3°) d'enjoindre à la Fédération française de rugby de s'abstenir de prendre toutes mesures portant mise en oeuvre de la décision de World Rugby du 30 juillet 2020 ou relatives à l'organisation de matchs de l'Equipe de France non prévus par l'annexe n° 1, sous astreinte de 10 000 euros par manquement constaté à compter de la notification de la présente ordonnance ;
4°) de mettre à la charge de la Fédération française de rugby la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le Conseil d'Etat est compétent ;
- sa requête est recevable dès lors qu'elle est dirigée contre des décisions lui faisant grief ;
- la condition d'urgence est remplie dès lors que les décisions contestées, en premier lieu, préjudicient gravement à la situation économique des clubs professionnels et à celle de la Ligue nationale de rugby, eu égard notamment à la fragilité du modèle économique des clubs de rugby professionnel, en particulier en raison de la crise sanitaire ayant entraîné une chute importante de leurs recettes et la mise en oeuvre de mesures drastiques et dont les conséquences mettent en péril la pérennité de ces structures, en deuxième lieu, portent gravement atteinte à l'équité et au bon déroulement du TOP 14, d'une part, en ce qu'elles favorisent, de manière définitive et dans un contexte économique très dégradé, les clubs ne disposant pas de joueur évoluant en équipe de France et, d'autre part, en raison de la tardiveté de la date à laquelle l'extension de la période de mise à disposition des joueurs a été décidée, en troisième lieu, elles mettent en cause le fonctionnement normal des clubs professionnels dans le contexte de la crise sanitaire et de la réduction de la taille de leurs effectifs, en quatrième lieu, elles engendrent des risques pesant sur la santé des joueurs et, en dernier lieu, aucun intérêt public ne s'attache à l'exécution des décisions contestées ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées ;
- les décisions contestées sont entachées d'incompétence en ce que la Fédération française de rugby ne pouvait unilatéralement procéder à de telles mesures sans mettre en oeuvre la discussion prévue à l'article 11 de la convention du 1er juillet 2018 conclue entre la Ligue nationale de rugby et ladite Fédération ;
- elles méconnaissent les dispositions des articles R. 132-11 du code du sport et 11 de la convention du 1er juillet 2018 précitée, ainsi que son annexe n° 1, en ce que la Fédération française de rugby, en décidant unilatéralement de ne pas organiser de discussion, d'imposer la mise en oeuvre de la décision de World Rugby du 30 juillet 2020 et de modifier le calendrier de l'équipe de France, n'a pas respecté les exigences d'exercice commun des compétences entre la Fédération et la Ligue professionnelle et, en particulier, d'organisation d'une " discussion " en vue d'adapter les conditions de mise à disposition des joueurs dans le respect de la règle d'équilibre ;
- elles portent une atteinte excessive aux intérêts économiques du rugby professionnel et menacent la pérennité de certains clubs ainsi que la santé des joueurs, dont elles ont pour effet de les exposer à un risque très important de blessures.
Par mémoire en défense, enregistré le 2 octobre 2020, la Fédération française de rugby conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la Ligue nationale de rugby la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la requête n'est pas recevable, dès lors que le recours n'est pas dirigé contre des actes administratifs faisant grief, que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens soulevés n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des actes contestés
La requête a été communiquée pour observations au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports qui n'a pas produit de mémoire.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la Ligue national de rugby, et d'autre part, la Fédération française de rugby et le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 5 octobre 2020, à 11 heures :
- Me Sebagh, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Ligue nationale de rugby ;
- les représentants de la Ligue nationale de rugby ;
- Me Delvolve, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Fédération française de rugby ;
- le représentant de la Fédération française de rugby ;
à l'issue de l'audience le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 7 octobre 2020 à minuit puis au 8 octobre 2020 à 18 heures et, enfin, au 9 octobre 2020 à 12 heures.
