Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'énergie ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ;
- le décret n° 2017-948 du 10 mai 2017 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Séverine Larere, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. D'une part, aux termes de l'article L. 322-8 du code de l'énergie : "...un gestionnaire de réseau de distribution d'électricité est, dans sa zone de desserte exclusive, notamment chargé, ...7° D'exercer les activités de comptage pour les utilisateurs raccordés à son réseau, en particulier la fourniture, la pose, le contrôle métrologique, l'entretien et le renouvellement des dispositifs de comptage et d'assurer la gestion des données et toutes missions afférentes à l'ensemble de ces activités ; (...) ". Aux termes de l'article L. 341-4 du même code : " Les gestionnaires des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité mettent en oeuvre des dispositifs permettant aux fournisseurs de proposer à leurs clients des prix différents suivant les périodes de l'année ou de la journée et incitant les utilisateurs des réseaux à limiter leur consommation pendant les périodes où la consommation de l'ensemble des consommateurs est la plus élevée./ Dans le cadre du déploiement des dispositifs prévus au premier alinéa du présent article et en application de la mission fixée au 7° de l'article L. 322-8, les gestionnaires des réseaux publics de distribution d'électricité mettent à la disposition des consommateurs leurs données de comptage, des systèmes d'alerte liés au niveau de leur consommation, ainsi que des éléments de comparaison issus de moyennes statistiques basées sur les données de consommation locales et nationales. Un décret précise le contenu des données concernées ainsi que les modalités de leur mise à disposition. (....) ".
2. D'autre part, aux termes de l'article L. 432-8 du code de l'énergie : "(...) un gestionnaire de réseau de distribution de gaz naturel est notamment chargé (...) 7° D'exercer les activités de comptage pour les utilisateurs raccordés à son réseau, en particulier la fourniture, la pose, le contrôle métrologique, l'entretien et le renouvellement des dispositifs de comptage et d'assurer la gestion des données et toutes missions afférentes à l'ensemble de ces activités ; (...) ". Aux termes de l'article L. 453-7 du même code : " (...) les gestionnaires des réseaux publics de distribution de gaz naturel mettent à la disposition des consommateurs leurs données de comptage, des systèmes d'alerte liés au niveau de leur consommation, ainsi que des éléments de comparaison issus de moyennes statistiques basées sur les données de consommation locales et nationales. Un décret précise le contenu des données concernées ainsi que les modalités de leur mise à disposition. (...) ".
3. En application des dispositions citées aux points 1 et 2 ci-dessus, le Premier ministre a pris, le 10 mai 2017, un décret " relatif aux modalités de mise à disposition des consommateurs des données de consommation d'électricité et de gaz ".
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
En ce qui concerne la légalité externe du décret attaqué :
4. En premier lieu, si le deuxième tour des élections présidentielles a eu lieu le 7 mai 2017 et si un nouveau Gouvernement a été formé le 17 mai 2017, Monsieur D...G...et Madame F...C...étaient, respectivement, Premier ministre et ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer le 10 mai 2017, date à laquelle le décret attaqué a été pris et, par suite, compétents, le premier, pour signer ce décret et, la seconde, pour le contresigner et en assurer l'exécution conformément aux dispositions de son article 5. Si le Gouvernement a démissionné le 10 mai 2017, il ne ressort pas des pièces du dossier que les signatures de M. G... et de Mme C... aient été données après que le Président de la République eut mis fin aux fonctions du Gouvernement sur présentation de sa démission par le Premier ministre. Le moyen tiré de l'incompétence des signataires du décret ne peut donc qu'être écarté.
5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment de la pièce n° 69 produite par les requérantes, que par une délibération n° 17-04-06-01372 du 6 avril 2017, le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) a émis un avis favorable sur un projet de décret " relatif aux modalités de mise à disposition aux consommateurs des données de consommation d'électricité et de gaz ". Le moyen tiré de ce que l'avis du CNEN du 6 avril 2017 ne porterait pas sur le décret attaqué doit, par suite, être écarté comme manquant en fait.
6. En troisième lieu, il ressort des pièces produites par le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire le 13 août 2018, d'une part, que le Conseil supérieur de l'énergie a rendu un avis sur le projet de décret le 15 mars 2017 et, d'autre part, que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) s'est prononcée sur ce projet par une délibération n° 2017-114 du 20 avril 2017. Par suite, les moyens tirés de ce que cet avis et cette délibération seraient inexistants manquent en fait et doivent être écartés. En outre, il ressort de la confrontation du texte du projet de décret soumis à la CNIL et du texte du décret attaqué que le projet de décret soumis à consultation n'a pas fait l'objet, postérieurement à cette consultation, de modifications soulevant des questions nouvelles et nécessitant, en conséquence, une nouvelle consultation de la CNIL.
7. En quatrième lieu, si les requérantes soutiennent que le décret attaqué n'a pas fait l'objet, contrairement à ce qu'indiquent ses visas, d'un rapport de présentation élaboré par la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, un tel moyen est sans incidence sur la légalité du décret, dès lors qu'aucun texte ni aucun principe n'imposent la rédaction d'un tel rapport.
