2°) d'ordonner la suspension de l'exécution des arrêtés du ministre de l'intérieur des 4 et 24 novembre 2020 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la condition d'urgence caractérisée est remplie dès lors que les mesures contestées sont susceptibles d'être exécutées à tout instant ;
- l'arrêté fixant le pays de renvoi porte une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à la vie et à son droit à l'intégrité physique, protégés par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'ordonnance attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation en tant qu'elle juge, en dépit des éléments produits, que sa vie et son intégrité physique ne sont pas menacées en cas de retour dans son pays d'origine ;
- elle méconnaît la portée des stipulations précitées, qui est plus large que celle de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, dès lors qu'elle a écarté la méconnaissance invoquée des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en se fondant uniquement sur le rejet opposé par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) à sa demande d'asile et sur le motif de cette décision tenant à l'obtention d'un passeport en Russie avant son départ ;
- l'arrêté d'expulsion porte une atteinte grave et manifestement illégale à son droit d'asile protégé par l'article 4 du préambule de la Constitution de 1946.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 décembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que les conclusions tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté d'expulsion jusqu'à ce que la Cour nationale du droit d'asile se soit prononcée sur son appel sont irrecevables faute pour l'intéressé d'avoir formé un recours sur le fondement de l'article L. 571-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatif au statut des réfugiés ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A... et, d'autre part, le ministre de l'intérieur ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 10 décembre 2020, à 11h00 :
- Me Robillot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... ;
- les représentants du ministre de l'intérieur ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.
Vu la note en délibérée, enregistrée le 10 décembre 2020, présentée par M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".
2. Il résulte de l'instruction M. A..., ressortissant russe né le 8 janvier 2002 à Orjonikidzevskaya (Ingouchie), est entré sur le territoire français le 19 décembre 2017, accompagné de ses parents, qui ont déposé une demande d'asile, ainsi que de son frère et de sa soeur. Devenu majeur, il a déposé en son nom, le 29 janvier 2020, une demande d'asile. Par un arrêté du 4 novembre 2020, le ministre de l'intérieur a décidé son expulsion, en application de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au titre d'une menace grave pour l'ordre public, et ce en urgence absolue au sens de l'article L. 522-1 de ce code, au motif notamment que M. A... a mené des activités de recrutement au profit de l'organisation terroriste " Daech " afin de commettre des attentats contre les membres des forces de l'ordre et que depuis le mois d'août 2020, il consulte régulièrement un site internet proposant des tutoriels sur la fabrication artisanale d'explosifs. Après son placement en rétention administrative, par un arrêté du préfet du Haut-Rhin du 10 novembre 2020, et le rejet de sa demande d'asile par une décision de l'Office français des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 12 novembre 2020, l'intéressé a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 4 novembre 2020. Après rejet de cette demande par une ordonnance du 18 novembre 2020, le ministre de l'intérieur a fixé, par un arrêté du 24 novembre 2020, la Russie comme pays de renvoi M. A... a saisi, à nouveau, le juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le même fondement, d'une demande tendant à la suspension de l'exécution des arrêtés des 4 et 24 novembre 2020. Il relève appel de l'ordonnance du 1er décembre 2020 par laquelle cette demande a été rejetée.
Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté d'expulsion :
3. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public. ". Aux termes de l'article L. 522-1 du même code : " I. - Sauf en cas d'urgence absolue, l'expulsion ne peut être prononcée que dans les conditions suivantes : / 1° L'étranger doit être préalablement avisé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ; / 2° L'étranger est convoqué pour être entendu par une commission qui se réunit à la demande de l'autorité administrative (...) ".
4. Aux termes de l'article L. 743-1 du code précité : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, dans le délai prévu à l'article L. 731-2 contre une décision de rejet de l'office, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci. (...) ". Aux termes, toutefois, de l'article L. 743-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 743-1, sous réserve du respect des stipulations de l'article 33 de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, adoptée à Rome le 4 novembre 1950, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin et l'attestation de demande d'asile peut être refusée, retirée ou son renouvellement refusé lorsque :/ (...)/ 7° L'office a pris une décision de rejet dans les cas prévus au I et au 5° du III de l'article L. 723-2 ". Et aux termes du III de l'article L. 723-2 du même code : " L'office statue également en procédure accélérée lorsque l'autorité administrative chargée de l'enregistrement de la demande d'asile constate que : / (...) / 5° La présence en France du demandeur constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat. ".