Vu les nouveaux mémoires, enregistrés les 7 et 8 octobre 2020, produits par la Ligue nationale de rugby ;
Vu les nouveaux mémoires, enregistrés les 8 et 9 octobre 2020, produits par la Fédération française de rugby ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 octobre 2020, après la clôture de l'instruction, présentée par la Ligue nationale de rugby ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du sport ;
- la convention FFR/LNR du 1er juillet 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. L'article L. 511-1 du code de justice administrative dispose que : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. " Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
Sur la compétence du juge des référés du Conseil d'Etat :
2. La Fédération française de rugby est une fédération sportive régie par le titre III du livre I du code du sport. La Ligue nationale de rugby est une association régie par le chapitre II du même titre III du livre I. Aux termes des dispositions de l'article R.132-9 du code du sport : " Les relations de la Fédération et de la Ligue professionnelle sont fixées par une convention qui précise la répartition de leurs compétences et les conditions dans lesquelles la Fédération et la Ligue exercent en commun les compétences mentionnées à l'article R. 132-11. "
3. Au regard des textes qui en encadrent l'existence, les conditions de son élaboration et son contenu, cette convention, qui détermine les conditions d'exercice en commun des pouvoirs notamment réglementaires dévolus par le code du sport aux Fédérations délégataires et aux Ligues professionnelles, a un caractère réglementaire et ne peut être regardée, pour l'appréciation de la compétence du juge des référés, comme établissant une relation purement contractuelle. En conséquence, les décisions, prises par l'un ou l'autre de ses auteurs, tenus d'agir en commun en vue de sa modification, ne sont pas manifestement insusceptibles de se rattacher à un litige dont il appartient au conseil d'Etat de connaître en premier et dernier ressort.
Sur les règles applicables à la mise à disposition de l'équipe de France de sportifs des clubs membres de la Ligue nationale de rugby :
4. Aux termes de l'article R. 132-11 du code du sport, " La Fédération et la Ligue professionnelle exercent en commun les compétences suivantes : (...)3°) Les conditions dans lesquelles les sportifs sont mis à disposition des équipes portant l'appellation d'" Equipe de France " ".
5. La réglementation interne de la structure dénommée " World rugby " ne produit pas d'effet direct en droit public national. Il appartient naturellement à la Fédération comme à la Ligue d'exercer leurs compétences de manière à ce que celles de leurs activités qui s'inscrivent dans le cadre de la réglementation interne de " World rugby " s'y conforment, ainsi que le prévoient leurs statuts. Mais la seule circonstance que cette réglementation évolue n'apparaît pas comme susceptible, ni par elle-même, ni par la référence qu'y font les statuts de la Fédération comme de la Ligue, de s'imposer en droit interne, aussi longtemps que la seule norme opposable, aux joueurs comme aux équipes, prévue par l'article R. 132 -11 mentionné au point précédent, n'est pas modifiée d'un commun accord par les auteurs, Fédération et Ligue, habilités à en décider.
6. A la date de la présente ordonnance, les dispositions de la " convention " régissant, en application de l'article R. 132-11 du code du sport, les conditions de mise à disposition des sportifs à l'équipe de France prévoient, pour l'automne 2020, la participation des sportifs désignés à trois matchs de l'équipe de France, entraînant leur disponibilité pour y participer, dans les conditions régies par le code du sport, pour quatre semaines. " World rugby " a décidé de porter cette période de disponibilité à sept semaines, tandis que dans l'exercice de ses compétences, la Fédération a fixé les matchs de l'équipe de France à six pour la même période.
7. Il en résulte que pour permettre l'élargissement de la période de disponibilité comme le nombre de matchs susceptibles d'être joués au regard des conditions de mise à disposition des sportifs sélectionnés pour l'équipe de France, une modification des dispositions pertinentes de la " convention " entre la Fédération et la Ligue est, contrairement à ce que soutient la Fédération dans le dernier état de ses écritures, nécessaire. Ces modifications ne peuvent intervenir que par décision conjointe de la Fédération et de la Ligue.
