Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code du travail ;
- la convention collective nationale de travail du 25 juin 1968 des agents de direction et des agents-comptables des organismes de sécurité sociale et d'allocations familiales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Florence Marguerite, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) ;
1. Considérant que le directeur de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) a diffusé une lettre collective, datée du 13 décembre 2013, dans laquelle était indiqué, dans une partie III intitulée " Gestion de carrière des directeurs et des agents comptables " : " Afin de favoriser les mobilités professionnelles, et dans une perspective de gestion des carrières, les postes de directeur et d'agent comptable sont pourvus, depuis le 1er novembre 2013, pour une durée de quatre ans renouvelable une fois, après bilan. Afin de mettre en oeuvre cette règle de gestion, un dispositif d'accompagnement spécifique sera élaboré " ; que le syndicat national du personnel de direction des organismes de sécurité sociale CFE-CGC (SNPDOSS) demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision, de la décision du 10 avril 2014 par laquelle le directeur de l'ACOSS a rejeté son recours gracieux tendant au retrait de ces dispositions et des décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par le ministre de la santé et des affaires sociales et le ministre de l'économie et des finances sur ses recours hiérarchiques ;
Sur les fins de non-recevoir opposées par l'agence centrale des organismes de sécurité sociale :
2. Considérant que l'interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d'instructions, l'autorité administrative donne des lois et règlements qu'elle a pour mission de mettre en oeuvre n'est pas susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu'en soit le bien-fondé, faire grief ; qu'en revanche, les dispositions impératives à caractère général d'une circulaire ou d'une instruction doivent être regardées comme faisant grief ;
3. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des termes mêmes de la partie III de la lettre attaquée que celle-ci contient des dispositions impératives à caractère général, lesquelles sont susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ;
4. Considérant, en second lieu, que les dispositions contestées, par leur caractère général, fixent des règles de cessation de fonctions susceptibles d'avoir une influence sur la carrière des directeurs et agents comptables des organismes de recouvrement ; que, dès lors, elles ne revêtent pas le caractère d'une simple mesure d'organisation du service insusceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir par le syndicat requérant ;
5. Considérant que les fins de non-recevoir opposées par l'agence centrale des organismes de sécurité sociale doivent, par suite, être écartées ;
Sur l'intervention :
6. Considérant que le syndicat national des personnels de direction des organismes sociaux CFDT (SNPDOS-CFDT), le syndicat national Force ouvrière des cadres des organismes sociaux (SNFOCOS) et le syndicat national des agents de direction et d'encadrement des organismes sociaux CFTC (SNADEOS-CFTC) justifient d'un intérêt suffisant à l'annulation des décisions attaquées ; qu'ainsi, leur intervention au soutien de la requête du syndicat national du personnel de direction des organismes de sécurité sociale CFE-CGC est recevable ;
Sur la légalité de la lettre collective relative à la gestion des agents de direction dans la branche recouvrement et de la décision du directeur de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale :
7. Considérant qu'en vertu du deuxième alinéa de l'article L. 217-3 du code de la sécurité sociale, le directeur de l'ACOSS nomme les directeurs et agents comptables des organismes de recouvrement " après concertation avec le président du conseil d'administration de l'organisme concerné et après avis du comité des carrières institué à l'article L. 217-5 (...) " ; que ces directeurs et agents comptables sont choisis parmi les personnes nommées sur une liste d'aptitude et que le conseil d'administration de l'organisme concerné peut s'opposer à leur nomination ; qu'en vertu du troisième alinéa du même article, le directeur de l'ACOSS peut mettre fin aux fonctions de ces directeurs et agents comptables " après avoir recueilli l'avis du président du conseil d'administration de l'organisme concerné et sous les garanties, notamment de reclassement, prévues par la convention collective (...) " ; qu'aux termes des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l'article R. 217-11 du même code, le directeur de l'ACOSS, lorsqu'il envisage de prendre une décision de cessation de fonction d'un directeur ou d'un agent comptable, après avoir recueilli l'avis du président du conseil d'administration de l'organisme concerné, " convoque l'intéressé à un entretien par lettre recommandée indiquant l'objet de la convocation en lui précisant qu'il peut se faire assister par une personne de son choix. Cet entretien ne peut avoir lieu moins de dix jours après la notification de cette lettre. Au cours de cet entretien, (...) le directeur (...) de l'agence centrale informe l'intéressé de la décision envisagée et recueille ses observations. / Après avoir pris connaissance des avis demandés et au plus tard dans les quinze jours suivant l'entretien, (...) le directeur (...) de l'agence centrale notifie sa décision motivée de cessation de fonctions à l'agent concerné, au président du conseil ou du conseil d'administration de l'organisme local ou régional ainsi qu'au service mentionné à l'article R. 155-1. / La décision de cessation de fonctions ne vaut pas licenciement (...) " ;
