Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 janvier 2016, et un mémoire enregistré le 1er avril 2016, MmeB..., représentée par MeC..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 16 décembre 2015 ;
2°) d'annuler les décisions du 24 septembre 2015 du préfet de la Haute-Garonne;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou à défaut de procéder au réexamen de sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocat en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Catherine Girault,
- et les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. MmeB..., de nationalité russe et d'origine tchétchène, née en 1962, est entrée irrégulièrement en France selon ses déclarations le 20 février 2012. Sa demande d'asile, déposée à son arrivée, a été rejetée par le directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 28 septembre 2012, décision confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 11 octobre 2013. Elle a fait l'objet le 30 janvier 2014 d'un arrêté refusant son admission au séjour, assorti d'une obligation de quitter le territoire français. Elle s'est toutefois maintenue sur le territoire et a sollicité le 25 novembre 2014 le réexamen de sa demande d'asile, de nouveau rejetée le 31 mars 2015 par le directeur de l'OFPRA. Le préfet de la Haute-Garonne lui a notifié un arrêté du 24 septembre 2015 refusant son admission au séjour, lui faisant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de renvoi. Elle relève appel du jugement du 16 décembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande d'annulation de ces décisions.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. L'arrêté en litige vise les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sur lesquelles il se fonde et les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il indique la date et les conditions de l'entrée et du séjour en France de MmeB..., les rejets de ses demandes d'asile, et fait état de sa situation personnelle et familiale. Le préfet fait également mention de l'arrêté de refus de séjour assorti d'une mesure d'éloignement pris à l'encontre de l'intéressée en 2014, et indique que son compagnon a fait l'objet d'une mesure similaire en 2012. Le préfet conclut en indiquant que l'intéressée n'établit pas être exposée à des risques de traitements personnels, réels et actuels contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, vu notamment le rejet de ses demandes d'asile, et que les décisions ne méconnaissent pas son droit de mener une vie privée et familiale normale dès lors qu'elle est arrivée en France à l'âge de 50 ans dans des conditions indéterminées, qu'elle n'a pas de charge de famille en France et n'établit pas être dépourvue d'attaches dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré d'une insuffisance de la motivation des décisions portant refus de séjour et fixant le pays de renvoi doit être écarté.
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
3. Le refus de titre de séjour n'implique pas, par lui-même, le retour de Mme B... dans son pays d'origine. Par suite, elle ne peut utilement se prévaloir des risques qu'elle encourrait en cas de retour en Russie pour démontrer l'existence d'une erreur manifeste du préfet de la Haute-Garonne dans l'appréciation des conséquences qu'emporte le refus d'admission au séjour sur sa situation.
4. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". En vertu de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) " ;
5. Si Mme B...fait valoir que la décision est entachée d'une erreur de fait, son concubin n'ayant pas quitté la France depuis 2009 alors que le préfet indique qu'il " résiderait en Russie ", cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée, dès lors qu'il ressort de ses motifs que le préfet aurait pris la même décision s'il n'avait pas mentionné, au demeurant de manière conditionnelle, le lieu de la résidence du conjoint de l'intéressée.
6. La requérante soutient qu'elle n'a plus d'attaches dans son pays d'origine, où ses parents et l'un de ses frères sont décédés, le second frère étant porté disparu. Cependant, il ressort des pièces du dossier qu'elle est sans charge de famille en France et que son concubin ne disposait pas, à la date de l'arrêté attaqué, d'un titre de séjour et avait déjà fait l'objet, tout comme elle-même, d'un refus de séjour et d'une obligation de quitter le territoire français non exécutée. Mme B... ne peut utilement faire valoir que son compagnon a demandé en décembre 2015 un titre de séjour en raison de son état de santé, dès lors que cette circonstance est postérieure à la date de l'arrêté attaqué. Elle ne démontre pas être totalement isolée en cas de retour en Russie, où elle a vécu jusqu'à l'âge de 50 ans. Sa présence sur le territoire français n'a été régulière que le temps de l'examen de ses demandes d'asile. L'intéressée, qui n'a pas présenté de demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L.313-11 7°, n'est, dans les circonstances de l'espèce, pas fondée à soutenir que le refus de séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus qui lui ont été opposés, en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ou serait entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
7. Il résulte de ce qui précède que Mme B...n'est pas fondée à exciper de l'illégalité du refus de titre de séjour pour contester la légalité de l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
8. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...)Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". Ces stipulations et dispositions combinées font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de renvoi d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'Etat de renvoi ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée.
9. Mme B...soutient que les autorités tchétchènes la recherchent et l'accusent d'assistance et de complicité avec le mouvement indépendantiste tchétchène, dont son frère porté disparu serait accusé de faire partie, qu'elle a été plusieurs fois arrêtée et victime de violences, qu'elle a dû fuir son pays à la suite de l'incendie de sa maison provoqué par les milices et des menaces de mort qui pesaient sur sa personne, et que plusieurs membres de sa famille ont été tués. Son récit circonstancié est corroboré par des témoignages d'habitants de son village d'origine et un certificat médical ayant diagnostiqué en 2012 une commotion cérébrale et des contusions multiples à la suite de coups reçus. Pour démontrer le caractère actuel et personnel des risques encourus en cas de retour dans la province russe de Tchétchénie, Mme B...produit, en appel, outre trois convocations pour interrogatoire dont elle explique pourquoi elle n'a pu produire que des copies scannées, une attestation d'une de ses voisines en France qui est retournée en Tchétchénie en décembre 2015, laquelle a photographié les ruines de sa maison et a indiqué qu'elle faisait toujours l'objet de recherches par les autorités, que des menaces de mort pesaient sur elle en cas de retour dans son village d'origine, et que sa famille est sans relâche interrogée par des personnes souhaitant connaître l'endroit où se trouve MmeB..., ainsi que le témoignage circonstancié d'un cousin qui fait état des mêmes menaces. Dans ces conditions, la réalité des risques invoqués en cas de retour en Russie doit être regardée comme suffisamment établie par les pièces du dossier, et notamment par les témoignages nombreux et concordants, dont la force probante n'est pas contestée en appel. Par suite, le préfet de la Haute-Garonne ne pouvait légalement décider le renvoi de Mme B...en Russie.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B...est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de renvoi.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Le présent arrêt, qui prononce l'annulation de la seule décision fixant le pays de renvoi, n'implique pas nécessairement que le préfet de la Haute-Garonne délivre à Mme B... un titre de séjour, ni qu'il réexamine sa situation. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par l'appelante doivent être rejetées.
Sur les conclusions tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens :
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions.
DECIDE :
Article 1er : L'arrêté du préfet de la Haute-Garonne en date du 24 septembre 2015 est annulé en tant qu'il fixe la Russie comme pays de renvoi de Mme B...dans le cas où elle n'exécuterait pas l' obligation de quitter le territoire français .
Article 2 : Le jugement n°1504812 du 16 décembre 2015 du tribunal administratif de Toulouse est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme B...est rejeté.
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No 16BX00272