Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 juillet 2016, M. D..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 30 juin 2016 ;
2°) d'annuler la décision contestée du 27 janvier 2015 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'irrégularité ; le rapporteur public n'a pas fait connaître aux parties, dans un délai raisonnable avant l'audience, les raisons qui déterminaient la solution qu'appelait selon lui le litige ; le tribunal administratif de Pau a omis de se prononcer sur un moyen ;
- l'auteur de la proposition de prolongation de la mesure d'isolement prise à son égard n'est pas identifiable ;
- son placement provisoire en isolement n'a pas été précédé d'un débat contradictoire ;
- l'avis du juge d'application des peines n'a pas été recueilli et ne lui a pas été transmis préalablement à l'adoption de la décision en litige ;
- la décision contestée du 27 janvier 2015 n'est pas suffisamment motivée ;
- la prolongation de la mesure d'isolement en litige est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
M. D...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 juillet 2016.
Par ordonnance du 15 novembre 2016, la clôture d'instruction a été fixée au 1er février 2017 à 12h00.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 février 2017, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête. Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par le requérant n'est fondé.
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Sylvie Cherrier,
- et les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M.D..., incarcéré depuis le 12 février 2010, a été placé à l'isolement dès son arrivée, le 14 janvier 2015, à la maison centrale de Lannemezan, en vertu d'une décision du 31 décembre 2014 de maintien à l'isolement prise par le garde des sceaux, ministre de la justice, alors qu'il était incarcéré au centre pénitentiaire de Marseille-les-Baumettes. Par une décision ministérielle du 27 janvier 2015, cette mesure a été prolongée du 28 janvier au 28 avril 2015. M. D... relève appel du jugement n° 1500560 du 30 juin 2016 du tribunal administratif de Pau qui a rejeté son recours tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne. (...) ".
3. La communication aux parties du sens des conclusions du rapporteur public, prévue par ces dispositions, a pour objet de les mettre en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une telle exigence s'imposant à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public.
4. Pour l'application de l'article R. 711-3 du code de justice administrative et eu égard aux objectifs de cet article, il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige, et notamment d'indiquer, lorsqu'il propose le rejet de la requête, s'il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et, de mentionner, lorsqu'il conclut à l'annulation d'une décision, les moyens qu'il propose d'accueillir, la communication de ces informations n'étant toutefois pas prescrite à peine d'irrégularité de la décision.
5. Il ressort des pièces du dossier que le rapporteur public a mentionné sur l'application " Sagace ", le 4 juin 2016 à 00h00, qu'il conclurait dans le sens d'un " Rejet au fond ". Ce faisant, et contrairement à ce que soutient le requérant, il a indiqué qu'il proposait le rejet des conclusions dirigées contre la décision du 27 janvier 2015 pour un motif de fond. M. D... n'est, par suite, pas fondé à soutenir que le rapporteur public se serait abstenu de préciser les raisons qui déterminaient la solution qu'appelait selon lui le litige.
6. En deuxième lieu, M. D... soutient que le tribunal administratif aurait omis de statuer sur le moyen tiré de ce que son placement provisoire à l'isolement le 15 janvier 2015 n'a pas été précédé d'un débat contradictoire. Ce faisant, M. D...peut être regardé comme ayant soulevé, à l'encontre de la décision du 27 janvier 2015, un moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité d'une décision de placement provisoire à l'isolement en date du 15 janvier 2015. Néanmoins, et comme l'a indiqué le tribunal administratif, l'article R. 57-7-69 du code de procédure pénale prévoit qu'en cas de transfert d'un détenu ayant fait l'objet d'une mesure de placement à l'isolement dans l'établissement de départ, cette mesure est maintenue provisoirement dans l'établissement d'arrivée, et ne prend fin que si aucune décision de placement à l'isolement n'est décidée dans le délai de quinze jours suivant le transfert. Dans la mesure où M. D... avait fait l'objet, le 30 décembre 2014, au centre pénitentiaire de Marseille-les-Baumettes, d'une prolongation de placement à l'isolement jusqu'au 31 mars 2015, son placement provisoire à l'isolement lors de son arrivée au centre pénitentiaire de Lannemezan le 15 janvier 2015 n'a été précédé d'aucune décision en ce sens. Par suite, le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre au moyen inopérant invoqué par le requérant, dès lors que le placement a finalement été prolongé par la décision en litige, intervenue dans le délai de quinze jours prévu par l'article R. 57-7-69 du code de procédure pénale, y a suffisamment répondu par les motifs ci-dessus rappelés.
Au fond :
En ce qui concerne les moyens de légalité externe :
7. En premier lieu, aux termes de l'article 4 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 susvisée, alors applicable : " (...) Toute décision prise par l'une des autorités administratives mentionnées à l'article 1er comporte, outre la signature de son auteur, la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. ". En l'espèce, et outre que la proposition de prolongation d'isolement prévue par les dispositions de l'article R. 57-7-64 du code de procédure pénale ne constitue pas une décision dont l'auteur doit être identifiable dans les conditions fixées par les dispositions précitées de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000, il ressort des pièces du dossier que la proposition en date du 19 janvier 2015 indique qu'elle a été signée par Mme C...B..., directrice de Détention, la circonstance que le tampon mentionnant son identité et sa qualité ait été apposé à deux reprises, de manière superposée, ne rendant pas ces mentions illisibles.
