Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 16 janvier 2019, le PREFET DU VAL-D'OISE, demande à la cour d'annuler ce jugement.
Il soutient que c'est à tort que le magistrat désigné a considéré qu'il avait méconnu les dispositions du 2 de l'article 3 du règlement communautaire n°604/2013 du 26 juin 2013, dans la mesure où M. D... n'établissait pas que sa demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes aux garanties exigées par le respect du droit d'asile.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Bobko a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... D..., ressortissant soudanais, né le 1er février 1993, a fait l'objet d'un premier transfert en Italie par les autorités françaises le 10 mai 2018. Revenu irrégulièrement sur le territoire français, il a présenté une nouvelle demande d'asile le 31 mai 2018. La consultation du fichier Eurodac ayant confirmé que ses empreintes avaient été précédemment relevées en Italie, le PREFET DU VAL-D'OISE a saisi les autorités italiennes le 11 juin 2018 d'une demande de réadmission de l'intéressé. Ces autorités ont implicitement accepté. Par des arrêtés du 10 décembre 2018, le PREFET DU VAL-D'OISE a décidé de remettre M. D...aux autorités italiennes et l'a assigné à résidence. Le PREFET DU
VAL-D'OISE relève appel du jugement du 18 décembre 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé ces arrêtés portant transfert aux autorités italiennes de M. D... et l'assignant à résidence pour une durée de 45 jours.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. [...] Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ".
3. M. D..., qui a fait l'objet d'une première remise aux autorités italiennes le 10 mai 2018, soutient que sa demande d'asile ne sera pas examinée par les autorités italiennes qui ont pris à son encontre le même jour une décision d'obligation de quitter le territoire italien. Il se borne, en outre, à faire référence à un article de presse sur le vote de confiance qui a eu lieu au sénat italien sur le projet de décret-loi sécurité, le 7 novembre 2018, et à indiquer que l'Italie est aujourd'hui la principale porte d'entrée pour l'Europe des migrants et qu'à ce titre elle est " dépassée par le flot de migrants qui se déverse sur son territoire ". Cependant, ces seuls éléments généraux sont insuffisants à établir que sa demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Dès lors, le PREFET DU VAL-D'OISE est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé, pour méconnaissance des dispositions de l'article de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'arrêté du 10 décembre 2018 ordonnant la remise de M. D...aux autorités italiennes, et par voie de conséquence l'arrêté prononçant son assignation à résidence.
5. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...D...devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise contre les arrêtés du 10 décembre 2018.
Sur la légalité de la décision de remise aux autorités italiennes :
6. En premier lieu, par un arrêté n° 18-010 du 5 février 2018, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de l'État dans le Val-d'Oise le même jour, le PREFET DU
VAL-D'OISE a donné délégation à Mme A...E..., adjointe au directeur des migrations et de l'intégration, à l'effet de signer, notamment, les décisions de transfert vers l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile et d'assignation à résidence. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée manque en fait et doit être écarté.
7. En deuxième lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
8. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
9. L'arrêté prononçant le transfert de M. D...aux autorités italiennes vise le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ainsi que deux règlements portant modalité d'application du règlement n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable d'une demande d'asile, relève notamment le caractère irrégulier de l'entrée en France de M. D..., rappelle le déroulement de la procédure suivie lorsque M. D... s'était présenté devant les services de la préfecture du Val-d'Oise et précise que la consultation du système Eurodac a montré que l'intimé avait franchi irrégulièrement la frontière de l'Italie dans la période précédant les 12 mois du dépôt de sa première demande d'asile en France. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, [...] 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de1'entretien individuel visé à l'article 5. / [...] " . Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de ne pas instruire la demande de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit ou, si nécessaire pour la bonne compréhension du demandeur, oralement, et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, leur délivrance complète par l'autorité administrative, notamment par la remise de la brochure prévue par les dispositions précitées, constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
11. Il ressort des pièces du dossier que lors de son entretien en préfecture le 31 mai 2018, M. D...s'est vu remettre le guide d'accueil du demandeur d'asile, ainsi que les deux brochures d'information A " j'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et B " je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ". Ces documents lui ont été remis en langue arabe " littéraire ", dont il n'est pas contesté qu'elle constitue la langue officielle du pays d'origine de M.D..., et revêtent sa signature. En outre, si M. D...soutient que l'entretien a eu lieu en " arabe magrébin " alors qu'il " ne parle que l'arabe soudanais ", il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'attestation de réalisation d'une prestation d'interprétariat par téléphone de l'entreprise ISM qui a été chargée de l'interprétation à l'occasion de l'entretien de M. D...en préfecture du Val-d'Oise, que cet entretien a été effectué en arabe soudanais. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à l'information de M. D... manque en fait et doit être écarté.
12. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. [...] / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
13. Il ressort des pièces versées au dossier que M. D... a bénéficié d'un entretien avec un agent de la préfecture du Val-d'Oise le 31 mai 2018. Si, comme le fait valoir l'intimé, le compte-rendu de cet entretien individuel ne mentionne pas l'identité ou la qualification de l'agent de la préfecture du Val-d'Oise qui l'a mené, les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 n'imposent pas une telle mention. En outre, aucune des pièces versées au dossier ne permet d'établir que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. Si M.D..., qui a signé le compte-rendu établi à l'issue de l'entretien sans produire d'observations, soutient que la confidentialité de l'entretien n'a pas été respectée, il n'apporte aucune précision sur les conditions dans lesquelles cet entretien a eu lieu. En outre, ce compte-rendu reprend les principales informations fournies par M. D... lors de l'entretien, relatives à sa famille, à ses demandes d'asile antérieures, à ses documents personnels, à son itinéraire, à un éventuel retour dans son pays d'origine. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 ne peut être accueilli.
14. En cinquième lieu, aux termes de l'article 18 du règlement n° 604/2013 susvisé : " 2. Dans les cas relevant du champ d'application du paragraphe 1, points a) et b), l'État membre responsable est tenu d'examiner la demande de protection internationale présentée par le demandeur ou de mener à son terme l'examen. "
15. M.D..., qui ne démontre pas que la France serait le pays responsable de sa demande d'asile, ne peut utilement se prévaloir de ce que les autorités italiennes ont émis à son encontre une obligation de quitter le territoire sans étudier sa situation. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 18 du règlement du 26 juin 2013 ne peut, dès lors, qu'être écarté.
16. En sixième lieu, aux termes de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
17. M.D... ne peut utilement soutenir que le PREFET DU VAL-D'OISE a méconnu l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne compte-tenu des risques qu'il encourt en cas de retour au Soudan, dès lors que la décision litigieuse n'a pas pour objet de le renvoyer dans son pays d'origine et qu'il n'est pas établi qu'elle aurait un tel effet.
18. En septième lieu, l'article 17 du règlement 604/2013 précité : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. ". La faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 du règlement du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, est discrétionnaire et ne constitue pas un droit. Si M. D... soutient qu'aux termes de la décision d'obligation de quitter le territoire par les autorités italiennes le 10 mai 2018, il risque d'être expulsé vers son pays d'origine où il risque d'être torturé, il n'apporte aucun élément de preuve sur sa situation personnelle et les risques qu'il encourt personnellement en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, M. D...ne peut dès lors pas soutenir que c'est à tort que le préfet n'a pas fait usage de la faculté ouverte par l'article 17 précité du règlement (UE) n° 604/2013.
19. Si dans sa demande M. D...se prévaut, en outre, de ce que la décision du préfet méconnaît les stipulations de la convention européenne des droits de l'Homme, de la convention de Genève sur le statut des réfugiés et du code des relations entre le public et l'administration, il n'assortit ce moyen d'aucune précision suffisante permettant d'en apprécier le bien-fondé. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.
20. Si M. D...soutient qu'il a souffert de traitements dégradants de la part des autorités italiennes et de l'importante dégradation des conditions d'accueil en Italie, il se borne à citer des rapports de 2013, 2016 et 2017 rédigés par l'organisation suisse d'aide aux réfugiés et Amnesty international, sans produire aucun élément de fait circonstancié au soutien de ses allégations. Par suite, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation commise par le PREFET DU VAL-D'OISE dans l'examen de la situation du requérant ne peut qu'être écarté.
Sur la légalité de la décision portant assignation à résidence :
21. En premier lieu, la décision litigieuse mentionne l'ensemble des considérations de droit et des circonstances de fait qui en constitue le fondement. Le moyen tiré de son insuffisante motivation doit, par suite, être écarté.
22. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 9, le PREFET DU VAL-D'OISE avait régulièrement donné délégation de signature à Mme A...E...pour signer les assignations à résidence. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté.
23. En troisième et dernier lieu, M. D..., qui ne fait valoir aucun obstacle à ce qu'il soit assigné à résidence dans le département du Val-d'Oise, n'est pas fondé à soutenir que la décision litigieuse est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
24. Il résulte de tout ce qui précède que le PREFET DU VAL-D'OISE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé les décisions en litige.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n°1812942 du 18 décembre 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. D...devant le Tribunal administratif de
Cergy-Pontoise est rejetée.
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N° 19VE00156