Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Caisse autonome de retraite des médecins de France ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 231-12 du code de la sécurité sociale, applicable en vertu de l'article L. 641-1 de ce code à la caisse nationale et aux sections professionnelles de l'Organisation autonome d'assurance vieillesse des professions libérales : " Les organismes de sécurité sociale ne peuvent, en aucun cas, allouer un traitement à leurs membres du conseil ou administrateurs. Toutefois, ils leur remboursent leurs frais de déplacement ". L'article R. 121-4 inséré dans le même code par le 3° du I de l'article 15 du décret du 9 mars 2018, dont la Caisse autonome de retraite des médecins de France demande l'annulation pour excès de pouvoir, précise les modalités selon lesquelles ces frais de déplacement sont remboursés aux intéressés. Il prévoit notamment que ceux-ci " sont remboursés de leurs frais de transport du lieu de leur résidence ou de leur lieu de travail au lieu de la réunion par la voie la plus directe et la plus économique " et qu'ils " perçoivent à titre de frais de séjour des indemnités égales à celles dont bénéficient les agents de direction des organismes de sécurité sociale du régime général, dans les mêmes conditions que ceux-ci ".
2. En premier lieu, les dispositions précitées de l'article L. 231-12 du code de la sécurité sociale, dont il résulte que les administrateurs des organismes de sécurité sociale ont droit au remboursement de leurs frais de déplacement, ne font pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire détermine, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, les modalités de ce remboursement. S'il lui incombe à ce titre de fixer des modalités qui ne conduisent pas à ce que les intéressés soient remboursés dans des conditions manifestement disproportionnées au regard des frais qu'ils sont susceptibles de devoir engager, ces dispositions n'excluent ni la détermination de montants forfaitaires, ni celle de plafonds de prise en charge des frais réellement exposés par les intéressés. Par suite, la Caisse autonome de retraite des médecins de France n'est pas fondée à soutenir que l'article R. 121-4 du code de la sécurité sociale serait entaché d'incompétence ou méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 231-12 du code de la sécurité sociale faute de prévoir le remboursement, sans limitation, de l'intégralité des frais exposés.
3. En deuxième lieu, d'une part, les agents de direction des organismes de sécurité sociale du régime général ne sont pas amenés, contrairement à ce qui est soutenu, à exposer, eu égard aux fonctions qu'ils occupent, des frais de séjour qui ne seraient pas comparables à ceux des administrateurs des organismes de sécurité sociale et les conditions de remboursement de ces frais, alors même qu'elles sont déterminées par voie d'accord collectif, ne procèdent pas de considérations étrangères à celles présidant au remboursement des frais de séjour des administrateurs. D'autre part, contrairement à ce qui est également soutenu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le remboursement des frais de séjour à hauteur et dans les conditions de l'indemnité dont bénéficient les agents de direction des organismes de sécurité sociale serait manifestement insuffisant au regard des frais que les administrateurs sont susceptibles de devoir engager. Par suite, la caisse requérante n'est pas fondée à soutenir que l'article R. 121-4 du code de la sécurité sociale serait illégal en ce qu'il prévoit que le remboursement des frais de déplacement des administrateurs est opéré, s'agissant des frais de séjour, sous la forme d'indemnités égales à celles dont bénéficient, dans les mêmes conditions, les agents de direction.
4. En troisième lieu, les administrateurs ne pouvant se prévaloir d'aucune espérance légitime de bénéficier d'une indemnisation plus favorable, la caisse requérante n'est pas davantage fondée à soutenir que la fixation pour l'avenir d'une telle modalité de remboursement porterait atteinte à un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. En quatrième lieu, en ce qu'il prévoit que, s'agissant des frais de transport, les administrateurs sont remboursés de leurs frais de déplacement du lieu de leur résidence ou de leur lieu de travail au lieu de la réunion par la voie la plus directe et la plus économique, l'article R. 121-4 du code de la sécurité sociale, qui n'exclut pas la prise en considération du temps de trajet dans l'appréciation du respect de cette condition, n'est entaché d'aucune erreur manifeste d'appréciation.
6. En dernier lieu, toutefois, le I de l'article 17 du décret du 9 mars 2018, publié au Journal officiel de la République française du 11 mars 2018, prévoit l'entrée en vigueur de son article 15 le 1er janvier 2018. Si l'article 15 de la loi du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018 dispose que la réforme de la protection sociale des travailleurs indépendants qu'il prévoit entre en vigueur, sous certaines réserves, le 1er janvier 2018, les dispositions du 3° du I de l'article 15 du décret du 9 mars 2018, dont sont issues les dispositions litigieuses, ne sont nullement prises en application, contrairement à ce que soutient la ministre des solidarités et de la santé, de l'article 15 de cette loi. Par suite, la caisse requérante est fondée à soutenir qu'en ce qu'il prévoit l'entrée en vigueur de ces dispositions le 1er janvier 2018, à une date antérieure au lendemain de la publication du décret, l'article 17 de ce décret est entaché de rétroactivité illégale.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la Caisse autonome de retraite des médecins de France est seulement fondée à demander l'annulation des dispositions de l'article 17 du décret du 9 mars 2018, qui sont divisibles, en tant qu'elles prévoient l'entrée en vigueur des dispositions du 3° du I de l'article 15 de ce décret à une date antérieure au 12 mars 2018.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat, qui n'est pas, pour l'essentiel, la partie perdante au sens de ces dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'article 17 du décret du 9 mars 2018 relatif à la mise en oeuvre de la réforme de la protection sociale des travailleurs indépendants prévue par l'article 15 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 est annulé en tant qu'il prévoit l'entrée en vigueur des dispositions du 3° du I de l'article 15 de ce décret à une date antérieure au 12 mars 2018.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la Caisse autonome de retraite des médecins de France est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Caisse autonome de retraite des médecins de France et à la ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre.