Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 mars 2016, la préfète du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 2 à 4 du jugement du tribunal administratif de Lille du 25 novembre 2015 ;
2°) de rejeter la demande de M. A...devant le tribunal administratif.
Elle soutient que :
- le demandeur ne dispose pas des autres documents prévus par les dispositions du 2° de l'article L. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- M. A...ne présentait pas de garanties de représentation de sorte à justifier une mesure de placement en rétention administrative.
La requête a été communiquée à M. A...qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 562/2006 du 15 mars 2006 ;
- la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique, le rapport de M. Michel Hoffmann, président de chambre ;
1. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 5 du règlement (CE) n° 562/2006 du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes : " 1. Pour un séjour n'excédant pas trois mois sur une période de six mois, les conditions d'entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes : c) justifier l'objet et les conditions du séjour envisagé, et disposer des moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d'origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel leur admission est garantie, ou être en mesure d'acquérir légalement ces moyens (...) " ;
2. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni : 1° Des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; 2° Sous réserve des conventions internationales, du justificatif d'hébergement prévu à l'article L. 211-3, s'il est requis, et des autres documents prévus par décret en Conseil d'Etat relatifs, d'une part, à l'objet et aux conditions de son séjour et, d'autre part, s'il y a lieu, à ses moyens d'existence, à la prise en charge par un opérateur d'assurance agréé des dépenses médicales et hospitalières, y compris d'aide sociale, résultant de soins qu'il pourrait engager en France, ainsi qu'aux garanties de son rapatriement (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 211-3 du même code : " Lorsque l'entrée en France est motivée par un transit, l'étranger justifie qu'il satisfait aux conditions d'entrée dans le pays de destination " ;
3. Considérant, enfin, qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 531-1 du même code : " Par dérogation aux articles L. 213-2 et L. 213-3, L. 511-1 à L. 511-3, L. 512-1, L. 512-3, L. 512-4, L. 513-1 et L. 531-3, l'étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1, L. 211-2, L. 311-1 et L. 311-2 peut être remis aux autorités compétentes de l'Etat membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement, en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec les Etats membres de l'Union européenne " ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que pour ordonner la remise aux autorités italiennes de M.A..., ressortissant irakien né le 22 novembre 1988, la préfète du Pas-de-Calais s'est fondée sur le motif que l'intéressé n'établissait pas pouvoir présenter les documents justifiant de l'objet et des conditions du séjour envisagé ; qu'il ressort des pièces du dossier et notamment du procès-verbal d'audition de M.A..., que ce dernier, interpellé par les services de police le 21 novembre 2015, a notamment déclaré être entré sur le territoire français le 13 novembre 2015, en provenance d'Italie, dans le seul but de se rendre clandestinement en Grande-Bretagne ; qu'il est titulaire de documents de voyage délivrés par les autorités italiennes ; que, s'il était en possession d'une somme de 200 euros, il ne justifiait pas, eu égard au montant de cette somme, de sa capacité à séjourner en France et à retourner dans son pays d'origine ; que, par ailleurs, il ne disposait d'aucun élément établissant que les dépenses médicales ou hospitalières qu'il serait amené, le cas échéant à exposer en France seraient susceptibles d'être prises en charge par un opérateur d'assurance agréé ; que, par suite, M. A... ne remplissait pas les conditions d'entrée en France requises par les dispositions précitées du règlement du 15 mars 2006 et du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, dès lors, la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a jugé que M. A...était en séjour régulier en France et ne pouvait pas faire l'objet d'une procédure de remise aux autorités italiennes ;
5. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A...devant le tribunal administratif de Lille ;
Sur la légalité de la remise aux autorités italiennes :
6. Considérant que, par un arrêté du 24 juillet 2015, régulièrement publié au recueil des actes administratifs n° 59 spécial du 27 juillet 2015, le préfet du Pas-de-Calais a donné délégation à M. Marc Del Grande, secrétaire général, à l'effet de signer les décisions, notamment en matière de police des étrangers ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des actes attaqués manque en fait ;
7. Considérant que l'arrêté contesté comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde ; que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'acte doit être écarté ;
8. Considérant qu'il ressort des dispositions de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions par lesquelles l'autorité administrative signifie à l'étranger sa remise aux autorités d'un Etat membre de l'Union européenne ; que, dès lors, l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration, qui fixe les règles générales de procédure applicables aux décisions devant être motivées en vertu de la loi du 11 juillet 1979, ne saurait être utilement invoqué à l'encontre d'une décision de remise aux autorités d'un Etat membre de l'Union européenne ;
Sur la légalité de l'arrêté ordonnant le placement en rétention administrative :
9. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 6 que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que l'illégalité de la décision ordonnant sa remise aux autorités italiennes prive de base légale la décision ordonnant son placement en rétention administrative ;