Sur les décisions attaquées :
8. Pour tenir compte des conséquences de l'épidémie de covid-19 sur le déroulement des compétitions sportives, " World Rugby ", structure jouant le rôle d'une fédération internationale, a décidé dans son règlement interne d'augmenter la durée durant laquelle les joueurs professionnels de chaque pays sont tenus d'être mis à disposition de leur équipe nationale par les clubs qui les emploient. En conséquence, la fédération nationale, notamment après négociation avec ses homologues de certains pays, a envisagé de faire jouer à l'automne 2020 six matches à l'équipe de France, contre trois auparavant prévus, ce que l'allongement de la période de mise à disposition prévu par " World Rugby " devait permettre. Des discussions se sont engagées avec la Ligue nationale de rugby, en vue de modifier l'annexe I de la convention qui la lie à la Fédération et régit les conditions de mise à disposition des joueurs de l'équipe de France. Ces discussions n'ayant pas abouti, la Ligue a introduit un recours en excès de pouvoir contre les trois décisions qu'elle estime avoir été prises par la Fédération et contenues ou révélées par différents courriers et actes, respectivement de ne pas négocier d'évolution de cette annexe, d'imposer unilatéralement l'allongement de la période de mise à disposition prévue par " World Rugby " et d'organiser six matches d'équipe de France. Elle a assorti cette requête d'une demande de suspension de ces trois décisions sur le fondement de l'article L 521-1 du code de justice administrative.
9. En premier lieu, la Ligue estime que la Fédération a refusé d'engager la discussion prévue à l'article 11 de la convention conclue le 1er juillet 2018 entre la Ligue et la Fédération sur les conditions de mise à disposition des joueurs. Il résulte toutefois de l'ensemble des pièces du dossier éclairé par les débats à l'audience que depuis quatre mois, y compris après l'audience et avant la clôture de l'instruction, la Ligue et la Fédération ont tenté de s'accorder sur les conditions de modification des dispositions pertinentes de la " convention ". Si, à ce stade, aucune disposition de nature à prendre en considération les évolutions de calendrier et de période de mise à disposition n'a pu être adoptée, ce n'est pas en raison d'un refus de négocier par l'une des parties, mais de l'incapacité de celles-ci à s'entendre sur le sens et la portée à donner aux modifications nécessaires.
10. En deuxième lieu, la Ligue soutient que la Fédération a décidé de mettre en oeuvre unilatéralement la modification en date du 30 juillet 2020 du règlement numéro 9 de " World rugby " portant pour ce qui le concerne de trois à sept semaines la période de mise à disposition des joueurs au profit de leur équipe nationale. S'il résulte des échanges entre les parties que l'intention de la Fédération est que la période de mise à disposition soit portée à sept semaines, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que seule une modification des dispositions pertinentes de la " convention " permettrait d'atteindre ce résultat. L'intention de la Fédération ne peut en l'état être regardée comme une décision unilatérale qu'elle n'a compétences ni pour l'adopter ni, a fortiori, pour en assurer l'exécution.
11. En troisième lieu, la Ligue fait valoir que la Fédération a procédé à une modification unilatérale des dispositions de l'annexe 1 de la convention qui l'unit à la Ligue en décidant des dates auxquelles l'équipe de France disputerait des matchs à l'automne 2020. La prise en compte des dates de matchs déterminants les conditions de mise à disposition des sportifs ne peut intervenir qu'au sein de l'annexe pertinent de la " convention ". Le calendrier d'engagement de l'équipe de France des compétitions internationales est insusceptible, par lui-même, de produire les effets que la Ligue ou la Fédération croient pouvoir y attacher et ne constitue donc nullement la décision que la Ligue entend attaquer.
12. Faute qu'aucune des décisions dont la suspension est demandée, à supposer que celle-ci produise un effet pratique au regard de l'urgence alléguée, existe ou aie la portée que la requête leur prête, la demande de suspension présentée par la Ligue nationale de rugby devant le juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 521- 1 du code de justice administrative, ne peut qu'être regardée comme irrecevable et doit en conséquence être rejetée. Par suite, ses conclusions à fin de diverses injonctions ne peuvent de même qu'être rejetées.
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la Fédération française de rugby, qui n'est pas la partie perdante, le versement des sommes que demande la Ligue nationale de rugby à ce titre.
14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Ligue nationale de rugby la somme que demande la Fédération sur le fondement des mêmes dispositions.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la Ligue nationale de rugby est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la Fédération française de rugby au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la Ligue nationale de rugby et à la Fédération française de rugby.
Copie en sera adressée au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.