8. En dernier lieu, le décret attaqué, qui est pris pour l'application des dispositions précitées du 7° de l'article L. 322-8 du code de l'énergie et du 7° de l'article L. 432-8 du même code, fait référence, dans ses visas, à ces deux articles. Les requérantes ne sont, en tout état de cause, pas fondées à soutenir que cette mention serait abusive.
En ce qui concerne la légalité interne :
9. En premier lieu, les dispositions précitées des articles L. 341-4 et L. 453-7 du code de l'énergie qui, dans leur rédaction en vigueur à la date du décret attaqué, issue de la loi n° 2017-227 du 24 février 2017, prévoient d'ailleurs expressément qu'un décret précise le contenu des données mises à disposition des utilisateurs par les gestionnaires de réseaux d'électricité et de gaz ainsi que les modalités de leur mise à disposition, constituent, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le fondement légal du décret attaqué, lequel n'avait pas à viser la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, dont les dispositions ont été reprises dans le code de l'énergie.
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article 38 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés : " Toute personne physique a le droit de s'opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l'objet d'un traitement. / Elle a le droit de s'opposer, sans frais, à ce que les données la concernant soient utilisées à des fins de prospection, notamment commerciale, par le responsable actuel du traitement ou celui d'un traitement ultérieur. (...)" . Les dispositions du décret attaqué, notamment celles qui ont été introduites à l'article D. 341-21 du code de l'énergie, aux termes desquelles " la courbe de charge d'électricité est enregistrée, au pas horaire, dans la mémoire du dispositif de comptage, sauf si le consommateur s'y oppose " prévoient un doit d'opposition à l'enregistrement des données qu'elles mentionnent. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il serait privé de tout caractère effectif du fait des modalités d'enregistrement qu'elles prévoient. Le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait les dispositions précitées de l'article 38 et le droit au respect de la vie privée garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut donc qu'être écarté. Le moyen tiré de ce qu'il méconnaîtrait les délibérations de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) des 15 novembre 2012 et 30 novembre 2015 est inopérant. De même, la circonstance qu'Enedis n'aurait pas respecté les termes du " pack de conformité " résultant de l'accord conclu par EDF avec la CNIL en 2014 est sans incidence sur la légalité du décret attaqué.
11. En troisième lieu, l'article L. 111-75 du code de l'énergie dispose que " Les conditions dans lesquelles les gestionnaires des réseaux publics de distribution d'électricité sont autorisés à communiquer aux fournisseurs les données de comptage de leurs clients ou de tout consommateur final d'électricité avec son accord exprès sont précisées par décret en Conseil d'Etat ". Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, aucune disposition du décret attaqué ne prévoit que l'accès des fournisseurs à ces données est possible " sauf si le consommateur s'y oppose ". Il ressort, au contraire, des dispositions des articles D. 341-22 et D. 341-23 du code de l'énergie, créés par l'article 1er du décret attaqué, qui prévoient, pour le premier, que les consommateurs peuvent demander à tout moment la mise à disposition de tout tiers qu'ils désignent de tout ou partie de leurs données de consommation et, pour le second, que " si elle a été demandée, la mise à disposition des données au fournisseur titulaire du contrat de fourniture cesse en cas de changement de fournisseur ", que l'accès des fournisseurs aux données de comptage suppose un accord exprès du consommateur, qui doit, le cas échéant après y avoir été invité par le gestionnaire du réseau de distribution, faire une demande en ce sens. Les dispositions de l'article 1er du décret attaqué ne méconnaissent donc pas les dispositions précitées de l'article L. 111-75 du code de l'énergie. Le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaitraient celles de l'article L. 453-7 du même code est inopérant dès lors que cet article est relatif au gaz et non à l'électricité.
12. En quatrième lieu, les moyens tirés de ce que les dispositions du décret attaqué méconnaitraient la convention n° 108 du Conseil de l'Europe pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du 28 janvier 1981, la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, la recommandation de la Commission européenne du 9 mars 2012 relative à la préparation de l'introduction des systèmes intelligents de mesure, le Règlement UE/2016-679 du Parlement et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données et abrogeant la directive 95/46/CE et le protocole additionnel 181 à la Convention pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, concernant les autorités de contrôle et les flux transfrontières de données ne sont pas assortis de précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé. Ils ne peuvent, dès lors, qu'être écartés.
13. Enfin, si les requérantes soutiennent que le décret attaqué procède de manoeuvres frauduleuses visant à détourner l'esprit de la loi du 17 août 2015, à abuser le Conseil d'Etat et les consommateurs et à les priver de leurs droits fondamentaux, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.
14. Il résulte de ce qui précède que Mme A...et Mme E...ne sont pas fondées à demander l'annulation du décret qu'elles attaquent.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme B... A...et de Mme H...E...est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Madame A..., représentant désigné, pour l'ensemble des requérants, au Premier ministre et au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.