3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code civil ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Fabio Gennari, auditeur,
- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ". Selon l'article 59 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, applicable en vertu de l'article 62 du même décret en cas de retrait de décret de naturalisation ou de réintégration décidé en application de l'article 27-2 du code civil, lorsque le Gouvernement a l'intention de retirer un tel décret, il notifie, en la forme administrative ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, les motifs de droit et de fait motivant le retrait à l'intéressé, qui dispose d'un délai d'un mois à compter de la notification pour faire parvenir ses observations en défense.
2. Il ressort des pièces du dossier que M. A...B..., ressortissant soudanais, a déposé une demande de naturalisation le 6 août 2015, par laquelle il a indiqué être célibataire. Au vu de ses déclarations, il a été naturalisé par décret du 27 mai 2016. Toutefois, par courrier reçu le 31 août 2016, le préfet du Rhône a informé le ministre chargé des naturalisations que M. A...B...avait épousé au Tchad, le 11 mars 2016, une ressortissante soudanaise résidant au Tchad. Par décret du 30 juillet 2018, le Premier ministre a rapporté le décret du 27 mai 2016 prononçant la naturalisation de M. A...B...au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères de l'intéressé sur sa situation familiale. M. A... B...demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.
3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le ministre chargé des naturalisations a notifié à M. A...B...les motifs justifiant le retrait du décret ayant prononcé sa réintégration dans la nationalité française par une lettre datée du 16 janvier 2017. La lettre a été expédiée au nom et à l'adresse de l'intéressé avec demande d'avis de réception. Elle a été présentée à son domicile le 18 janvier 2017 mais n'a pas été réclamée par l'intéressé aux services postaux, qui ont retourné le pli au ministre après l'expiration du délai de mise en instance postal. Cette notification doit être regardée, faute pour l'intéressé d'avoir pris toutes les dispositions utiles pour retirer le pli qui lui avait été régulièrement adressé, comme étant intervenue à la date de première présentation du pli par les services postaux, soit le 18 janvier 2017. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait illégal faute pour l'intéressé d'avoir pu présenter ses observations en défense dans le délai d'un mois prévu par les articles 59 et 62 du décret du 30 décembre 1993 ne peut qu'être écarté.
4. En deuxième lieu, il ressort des mentions du décret attaqué que la section de l'intérieur du Conseil d'Etat a rendu son avis lors de sa séance du 17 juillet 2018 sur le projet de décret dont elle a été saisie. Ainsi, le moyen tiré de ce que le décret aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière ne peut qu'être écarté.
5. En troisième lieu, le délai de deux ans imparti par l'article 27-2 du code civil pour rapporter le décret de naturalisation de M. A...B...a commencé à courir à la date à laquelle la réalité de la situation familiale de l'intéressé a été portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations.
6. A cet égard, il ressort des pièces du dossier que les services du ministre chargé des naturalisations n'ont été informés de la réalité de la situation familiale du requérant que le 31 août 2016, date à laquelle ils ont reçu les documents relatifs au mariage de l'intéressé transmis par courrier du préfet du Rhône. La circonstance que M. A...B...ait, antérieurement, demandé un certificat de naissance à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et un certificat de capacité à mariage aux autorités consulaires françaises de N'Djaména n'est pas de nature à établir que son mariage aurait été porté à la connaissance des services du ministre chargé des naturalisations à une date antérieure au 27 mai 2016. En outre, M. A...B...n'apporte aucun élément au soutien de l'allégation selon laquelle il se serait rapproché de la préfecture du Rhône avant cette date. Dans ces conditions, le décret attaqué, qui a été signé le 30 juillet 2018, a été pris avant l'expiration du délai de deux ans prévu par les dispositions de l'article 27-2 du code civil.
7. En quatrième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative peut notamment prendre en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française. Par suite, ainsi que l'énonce le décret attaqué, la circonstance que l'intéressé ait dissimulé s'être marié au Tchad avec une ressortissante soudanaise au cours de l'instruction de sa demande de naturalisation était de nature à modifier l'appréciation qui avait été portée par l'autorité administrative sur la fixation du centre de ses intérêts.
8. En cinquième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A...B...s'est marié le 11 mars 2016 à N'Djaména avec une ressortissante soudanaise résidant au Tchad. Ce mariage a constitué un changement de sa situation personnelle et familiale que l'intéressé aurait dû porter à la connaissance des services instruisant sa demande de naturalisation, comme il s'y était engagé en déposant sa demande de naturalisation, ce qu'il n'a pas fait avant que lui soit accordée la nationalité française. Si M. A...B...soutient qu'il était de bonne foi, il ne fait état d'aucune circonstance qui l'aurait mis dans l'impossibilité de faire part de son changement de situation familiale au service chargé de l'instruction de son dossier avant l'intervention du décret lui accordant la nationalité française. L'intéressé, qui maîtrise la langue française, ainsi qu'il ressort du procès-verbal d'assimilation du 6 août 2015, ne pouvait se méprendre sur la teneur de l'engagement qu'il avait pris sur l'honneur en déposant sa demande de naturalisation. Dans ces conditions, M. A...B...doit être regardé comme ayant volontairement dissimulé le changement de sa situation familiale. Par suite, en rapportant sa naturalisation, dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 du code civil.
9. En sixième lieu, un décret qui rapporte pour fraude un décret de naturalisation est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille. Ainsi, les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et de l'article 24 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne peuvent être utilement invoquées à l'appui des conclusions dirigées contre le décret attaqué. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de M. A...B...garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il n'est pas non plus entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A...B...n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 30 juillet 2018 par lequel le premier ministre a rapporté le décret du 27 mai 2016 qui lui avait accordé la nationalité française. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A...B...est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. C...A...B...et au ministre de l'intérieur.