1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette ses conclusions présentées à titre principal ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son protocole additionnel ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat de la société Usine du Marin ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) ". Aux termes de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à cette convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international (...) ". Aux termes de l'article 16 de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, applicable au litige, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution : " L'Etat est tenu de prêter son concours à l'exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l'Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation ".
2. Il résulte des stipulations et dispositions citées ci-dessus que le représentant de l'Etat, saisi d'une demande en ce sens, doit prêter le concours de la force publique en vue de l'exécution des décisions de justice ayant force exécutoire. Seules des considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l'ordre public, ou des circonstances postérieures à une décision de justice ordonnant l'expulsion d'occupants d'un local, faisant apparaître que l'exécution de cette décision serait de nature à porter atteinte à la dignité de la personne humaine, peuvent légalement justifier, sans qu'il soit porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, le refus de prêter le concours de la force publique.
3. Dans le cas où, à la suite d'un premier refus de concours de la force publique, la décision de justice demeure inexécutée pendant une durée manifestement excessive au regard des droits et intérêts en cause, il incombe au représentant de l'Etat, alors même que des considérations impérieuses justifieraient toujours un refus de concours de la force publique, de rechercher toute mesure de nature à permettre de mettre fin à l'occupation illicite des lieux. S'il est alors saisi d'une demande d'annulation pour excès de pouvoir d'un nouveau refus de concours de la force publique, il appartient au juge administratif d'analyser les conclusions dont il est saisi comme dirigées non seulement contre ce refus, mais aussi, subsidiairement, contre le refus d'accomplir des diligences appropriées pour mettre en oeuvre l'obligation définie ci-dessus. Il lui appartient, par suite, de se prononcer sur la légalité du nouveau refus de concours, mais aussi, dans l'hypothèse où il juge que ce refus est légalement justifié, sur les diligences accomplies par le représentant de l'Etat. Dans cette dernière hypothèse, s'il annule la décision en tant qu'elle refuse d'accomplir des diligences appropriées, il peut, saisi de conclusions en ce sens, enjoindre au représentant de l'Etat, le cas échéant sous astreinte, d'accomplir de telles diligences, dans un délai qu'il fixe.
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un jugement du 13 février 1990 confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Fort-de-France du 19 juin 1992, le tribunal de grande instance de Fort-de-France a ordonné l'expulsion des occupants d'un terrain dénommé " Habitation Anse Noire " situé à Sainte-Anne, dont la société Usine du Marin est propriétaire. Depuis 1993, la société Usine du Marin a requis à plusieurs reprises le concours de la force publique en vue de l'exécution de ce jugement, le préfet de la région Martinique ayant, en dernier lieu, une nouvelle fois rejeté cette demande par une décision implicite née, le 14 avril 2015, du silence gardé par lui sur l'injonction qui lui avait été faite, par un jugement du tribunal administratif de la Martinique du 12 février 2015, de réexaminer une demande formulée en ce sens par la société. Cette dernière a demandé au même tribunal administratif d'annuler cette décision et d'enjoindre au préfet de lui accorder le concours de la force publique dans un délai d'un mois ou, conformément à ce qui a été dit au point 3, d'annuler la décision du préfet en ce qu'elle emporte refus d'accomplir les diligences appropriées et d'enjoindre au préfet d'accomplir ces diligences. Par un jugement du 25 juillet 2017 le tribunal administratif, après avoir jugé que le refus de concours de la force publique opposé à la société Usine du Marin par le préfet de la Martinique était légalement justifié, a annulé la décision du 14 avril 2015 en tant qu'elle emporte refus d'accomplir les diligences appropriées et a enjoint au préfet d'accomplir ces diligences.
5. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que, pour juger que des considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l'ordre public justifiaient légalement le refus de concours de la force publique opposé le 14 avril 2015 par le représentant de l'Etat, le tribunal s'est fondé sur des rapports de gendarmerie établis en 2008, 2014 et 2015 faisant état de ce que les occupants sans titre du terrain étaient probablement armés, que l'accès au terrain était difficile et qu'une opposition de la population était à prévoir. Toutefois, en se fondant sur ces rapports, dont le premier est ancien et dont les deux autres, rédigés en termes généraux et stéréotypés, sont insuffisamment circonstanciés et font principalement état de simples déclarations des occupants, pour juger que des troubles à l'ordre public ne pourraient être prévenus ou contenus, le tribunal administratif a dénaturé les pièces du dossier qui lui étaient soumis.
6. Il résulte de ce qui précède que la société Usine du Marin est fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque en ce qu'il a jugé légale la décision du préfet refusant d'accorder le concours de la force publique. Eu égard à l'office du juge saisi d'un refus de concours de la force publique, tel qu'énoncé au point 3, il y a lieu d'annuler le jugement du tribunal administratif en son entier afin qu'il puisse être statué à nouveau sur l'ensemble de la demande dirigée contre la décision du préfet de la Martinique.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société Usine du Marin au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le jugement du 25 juillet 2017 du tribunal administratif de la Martinique est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de la Martinique.
Article 3 : L'Etat versera à la société Usine du Marin une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Usine du Marin, au ministre de l'intérieur et à la ministre des outre-mer.