11. Considérant que le droit d'être entendu dans toute procédure, tel qu'il s'applique dans le cadre de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier et, notamment, de l'article 6 de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce qu'une autorité nationale n'entende pas le ressortissant d'un pays tiers spécifiquement au sujet d'une décision de retour lorsque, après avoir constaté le caractère irrégulier de son séjour sur le territoire national à l'issue d'une procédure ayant pleinement respecté son droit d'être entendu, elle envisage de prendre à son égard une telle décision, que cette décision de retour soit consécutive ou non à un refus de titre de séjour ; qu'il ressort des pièces du dossier que la notification de la décision de remise aux autorités italiennes spécifiait que l'intéressé avait la faculté de présenter ses observations et d'avertir un conseil de son choix ; que M.A..., qui a indiqué ne pas vouloir formuler d'observations, a eu, ainsi, la possibilité de faire utilement connaître ses observations ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaîtrait le principe général du droit d'être entendu, qui est au nombre des principes fondamentaux du droit de l'Union européenne, doit être écarté ;
12. Considérant qu'en vertu du paragraphe 1 de l'article 13 de la directive du 16 décembre 2008 : " Le ressortissant concerné d'un pays tiers dispose d'une voie de recours effective pour attaquer les décisions liées au retour (...) devant une autorité judiciaire ou administrative compétente ou une instance compétente composée de membres impartiaux et jouissant de garanties d'indépendance " ; que selon les termes du paragraphe 2 de l'article 15 de la même directive : " (...) Si la rétention a été ordonnée par des autorités administratives, les États membres : / a) soit prévoient qu'un contrôle juridictionnel accéléré de la légalité de la rétention doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du début de la rétention, / b) soit accordent au ressortissant concerné d'un pays tiers le droit d'engager une procédure par laquelle la légalité de la rétention fait l'objet d'un contrôle juridictionnel accéléré qui doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du lancement de la procédure en question. Dans ce cas, les États membres informent immédiatement le ressortissant concerné d'un pays tiers de la possibilité d'engager cette procédure. / Le ressortissant concerné d'un pays tiers est immédiatement remis en liberté si la rétention n'est pas légale (...) " ;
13. Considérant que les dispositions des articles L. 512-1 et suivants et L. 551-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, prévoient, d'une part, que l'étranger placé en rétention administrative peut contester cette décision, dans un délai de quarante-huit heures, devant le président du tribunal administratif, qui statue dans un délai de soixante-douze heures, y compris le cas échéant à l'appui d'une demande tendant à l'annulation de la mesure d'éloignement concernée pour laquelle le recours a un effet suspensif, et d'autre part, que cette mesure privative de liberté ne peut être prolongée au-delà de cinq jours que sur décision du juge des libertés et de la détention, qui statue dans un délai de vingt-quatre heures à compter de sa saisine ; qu'en organisant ce contentieux, le législateur a eu pour but de garantir l'examen prioritaire de la légalité de ces mesures et, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de permettre un traitement plus efficace des procédures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière ; que la circonstance que les dispositions du 6° de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile autorisent l'administration à prononcer la rétention d'un ressortissant étranger ayant fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prononcée depuis moins d'un an et pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré n'est pas contraire à l'objectif de garantir une voie de recours effectif ni à celui de célérité du contrôle juridictionnel exigés par les dispositions précitées des articles 13 et 15 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, dès lors que ces procédures garantissent, dès la notification de la mesure de rétention, un droit au recours effectif devant le juge administratif qui statue rapidement sur la légalité de cette mesure mais aussi, le cas échéant, de la décision d'éloignement puis une intervention du juge judiciaire dans des délais eux-mêmes très brefs ; que dans ces conditions, M. A...n'est pas fondé à soutenir que ces dispositions auraient été incorrectement transposées en droit interne ;
14. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A...était dépourvu de tout domicile fixe ; que, par suite, et alors même qu'il disposerait de quelques ressources financières, l'intéressé ne présente pas de garanties de représentation propres à prévenir le risque qu'il se soustraie à la mesure de remise aux autorités italiennes dont il a fait l'objet ; que, dès lors, le préfet, en adoptant la décision de placement en rétention, n'a pas commis d'erreur d'appréciation ;
15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 21 novembre 2015 ;
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2 à 4 du jugement du 25 novembre 2015 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D...A....
Copie sera adressée à la préfète du Pas-de-Calais.
Délibéré après l'audience publique du 7 juin 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Michel Hoffmann, président de chambre,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- Mme Muriel Milard, premier conseiller.
Lu en audience publique le 21 juin 2016.
L'assesseur le plus ancien,
Signé : M. C...Le président-rapporteur,
Signé : M. B...
Le greffier,
Signé : M.T. LEVEQUE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Le greffier
Marie-Thérèse Lévèque
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N°16DA00476