8. En deuxième lieu, et dès lors que, comme il a été dit au point 6, le placement provisoire à l'isolement de M. D... à son arrivée au centre pénitentiaire de Lannemezan ne résulte pas d'une décision en ce sens prise le jour de son arrivée, aucun texte n'imposant par ailleurs qu'un débat contradictoire ait lieu préalablement au placement à l'isolement d'un détenu lors de son transfert dans un autre centre pénitentiaire, dans les conditions prévues à l'article R. 57-7-69 du code de procédure pénale, le moyen ne peut qu'être écarté.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 57-7-78 du code de procédure pénale : " Toute décision de placement ou de prolongation d'isolement est communiquée sans délai par le chef d'établissement au juge de l'application des peines s'il s'agit d'une personne condamnée (...) Lorsque l'isolement est prolongé au-delà d'un an, le chef d'établissement, préalablement à la décision, sollicite l'avis du juge de l'application des peines s'il s'agit d'une personne condamnée (...). ". Il résulte de ces dispositions qu'en cas de prolongation de la mise à l'isolement d'un détenu au-delà d'un an, le chef de l'établissement pénitentiaire concerné est seulement tenu de solliciter, préalablement à l'adoption de la décision, l'avis du juge d'application des peines. Ces dispositions n'imposent, ni que cet avis ait été effectivement reçu par le chef d'établissement préalablement à l'envoi de sa demande de prolongation de la mesure d'isolement dont s'agit au directeur interrégional, ni qu'un tel avis soit communiqué au détenu préalablement à l'adoption de la décision de prolongation. Par suite, et dès lors qu'il ressort des pièces du dossier qu'un tel avis a bien été sollicité par télécopie du 16 janvier 2015, le moyen tiré de ce que cet avis n'aurait pas été joint à la proposition de prolongation de la mesure d'isolement et n'aurait pas été communiqué au requérant préalablement à l'adoption de la décision en litige ne peut être accueilli.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article R. 57-7-68 du code de procédure pénale : " (...) L'isolement ne peut être prolongé au-delà de deux ans sauf, à titre exceptionnel, si le placement à l'isolement constitue l'unique moyen d'assurer la sécurité des personnes ou de l'établissement. / Dans ce cas, la décision de prolongation doit être spécialement motivée ". Comme l'a relevé le tribunal administratif, la décision en litige, qui prolonge la mesure d'isolement prise à l'encontre de M. D...au-delà de deux ans, énonce les faits qui ont conduit à l'incarcération de l'intéressé et mentionne les incidents disciplinaires qui ont jalonné son parcours carcéral. Elle fait également état des difficultés d'adaptation à la détention ordinaire rencontrées par celui-ci et des agressions dont il s'est rendu coupable à l'égard de membres de l'administration pénitentiaire et de codétenus. Enfin, elle souligne l'instabilité de ce détenu et indique que cette mesure constitue l'unique moyen d'assurer la protection des personnes et de prévenir tout risque d'incident grave au sein de l'établissement pénitentiaire. Ainsi, et alors même qu'elle ne précise pas l'impact que la mesure qu'elle autorise serait susceptible d'avoir sur le psychisme de l'intéressé, elle est suffisamment motivée.
En ce qui concerne les moyens de légalité interne :
11. En vertu de l'article 726-1 du code de procédure pénale, le placement à l'isolement est une " mesure de protection ou de sécurité ". Aux termes de l'article R. 57-7-73 du code de procédure pénale : " Tant pour la décision initiale que pour les décisions ultérieures de prolongation, il est tenu compte de la personnalité de la personne détenue, de sa dangerosité ou de sa vulnérabilité particulière, et de son état de santé. ".
12. Il ressort des pièces du dossier que M. D... a fait régulièrement preuve d'un comportement agressif à l'égard tant des membres du personnel pénitentiaire que de ses codétenus. Il a ainsi, entre le 5 mars 2010 et le 7 mars 2013, agressé, tenté d'agresser et menacé, à de nombreuses reprises, des codétenus et des membres du personnel des centres pénitentiaires où il a séjourné, le plus souvent à l'aide d'armes artisanales, et a par ailleurs projeté du mobilier sur le directeur adjoint du centre pénitentiaire de Lille-Annoeulli, et sur le chef de détention, au cours d'une audience tenue le 18 janvier 2012. Il a participé à la prise en otage d'un gardien le 30 décembre 2013, au centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe, faits pour lesquels il a été condamné à huit ans d'emprisonnement, avant de tenter d'agresser un autre gardien le lendemain, 31 décembre 2013. Il a agressé un gardien au visage le 27 juin 2014, puis le 2 décembre 2014, a roué de coups un autre gardien, avant de tenter de le séquestrer dans sa cellule à l'aide d'un couteau de cantine aiguisé, la victime ayant souffert de multiples contusions au visage et à la main et d'un traumatisme à l'os du nez, cette dernière agression ayant justifié de nouvelles poursuites pénales à son encontre. Enfin, les inscriptions portées par l'intéressé sur les murs de sa cellule témoignaient d'une instabilité psychologique. Compte tenu de la personnalité, de l'état mental et de la dangerosité du requérant, et dès lors que le dossier ne fait pas ressortir qu'une prolongation de la mesure d'isolement était contre-indiquée au regard de son état de santé, le moyen tiré de que la décision contestée serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation doit être écarté.
13. II résulte de tout ce qui précède que M. D...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 27 janvier 2015 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a ordonné la prolongation de son placement à l'isolement du 28 janvier 2015 au 28 avril 2015.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées par M. D... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D...et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 29 mars 2018 à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
Mme Sylvie Cherrier, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 26 avril 2018.
Le rapporteur,
Sylvie CHERRIER
Le président,
Aymard de MALAFOSSE Le greffier,
Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 16BX02419