Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 juillet 2014, et un mémoire en réplique enregistré le 9 juin 2015, la société Urbasun Caraïbes 1, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique du 2 juin 2014 ;
2°) de prononcer la décharge de l'imposition contestée en droits et pénalités ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a expressément admis devant le tribunal administratif que les générateurs photovoltaïques qu'elle avait acquis auprès de la société Urbasolar n'ouvraient pas droit à une récupération au titre de la taxe non perçue mais récupérable ;
- elle peut toutefois se prévaloir des dispositions de l'article 50 duodecies de l'annexe IV au code général des impôts, pris pour l'application des dispositions des articles 295 et 295 A du code général des impôts ; dans ce cadre, elle a annulé, par le biais de deux factures rectificatives émises à l'intention de la société Urbadom le 30 novembre 2012, la TVA de 8,5 % facturée à tort à cette société ; elle est par suite fondée à demander à bénéficier, en application des dispositions précitées des articles L. 203 et L. 205 du livre des procédures fiscales, d'une compensation entre la taxe non perçue mais récupérable, récupérée à tort, et la TVA facturée à tort à la société Urbadom, versée au Trésor.
Par deux mémoires enregistrés respectivement les 13 janvier 2015 et 20 juillet 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête. Il soutient qu'il convient de faire droit à la demande de compensation formulée par la société requérante.
La société requérante a réitéré ses conclusions et moyens par un mémoire enregistré le 23 mars 2018.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Sylvie Cherrier,
- et les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. A l'issue d'une vérification de comptabilité de la société Urbasun Caraïbes 1, le service a procédé à des rectifications en matière de taxe sur la valeur ajoutée au titre de l'année 2010. Ladite société a demandé au tribunal administratif de la Martinique la décharge du rappel de taxe sur la valeur ajoutée ainsi mis à sa charge, d'un montant de 194 259 euros en droits et pénalités. Elle fait appel du jugement du 2 juin 2014 par lequel le tribunal administratif de la Martinique a rejeté cette demande.
Sur les conclusions à fin de décharge :
2. Aux termes de l'article 295 du code général des impôts : " 1. Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : (...) 5° Dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion : a. Les importations de matières premières et produits dont la liste est fixée par arrêtés conjoints du ministre de l'économie et des finances et du ministre d'Etat chargé des départements d'outre-mer ; b. Les ventes et les livraisons à soi-même des produits de fabrication locale analogues à ceux dont l'importation dans les départements susvisés est exemptée en vertu des dispositions qui précèdent (...) ". Aux termes de l'article 295 A du même code : " 1. Les livraisons ou importations en Guadeloupe, en Martinique ou à La Réunion de biens d'investissement neufs, exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée en application du 5° du 1 de l'article 295, donnent lieu à une déduction calculée, selon le cas, sur le prix d'achat ou de revient, ou sur la valeur en douane des biens, lorsque le destinataire de la livraison ou l'importateur est un assujetti qui dispose dans ces départements d'un établissement stable et y réalise des activités ouvrant droit à déduction en application de l'article 271. / 2. Le 1 s'applique aux assujettis qui, disposant d'un établissement stable en Guadeloupe, en Martinique ou à La Réunion, y réalisent une activité exonérée en application du I de l'article 262 et des b et c du 5° du 1 de l'article 295. / 3. La déduction prévue aux 1 et 2 s'opère à proportion de l'utilisation des biens d'investissement exonérés pour la réalisation des activités mentionnées aux mêmes 1 et 2. Cette proportion est déterminée dans les mêmes conditions que pour l'exercice du droit à déduction ouvert à l'article 271. / 4. Lorsque la proportion de l'utilisation des biens mentionnée au 3 évolue avant la fin de la période d'amortissement de ces biens, une régularisation du montant de la taxe déduite est opérée chaque année pour tenir compte de cette évolution, en fonction du nombre d'années restant à courir jusqu'à la fin de cette période. (...) ". Le régime de taxe sur la valeur ajoutée non perçue récupérable institué par ces dispositions s'applique aux livraisons et importations des seuls biens neufs d'investissement exonérées de taxe sur la valeur ajoutée en application du 5° du 1 de l'article 295 du code général des impôts. La notion de biens d'investissement neufs s'entend des biens qui, inscrits en immobilisation, sont porteurs d'avantages économiques futurs pour l'entreprise qui en est propriétaire, dans le cadre d'une exploitation directe ou indirecte.
3. Il résulte de l'instruction que les générateurs photovoltaïques en litige ont été acquis par la société Urbasun Caraïbes 1 afin d'être revendus à la société Urbadom. Aussi, l'achat de ces biens par la société Urbasun Caraïbes 1 ne pouvait-il donner lieu à son profit, comme l'admet d'ailleurs cette société dans ses écritures, tant en première instance qu'en appel, à la déduction prévue par les dispositions précitées de l'article L. 295 A du code général des impôts. Dans ces conditions, ladite société qui, comme il vient d'être dit, a indiqué dans ses écritures qu'elle " reconnaît comme fondé le rejet par les services de la direction régionale des finances publiques de la Martinique, de la TVA NPR récupérée par la société Urbasun Caraïbes 1 " n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de la Martinique a refusé de la décharger des rappels de TVA qui lui ont été réclamés au titre de la TVA NPR récupérée à tort sur des achats de générateurs photovoltaïques effectués auprès de la société Urbasolar au cours de l'exercice 2010.
Sur la demande de compensation :
4. La société Urbasun Caraïbes 1 fait valoir qu'elle a facturé à tort la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 8,5 % sur les générateurs photovoltaïques vendus le 30 septembre 2009 à la société Urbadom, pour un montant total hors taxes de 2 417 184 euros, et qu'au terme de la période vérifiée, le 28 février 2011, elle disposait ainsi d'un excédent de taxe sur la valeur ajoutée déclarée de 205 461 euros, correspondant à la somme reversée au Trésor au titre de la TVA collectée. Elle demande, sur le fondement des dispositions des articles L. 203 et L. 205 du livre des procédures fiscales, le bénéfice de la compensation avec les rappels de taxe sur la valeur ajoutée dus au titre de l'année 2010.
5. Aux termes de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande. ". Aux termes de l'article L. 205 du même livre : " Les compensations de droits prévues aux articles L. 203 et L. 204 sont opérées dans les mêmes conditions au profit du contribuable à l'encontre duquel l'administration effectue une rectification lorsque ce contribuable invoque une surtaxe commise à son préjudice ou lorsque la rectification fait apparaître une double imposition. ". Si un contribuable peut à tout moment de la procédure, y compris devant les juges du fond, demander à bénéficier, en application des dispositions précitées des articles L. 203 et L. 205 du livre des procédures fiscales, d'une compensation, et ce alors même que le délai de réclamation serait expiré, ce n'est que dans la limite de l'imposition qu'il a régulièrement contestée et dès lors que la créance qu'il détient sur le Trésor est établie. En outre, la compensation en matière de taxes sur le chiffre d'affaires doit s'effectuer entre impositions dues et payées au cours d'une même période d'imposition.
6. Par ailleurs, aux termes de l'article 295 du code général des impôts : " 1. Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : / (...) 5° Dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion : / a. Les importations de matières premières et produits dont la liste est fixée par arrêtés conjoints du ministre de l'économie et des finances et du ministre (...) chargé des départements d'outre-mer (...) ". L'article 50 duodecies de l'annexe IV à ce code, pris pour l'application de ces dispositions, mentionne les " dispositifs photosensibles à semi-conducteur, y compris les cellules photovoltaïques même assemblées en modules ou constituées en panneaux ; diodes émettrices de lumière ".
7. Enfin, en vertu du 1° du IV de l'article 256 du code général des impôts, les travaux immobiliers ont le caractère de prestations de services. Aux termes de l'article 266 du même code : " 1. La base d'imposition est constituée : / (...) f. Pour les travaux immobiliers, par le montant des marchés, mémoires ou factures (...) ". Aux termes de l'article 268 bis du même code : " Lorsqu'une personne effectue concurremment des opérations se rapportant à plusieurs des catégories prévues aux articles du présent chapitre, son chiffre d'affaires est déterminé en appliquant à chacun des groupes d'opérations les règles fixées par ces articles ".
8. Il résulte de la combinaison de l'ensemble des dispositions citées aux points 6 et 7 que les opérations d'installation par un importateur d'équipements mentionnés à l'article 295 du code général des impôts doivent être imposées à la taxe sur la valeur ajoutée de manière distincte de la vente de ces appareils sauf lorsque les opérations de vente et d'installation présentent le caractère de travaux immobiliers, caractéristiques d'une opération unique. Doivent être regardées comme des travaux immobiliers, pour l'application des articles 256 et 266 du code général des impôts, les opérations qui concourent directement à l'édification d'un bâtiment, laquelle doit s'entendre non seulement de la construction du bâtiment lui-même, mais aussi de la réalisation des équipements généraux qui l'accompagnent normalement dès lors qu'ils ne sont pas destinés à être déplacés et qu'ils s'incorporent à l'immeuble. En conséquence, les travaux immobiliers ne comprennent pas la réalisation d'installations particulières répondant à une utilisation spéciale du bâtiment édifié.
