspondance échangée entre un contribuable et son avocat est sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition suivie à l'égard de ce contribuable dès lors que celui-ci a préalablement donné son accord en ce sens. En revanche, la révélation du contenu d'une correspondance échangée entre un contribuable et son avocat vicie la procédure d'imposition menée à l'égard du contribuable et entraîne la décharge de l'imposition lorsque, à défaut de l'accord préalable de ce dernier, le contenu de cette correspondance fonde tout ou partie de la rectification.
5. La Sempariseine relève que le vérificateur a pris connaissance de la consultation donnée par son avocat-conseil le 19 mars 2012 lors des opérations de contrôle, mais affirme qu'elle n'avait pas donné son accord pour la levée du secret professionnel. Le ministre indique, sans être contredit, que ce document a été remis par la société elle-même au vérificateur lors des opérations de contrôle pour justifier du traitement comptable et fiscal des travaux de rénovation de l'ouvrage-dalle. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que la Sempariseine se serait opposée à l'exploitation de cette consultation lors de l'entretien de fin de contrôle. Elle ne s'y est pas davantage opposée ni dans ses observations du 29 janvier 2015 à la proposition de rectification du 1er décembre 2014, ni dans ses deux recours hiérarchiques des 8 avril et 11 juin 2015, ni devant la commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires au cours de sa séance du 13 mai 2016, ni dans le cadre de sa réclamation préalable du 6 février 2017. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la Sempariseine doit être regardée comme ayant donné son accord préalable à la remise du document en cause, que l'administration fiscale a dès lors pu utiliser, sans entacher d'irrégularité la procédure d'imposition, pour le calcul du montant des impositions contestées. Le moyen susvisé doit, par suite, être écarté.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
6. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts : " (...) 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés (...) ". Aux termes de l'article 39 dudit code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) ; 2° (...) les amortissements réellement effectués par l'entreprise, dans la limite de ceux qui sont généralement admis d'après les usages de chaque nature d'industrie, de commerce ou d'exploitation (...) / 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient effectivement été constatées dans les écritures de l'exercice ". Ces articles sont applicables en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code.
7. Aux termes de l'article 38 quater de l'annexe III à ce code : " Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt. ". Les articles 211-1 et 211-2 du plan comptable général, dans leur rédaction alors applicable, disposent que " 1 - Un actif est un élément identifiable du patrimoine ayant une valeur économique positive pour l'entité, c'est-à-dire un élément générant une ressource que l'entité contrôle du fait d'événements passés et dont elle attend des avantages économiques futurs (...) 6 - La définition générale d'un actif est complétée comme suit dans les deux situations suivantes : (...) sont considérés comme des éléments d'actifs, pour les entités du secteur public, les éléments utilisés pour une activité ou pour la partie d'activité autre qu'industrielle et commerciale, et dont les avantages futurs ou la disposition d'un potentiel de services attendus profiteront à des tiers ou à l'entité conformément à sa mission ou à son objet (...) " et que " l'avantage économique futur représentatif d'un actif est le potentiel qu'a cet actif de contribuer, directement ou indirectement, à des flux nets de trésorerie au bénéfice de l'entité. Le potentiel de services attendus de l'utilisation d'un actif par (...) une entité du secteur public est fonction de l'utilité sociale correspondant à son objet ou à sa mission ".
8. Aux termes de l'article L. 1521-1 du code général des collectivités territoriales : " Les communes, les départements, les régions et leurs groupements peuvent, dans le cadre des compétences qui leur sont reconnues par la loi, créer des sociétés d'économie mixte locales qui les associent à une ou plusieurs personnes privées et, éventuellement, à d'autres personnes publiques pour réaliser des opérations d'aménagement, de construction, pour exploiter des services publics à caractère industriel ou commercial, ou pour toute autre activité d'intérêt général (...) ". Aux termes de l'article L. 1522-1 de ce même code : " Les assemblées délibérantes des communes, des départements, des régions et de leurs groupements peuvent, à l'effet de créer des sociétés d'économie mixte locales mentionnées à l'article L. 1521-1, acquérir des actions ou recevoir, à titre de redevance, des actions d'apports, émises par ces sociétés. / Les prises de participation sont subordonnées aux conditions suivantes : / 1° La société revêt la forme de société anonyme régie par le livre II du code de commerce, sous réserve des dispositions du présent titre ; / 2° Les collectivités territoriales et leurs groupements détiennent, séparément ou à plusieurs, plus de la moitié du capital de ces sociétés et des voix dans les organes délibérants (...) ".
En ce qui concerne les travaux de rénovation de l'ouvrage-dalle :
9. Pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, seuls peuvent être compris dans les frais généraux et constituer des charges d'un exercice déterminé les travaux de réparation et d'entretien qui concourent à maintenir en état d'usage ou de fonctionnement, jusqu'à l'expiration de leur durée d'amortissement, les différents éléments de l'actif immobilisé de l'entreprise. En revanche, les travaux qui ont pour objet de renouveler divers équipements ou d'en prolonger la durée au-delà de la période normale d'amortissement peuvent seulement être inscrits à un compte d'immobilisation pour faire l'objet d'un amortissement.