5. Aux termes, enfin, de l'article L. 571-4 du code précité : " I. - Le demandeur d'asile qui fait l'objet d'une mesure d'expulsion, prise en application des articles L. 521-1, L. 521-2, L. 521-3 ou L. 521-5, (...) et dont la demande d'asile est en cours d'examen (...) peut être (...) placé en rétention le temps strictement nécessaire à l'examen de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et, en cas de décision de rejet ou d'irrecevabilité, dans l'attente de son départ. . (...) / III. - En cas de décision de rejet ou d'irrecevabilité par l'office, l'étranger peut, dans les quarante-huit heures suivant la notification de cette décision, demander au président du tribunal administratif de suspendre l'exécution de la mesure d'éloignement jusqu'à l'expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile ou, si celle-ci est saisie, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la cour, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci. La mesure d'éloignement ne peut être mise à exécution pendant ce délai de quarante-huit heures ou, en cas de saisine du président du tribunal administratif, avant que ce dernier ou le magistrat qu'il désigne à cette fin parmi les membres de sa juridiction ou les magistrats honoraires inscrits sur la liste mentionnée à l'article L. 222-2-1 du code de justice administrative ait statué. (...) ".
6. Il résulte des dispositions citées au point 4 que M. A..., qui n'a pas exercé le recours prévu par les dispositions citées au point 5, et qui ne conteste ni les faits qui ont été retenus à son encontre ni leur qualification au regard des dispositions citées au point 3, n'a plus le droit de se maintenir sur le territoire français, depuis qu'il a reçu notification, le 18 novembre 2020, de la décision de l'OFPRA rejetant, en procédure accélérée après l'avoir entendu, sa demande d'asile. Par suite, et alors même que l'appel qu'il a formé à l'encontre de cette décision reste pendant devant la Cour nationale du droit d'asile, le requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté le moyen tiré de ce que l'exécution de l'arrêté prononçant son expulsion, qui était impossible avant que le pays de renvoi n'ait été fixé, porterait une atteinte grave et manifestement illégale à son droit d'asile.
Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté fixant le pays de renvoi :
7. Aux termes de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : " 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. ". Aux termes de l'article 3 de cette convention : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
8. Aux termes de l'article L. 523-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le pays de renvoi d'un étranger faisant l'objet d'un arrêté d'expulsion est déterminé dans les conditions prévues à l'article L. 513-2. ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 513-2 du même code : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
9. Il appartient à l'autorité administrative chargée de prendre la décision fixant le pays de renvoi d'un étranger qui fait l'objet d'un arrêté d'expulsion de s'assurer, sous le contrôle du juge, en application de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que les mesures qu'elle prend n'exposent pas l'étranger à des risques sérieux pour sa liberté ou son intégrité physique, non plus qu'à sa vie ou à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Si elle est en droit de prendre en considération, à cet effet, les décisions qu'ont prises, le cas échéant, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile saisis par l'étranger de demandes de titre de réfugié politique, l'examen par ces dernières instances, au regard des conditions mises à la reconnaissance du statut de réfugié par la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967, des faits allégués par le demandeur d'un tel statut et des craintes qu'il énonce, d'une part et, d'autre part, l'appréciation portée sur eux en vue de l'application de ces conventions, ne lient pas l'autorité administrative et sont sans influence sur l'obligation qui est la sienne de vérifier, au vu du dossier dont elle dispose, que les mesures qu'elle prend ne méconnaissent pas les dispositions précitées.
