Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 novembre 2015, MmeE..., représentée par Me D...A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rouen du 7 juillet 2015 ;
2°) d'annuler la décision implicite de la préfète de la Seine-Maritime ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Seine-Maritime de lui délivrer une carte de résident de dix ans dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le préfet a, en refusant de lui délivrer la carte de résident demandée, méconnu les articles L. 314-8 et R. 314-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision en litige a été prise en méconnaissance des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- il en est de même des stipulations du protocole n° 12 additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2016, la préfète de la Seine-Maritime conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme E...ne sont pas fondés.
Mme E...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 août 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le protocole n°12 additionnel à cette convention ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive n° 2003/109/CE du 25 novembre 2003 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller.
1. Considérant que MmeE..., ressortissante géorgienne, née le 23 juin 1988, entrée sur le territoire français le 23 juin 2005 à l'âge de 17 ans, s'est vu délivrer à compter du 22 décembre 2006 une carte de séjour temporaire qui lui a été renouvelée jusqu'en 2014 ; que l'intéressée a demandé le 23 octobre 2014 la délivrance d'une carte de résident sur le fondement des dispositions de l'article L. 314-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que Mme E...relève appel du jugement du 7 juillet 2015 du tribunal administratif de Rouen rejetant sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la préfète de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer ce titre de séjour ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 314-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger qui justifie d'une résidence ininterrompue d'au moins cinq années en France, conforme aux lois et règlements en vigueur, sous couvert de l'une des cartes de séjour mentionnées aux articles L. 313-6, L. 313-8 et L. 313-9, aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 313-10, aux articles L. 313-11, L. 313-11-1, L. 313-14 et L. 314-9, aux 2°, 3°, 4°, 5°, 6°, 7° et 9° de l'article L. 314-11 et aux articles L. 314-12 et L. 315-1 peut obtenir une carte de résident portant la mention " résident de longue durée-CE " s'il dispose d'une assurance maladie. (...) La décision d'accorder ou de refuser cette carte est prise en tenant compte des faits qu'il peut invoquer à l'appui de son intention de s'établir durablement en France, notamment au regard des conditions de son activité professionnelle s'il en a une, et de ses moyens d'existence. / Les moyens d'existence du demandeur sont appréciés au regard de ses ressources qui doivent être stables et suffisantes pour subvenir à ses besoins. Sont prises en compte toutes les ressources propres du demandeur indépendamment des prestations familiales et des allocations prévues aux articles L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles et L. 351-9, L. 351-10 et L. 351-10-1 du code du travail. Ces ressources doivent atteindre un montant au moins égal au salaire minimum de croissance et sont appréciées au regard des conditions de logement (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 314-1-1 du même code : " L'étranger qui sollicite la délivrance de la carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE " doit justifier qu'il remplit les conditions prévues à l'article L. 314-8 en présentant : / 1° La justification qu'il réside légalement et de manière ininterrompue en France depuis au moins cinq ans, sous couvert de l'une des cartes de séjour mentionnées aux articles L. 314-8 et L. 314-8-2 ou sous couvert d'un des visas mentionnés aux 4°, 5°, 7°, 8°, 9° et 11° de l'article R. 311-3 ; les périodes d'absence du territoire français sont prises en compte dans le calcul des cinq années de résidence régulière ininterrompue lorsque chacune ne dépasse pas six mois consécutifs et qu'elles ne dépassent pas un total de dix mois ; s'agissant d'un étranger qui s'est vu reconnaître par la France la qualité de réfugié ou accorder le bénéfice de la protection subsidiaire, la période entre la date de dépôt de la demande d'asile et celle de la délivrance de l'une des cartes de séjour mentionnées au deuxième alinéa de l'article L. 314-8-2 est également prise en compte ; / 2° La justification des raisons pour lesquelles il entend s'établir durablement en France, notamment au regard des conditions de son activité professionnelle et de ses moyens d'existence ; / 3° La justification qu'il dispose de ressources propres, stables et régulières, suffisant à son entretien, indépendamment des prestations et des allocations mentionnées au deuxième alinéa de l'article L. 314-8, appréciées sur la période des cinq années précédant sa demande, par référence au montant du salaire minimum de croissance ; lorsque les ressources du demandeur ne sont pas suffisantes ou ne sont pas stables et régulières pour la période des cinq années précédant la demande, une décision favorable peut être prise, soit si le demandeur justifie être propriétaire de son logement ou en jouir à titre gratuit, soit en tenant compte de l'évolution favorable de sa situation quant à la stabilité et à la régularité de ses revenus, y compris après le dépôt de la demande ; 4° La justification qu'il dispose d'un logement approprié ; / 5° La justification qu'il bénéficie d'une assurance maladie. / Le maire de la commune de résidence du demandeur émet un avis sur le caractère suffisant des conditions de ressources au regard des conditions de logement dans les conditions prévues aux articles R. 313-34-2 à R. 313-34-4. " ;