8. Considérant que lorsqu'il exerce le pouvoir, qu'il tient des dispositions de l'article L. 217-3 du code de la sécurité sociale, de mettre fin aux fonctions d'un directeur ou d'un agent comptable, le directeur de l'ACOSS est tenu de respecter les dispositions législatives et réglementaires applicables aux contrats de travail des directeurs et agents comptables des organismes de recouvrement ainsi que les stipulations de la convention collective régissant leur situation ; que ni ces dispositions, ni les stipulations de la convention collective nationale de travail du 25 juin 1968 des agents de direction et des agents comptables des organismes de sécurité sociale et d'allocations familiales ne prévoient de limitation dans le temps de l'emploi de directeur ou d'agent comptable d'un organisme de recouvrement ;
9. Considérant, en outre, que si les dispositions de l'article L. 217-3 du code de la sécurité sociale confèrent au directeur de l'ACOSS le pouvoir de nommer les directeurs et les agents comptables des organismes de recouvrement et de mettre fin à leurs fonctions et s'il lui est loisible, dans la mise en oeuvre de ce pouvoir, au cas par cas et après examen des situations individuelles des intéressés, de promouvoir une gestion dynamique de leur carrière dans l'intérêt du service public dont ils ont la charge, elles ne lui confèrent pas compétence pour fixer une règle, de caractère général, de limitation dans le temps de l'exercice de ces fonctions ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le directeur de l'ACOSS ne tenait d'aucun texte le pouvoir de limiter à une durée de quatre ans, renouvelable une fois, la nomination dans un poste de directeur ou d'agent comptable d'un organisme de recouvrement, comme il l'a fait par la partie III de la lettre collective du 13 décembre 2013 relative à la gestion des agents de direction dans la branche recouvrement, et ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs, priver les directeurs et agents comptables des organismes de recouvrement du droit de bénéficier d'un examen de leur situation individuelle ; que le syndicat national du personnel de direction des organismes de sécurité sociale CFE-CGC est, dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, fondé à demander l'annulation, dans cette mesure, de la lettre collective attaquée ainsi que de la décision rejetant son recours gracieux ;
Sur la légalité des décisions implicites du ministre de la santé et des affaires sociales et du ministre de l'économie et des finances :
11. Considérant que si l'article R. 123-50 du code de la sécurité sociale donne compétence au ministre chargé de la sécurité sociale pour retirer l'agrément des agents de direction et, conjointement avec le ministre chargé du budget, celui des agents comptables des organismes de sécurité sociale, ni ces dispositions ni aucune autre ne lui confèrent un pouvoir hiérarchique à l'égard de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale ; qu'ainsi, le ministre de la santé et des affaires sociales et le ministre de l'économie et des finances n'avaient pas compétence pour retirer la partie III de la lettre collective attaquée, relative à la gestion des agents de direction dans la branche recouvrement ; que, par suite, le syndicat requérant n'est pas fondé à demander l'annulation des décisions implicites par lesquelles ces ministres ont rejeté les recours dont il les avait saisis ;
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ACOSS une somme de 3 000 euros à verser au syndicat national du personnel de direction des organismes de sécurité sociale CFE-CGC, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
13. Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du syndicat national du personnel de direction des organismes de sécurité sociale CFE-CGC, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; que, pour le même motif, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention du syndicat national des personnels de direction des organismes sociaux CFDT, du syndicat national Force ouvrière des cadres des organismes sociaux et du syndicat national des agents de direction et d'encadrement des organismes sociaux CFTC est admise.
Article 2 : La partie III de la lettre collective n° 2013-0000326 relative à la gestion des agents de direction dans la branche recouvrement du directeur de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale et la décision rejetant le recours gracieux tendant à son retrait sont annulées.
Article 3 : L'agence centrale des organismes de sécurité sociale versera une somme de 3 000 euros au syndicat national du personnel de direction des organismes de sécurité sociale CFE-CGC au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du syndicat national du personnel de direction des organismes de sécurité sociale CFE-CGC est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au syndicat national du personnel de direction des organismes de sécurité sociale CFE-CGC, à l'agence centrale des organismes de sécurité sociale, au syndicat national des personnels de direction des organismes sociaux CFDT, au syndicat national Force ouvrière des cadres des organismes sociaux, au syndicat national des agents de direction et d'encadrement des organismes sociaux CFTC, à la ministre des affaires sociales et de la santé et au ministre des finances et des comptes publics.