10. Il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l'Homme, notamment depuis l'arrêt de Grande chambre du 28 février 2008 Saadi c/ Italie n°37201/06, en premier lieu, que la protection prévue par les dispositions mentionnées au point 7 est absolue et impose de ne pas expulser une personne lorsqu'elle court dans le pays de destination un risque réel et sérieux d'être soumise aux traitements qu'elles prohibent, en deuxième lieu, qu'il n'est pas possible de mettre en balance le risque de mauvais traitements et les motifs qui fondent l'expulsion, et en troisième lieu, que l'existence d'un risque de mauvais traitements doit être examinée à la lumière de la situation générale dans le pays de destination et des circonstances propres au cas de l'intéressé, compte tenu notamment des garanties dont l'Etat d'accueil a, le cas échéant, fourni les assurances.
11. S'agissant de la situation en Tchétchénie où il est constant que M. A... résidait avant de quitter son pays, il résulte de l'instruction que, dans une déclaration du 11 mai 2019, le comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) qui dépend du Conseil de l'Europe a relevé que le recours à la torture et d'autres formes de mauvais traitements par des membres des forces de l'ordre reste un phénomène répandu et a précisé, dans le compte-rendu de sa dernière visite remontant à la fin 2017 que les personnes suspectées de terrorisme et de participation à des groupes armés présentent un risque particulièrement élevé de mauvais traitements. Ce constat est corroboré par le rapport du département d'Etat américain sur les droits de l'Homme en Russie de 2018 et par la partie consacrée à la Tchétchénie du rapport mondial pour 2019 de l'organisation non gouvernementale Human rights watch. Enfin, il résulte du rapport sur la situation des Tchétchènes en Russie publié en août 2018 par l'European Asylum Support Office (EASO), qui dépend de l'Union européenne, qu'aucun élément ne permet de penser qu'ils sont ciblés lorsqu'ils reviennent de l'étranger, à l'exception des nombreux anciens combattants de l'organisation " Daech " qui sont surveillés et parmi lesquels les médias ont fait état de plusieurs cas de disparition et de mauvais traitements.
12. S'agissant, toutefois, du cas personnel de M. A..., s'il est établi, ainsi que l'a d'ailleurs admis la décision de l'OFPRA du 12 novembre 2020, qu'il a fait l'objet alors qu'il était âgé de 15 ans, au même titre que plusieurs autres camarades avec lesquels il faisait partie d'un groupe " Whatsapp ", d'une détention pendant 48 jours dans des conditions de vie difficiles, le motif à l'origine de son arrestation, dans le cybercafé que tenait son père à Grozny, reste indéterminé - ainsi que la décision précitée l'a relevé - l'intéressé soutenant qu'il était sans rapport avec l'organisation " Daech " mais était seulement lié à des messages critiquant le président tchétchène. Par ailleurs, si M. A... a produit la photo d'un écran d'ordinateur mentionnant la remise d'un rapport, le 28 novembre 2020, au département des affaires intérieures de la Russie relatif à une affaire pénale dans laquelle il serait cité pour avoir incité à commettre un crime, l'authenticité de cette pièce de même que la valeur probante des attestations qui l'accompagnent, ne peut être tenue pour établie en l'absence, notamment, de toute explication sur les circonstances dans lesquelles elle aurait été obtenue. Enfin, il résulte des documents destinés aux autorités russes lors de l'accueil de M. A..., qui ont été produits par le ministre, qu'aucun d'entre eux ne précise le motif pour lequel il est expulsé et il a été indiqué à l'audience par l'administration qu'aucune information relative aux faits qui sont à l'origine de l'expulsion n'a été ou ne sera échangée avec les autorités russes.
13. Dans ces conditions et alors, au surplus, que, par deux décisions des 24 novembre et 4 décembre 2020, la Cour européenne des droits de l'Homme, saisie de demandes de mesure provisoire en application de l'article 39 de son règlement, sur la base des éléments qui précèdent, a décidé de ne pas s'opposer au renvoi en Russie de M. A... en relevant que les derniers éléments produits ne permettaient pas d'étayer suffisamment l'existence des craintes alléguées, celui-ci n'est, en l'état de l'instruction, pas fondé à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, le juges des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté le moyen tiré de ce que ce renvoi porterait une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à la vie et à l'intégrité physique.
14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur et sur la condition d'urgence, que la requête de M. A... doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... et au ministre de l'intérieur.