3. Considérant que les dispositions précitées de l'article L. 314-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être interprétées conformément aux objectifs de la directive n° 2003/109/CE du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, dont elles assurent la transposition et qui visent à permettre la délivrance d'un titre de séjour de longue durée, valable dans l'ensemble du territoire de l'Union, aux ressortissants de pays tiers résidant dans un Etat membre et remplissant certaines conditions, dont celle de disposer de ressources suffisantes pour ne pas être à la charge de l'Etat, ainsi qu'à uniformiser la définition des ressources prises en compte à cette fin ; qu'il résulte des dispositions de l'article 5 de la directive qu'elles ne permettent aux Etats-membres de ne prendre en compte que les ressources propres du demandeur, sans y adjoindre les prestations dont il peut bénéficier au titre de l'aide sociale ; que, par suite, les dispositions de l'article L. 314-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être interprétées comme excluant la prise en compte non seulement des prestations qu'elles mentionnent mais également des autres prestations d'aide sociale, notamment l'allocation aux adultes handicapés, de même que le revenu de solidarité active prévu à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles ;
4. Considérant que si Mme E...fait valoir qu'elle est titulaire d'un diplôme d'assistante dentaire et qu'elle a exercé cette profession jusqu'à la naissance de son premier enfant en 2010, il ressort toutefois des pièces du dossier, en particulier des avis d'imposition produits, que l'intéressée ne disposait d'aucun revenu depuis l'année 2010 ; qu'elle était, à la date de la décision en litige, allocataire du revenu de solidarité active (RSA), de l'aide personnalisée au logement (APL), des allocations familiales, de l'allocation de base Paje et de l'allocation de soutien familial ; que ces prestations familiales ne font pas partie des ressources susceptibles d'être prises en compte pour l'attribution de la carte " résident de longue-durée CE " demandée ; que par suite, MmeE..., qui ne peut utilement se prévaloir de la circonstance, postérieure à la décision attaquée, qu'elle a été embauchée en qualité d'employée polyvalente depuis le 1er août 2015 en contrat à durée déterminée, ne justifie pas disposer d'autres ressources que celles provenant des prestations sociales ; qu'il suit de là que le préfet de la Seine-Maritime a pu, sans méconnaître les dispositions précitées de l'article L. 314-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, refuser à Mme E...la délivrance de la carte de résident demandée ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ; qu'aux termes de l'article 14 de la même convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation " et qu'en vertu de l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, est interdite toute discrimination fondée notamment sur la fortune ou un handicap ;
6. Considérant que la requérante soutient que la condition de ressources pérennes constitue une discrimination prohibée par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combiné avec l'article 8 de la même convention ; que toutefois, dès lors que l'intéressée est titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", le simple refus de lui délivrer la carte de résident prévue par l'article L. 314-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut, par lui-même, être regardé comme portant atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, dès lors, l'exception tirée de l'incompatibilité des dispositions législatives dont s'agit avec les stipulations combinées des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écartée ainsi qu'avec l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; que la requérante ne peut pas plus utilement invoquer la méconnaissance des stipulations du protocole n° 12 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui n'a été ni signé ni ratifié par la France ;
7. Considérant, enfin, que si la requérante fait valoir qu'elle réside régulièrement sur le territoire français depuis de nombreuses années, que ses deux enfants y sont nés le 18 octobre 2010 et le 6 décembre 2012 et qu'elle est bien intégrée dans la société française, il ressort toutefois des pièces du dossier que l'intéressée n'exerçait plus d'activité professionnelle à la date de l'arrêté attaqué et ne justifiait d'aucune ressource propre ; qu'elle ne justifie d'aucun lien personnel avec la France alors de surcroît que le père de l'un de ses enfants réside en Géorgie, pays dans lequel il n'est pas établi que la cellule familiale ne pourrait s'y reconstituer ; que, par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que, dans les circonstances de l'espèce, le refus de délivrance d'une carte de résident opposé par le préfet serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme E...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction assorties d'astreinte ainsi que celles tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme E...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...E..., au ministre de l'intérieur et à Me D...A....
Copie sera adressée à la préfète de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 21 juin 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Michel Hoffmann, président de chambre,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- Mme Muriel Milard, premier conseiller.
Lu en audience publique le 5 juillet 2016.
Le rapporteur,
Signé : M. C...Le président de chambre,
Signé : M. F...Le greffier,
Signé : M.T. LEVEQUE La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
Marie-Thérèse Lévèque
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N°15DA01752