9. Si l'édification d'un bâtiment d'habitation s'accompagne normalement du raccordement au réseau de transport d'électricité de ses installations d'électricité et de chauffage électrique, les générateurs photovoltaïques en litige, d'une part, ont été installés postérieurement à la construction des immeubles sur lesquels ils sont fixés, dans le cadre de contrats de location de toitures, sans appartenir nécessairement au propriétaire de ces immeubles, et, d'autre part, constituent un système alternatif de production d'énergie électrique et de chauffage de l'eau. Dès lors, ces équipements, vendus et installés en Martinique par la société requérante ne sont pas des équipements concourant directement à l'édification du bâtiment mais des installations particulières répondant à une utilisation spéciale des immeubles et ne peuvent, en conséquence, être qualifiés de travaux immobiliers au sens des articles 256 et 266 du code général des impôts précités. L'opération de vente de ces installations particulières doit, dès lors, bénéficier de l'exonération prévue par les dispositions des a. et b. du 5° du 1 de l'article 295 du code général des impôts, combinées avec celles de l'article 50 duodecies de l'annexe IV au même code.
10. Il en résulte que c'est à tort que la société requérante a, par deux factures du 30 septembre 2010, soumis au taux de TVA de 8,5 % la vente des générateurs photovoltaïques à la société Urbadom, pour un montant total de 2 417 184 euros. Par deux factures rectificatives du 30 novembre 2012, annulant et remplaçant ces factures du 30 septembre 2010, la société Urbasun Caraïbes 1 a facturé la livraison et l'installation des générateurs photovoltaïques en litige, en soumettant à la TVA au taux de 8,5 % la seule prestation d'installation des générateurs, leur livraison étant facturée hors taxes. Par suite, la requérante est fondée à soutenir que le Trésor est redevable à son égard, au titre de la période vérifiée, d'un excédent de TVA d'un montant de 205 461 euros.
11. Dans ses écritures en défense, le ministre des finances et des comptes publics relève que " l'administration a décidé de faire droit à la demande de compensation présentée par la société Urbasun Caraïbes 1 et d'accorder la compensation entre le rappel de taxe déductible accepté, et la taxe collectée au titre de cette même opération ", et demande en conséquence à la cour de céans de " faire droit à la demande de la société Urbasun Caraïbes 1 aux fins de bénéficier de la compensation prévue à l'article L. 203 du LPF (...) ". Il ressort par ailleurs de l'instruction que cet excédent de taxe sur la valeur ajoutée n'a pas été remboursé par l'administration. Par suite, la société requérante est fondée à demander, en application des dispositions de l'article L. 203 à L. 205 du livre des procédures fiscales, que les rappels de taxe sur la valeur ajoutée retenus au titre de la période vérifiée soient compensés par les créances de taxe reconnues à son profit au titre de la même période. Il y a donc lieu de faire droit à cette demande et de réduire, par conséquent, les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la société Urbasun Caraïbes 1 au titre de l'année 2010, à hauteur de la créance de taxe retenue par les précédents motifs.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il convient de rejeter les conclusions présentées par la société Urbasun Caraïbes 1 au titre de ces dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La société Urbasun Caraïbes 1 est déchargée des rappels de taxe sur la valeur ajoutée ainsi que des pénalités correspondantes mis à sa charge au titre de l'année 2010 à hauteur de la créance résultant de l'excédent de taxe sur la valeur ajoutée versé au Trésor au cours de la même période au titre de la vente des générateurs photovoltaïques à la société Urbadom.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de la Martinique en date du 2 juin 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Urbasun Caraïbes 1 est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Urbasun Caraïbes 1 et au ministre de l'action et des comptes publics. Copie en sera adressée à la ministre des outre-mer et au préfet de la Martinique.
Délibéré après l'audience du 29 mars 2018 à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
Mme Sylvie Cherrier, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 26 avril 2018.
Le rapporteur,
Sylvie CHERRIER
Le président,
Aymard de MALAFOSSE Le greffier,
Christophe PELLETIER La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 14BX02197