10. D'une part, il n'est pas contesté que la partie de l'ouvrage-dalle correspondant aux emprises de la dalle piétonne appartient à la Sempariseine et est un élément identifiable de son patrimoine. En outre, il résulte de l'instruction que la ville de Paris détient plus de la moitié du capital social de la Sempariseine. Ainsi, cette société appartient au secteur public, indépendamment de sa forme juridique et de son activité industrielle et commerciale. Enfin, il ressort notamment de la convention de compensation de charge d'ouverture au public de la dalle de Beaugrenelle conclue entre la ville de Paris et la société requérante le 6 octobre 2006, que cet ouvrage est ouvert au public. Dès lors, il profite à des tiers au sens du 6° de l'article 211-1 du plan comptable général. L'ouvrage-dalle fait donc partie de l'actif immobilisé de la Sempariseine.
11. D'autre part, il est constant que les travaux de rénovation de cet actif que la Sempariseine a comptabilisé comme charges déductibles de son résultat imposable, de par leur importance et leur coût, respectivement de 1 504 830 euros en 2011, 4 630 796 euros en 2012 et 2 726 929 euros en 2013, ont eu pour effet d'augmenter sensiblement la durée probable d'utilisation de l'ouvrage-dalle. Par suite, le montant de ces travaux ne constitue pas une charge déductible des résultats des exercices vérifiés. Le moyen tiré de ce que c'est à tort que l'administration a remis en cause cette déduction doit, par suite, être écarté.
En ce qui concerne la provision pour dépréciation d'immobilisations :
12. Il résulte des dispositions précitées du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts, qu'une entreprise qui constate, par suite d'événements en cours à la clôture de l'exercice, une dépréciation non définitive d'un élément de son actif immobilisé, peut, alors même que celui-ci est amortissable, constituer une provision dont le montant ne peut excéder, à la clôture de l'exercice, la différence entre la valeur nette comptable et la valeur probable de réalisation de l'élément dont il s'agit, à la condition notamment que le mode de calcul de la provision soit propre à exprimer avec une approximation suffisante le montant probable de cette dépréciation.
13. La Sempariseine justifie la constitution, sur les exercices 2011 et 2012 pour des montants respectifs de 2 415 189 euros et 3 557 120 euros, d'une provision pour dépréciation des travaux de rénovation de l'ouvrage-dalle qu'elle avait précédemment immobilisés, au motif que ces travaux portent sur un ouvrage dont la valeur d'usage serait nulle faute de pouvoir être effectivement cédé. Cependant, d'une part, la société n'établit pas que l'impossibilité de céder cet ouvrage ne résulte pas d'un évènement intervenu au cours des exercices clos en 2011 et 2012. D'autre part, la dépréciation revendiquée par la Sempariseine présente un caractère définitif et pas seulement provisoire. Les conditions, rappelées au point précédent, exigées pour la constitution de la provision pour dépréciation d'immobilisations n'étant pas réunies, l'administration a pu refuser de la déduire des résultats imposables des exercices clos en 2011 et 2012 et rejeter la reprise de cette provision au titre de l'exercice 2013 pour un montant de 286 620 euros.
En ce qui concerne les provisions constituées pour gros entretien :
14. Il résulte des dispositions précitées du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts, qu'une entreprise peut valablement porter en provision et déduire de ses bénéfices imposables des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées par elle qu'ultérieurement, à la condition qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances de fait constatées à la date de clôture de l'exercice, qu'elles soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante et que, si la provision tend à permettre ultérieurement de réaliser certains travaux d'entretien ou de réparation, ceux-ci excèdent, par leur nature et par leur importance, sans pour autant procurer à l'entreprise une augmentation de ses valeurs d'actif, les travaux d'entretien ou de réparation dont le coût entre dans les charges annuelles et normales de l'entreprise.
15. Ainsi que l'a jugé le tribunal administratif et que l'admet le ministre dans ses écritures en défense, la société Sempariseine a pu régulièrement constituer, au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2013, des provisions pour gros entretien relatifs au remplacement de joints coupe-feu. La société soutient que contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, le montant de cette provision pour le remplacement des joints coupe-feu s'élève à 301 620 euros et non à 204 660 euros. Toutefois, la société n'apporte aucun justificatif à l'appui de son allégation alors qu'il résulte de l'instruction, ainsi que l'a relevé le tribunal administratif, qu'au 31 décembre 2013, la provision résiduelle de 301 620 euros, correspond, au regard des pièces comptables transmises par la société, à hauteur de 96 960 euros aux travaux de correction des vices de fabrication sur le parking Cassiopé programmé en 2015 et à hauteur de 204 660 euros aux travaux de remplacements des joints coupe-feu des parkings Centaure, programmés en 2014 et Bérénice Ouest, programmés en 2015. La société n'apporte donc pas la preuve, qui lui incombe, de ce que la provision de 301 620 euros comptabilisée au 31 décembre 2013 n'a été constituée que pour le remplacement des joints coupe-feu.
16. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre, que la Sempariseine n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Sa requête doit, par suite, être rejetée, y compris les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la Sempariseine est rejetée.
N° 19VE00382 2