Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 22 juin 2015, le préfet du Nord demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Lille du 15 avril 2015 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. E...devant le tribunal administratif de Lille.
Il soutient que :
- le premier juge a retenu à tort qu'il avait commis, pour faire obligation à M. E... de quitter le territoire français, une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette décision sur la situation personnelle de l'intéressé ;
- les autres moyens soulevés par M. E...devant le tribunal administratif de Lille ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juin 2016, M. E..., représenté par Me A...F..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- le magistrat désigné du tribunal administratif de Lille a retenu à juste titre que, pour lui faire obligation de quitter le territoire français, le préfet du Nord avait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle ;
- son placement en rétention administrative n'était pas nécessaire, compte tenu des garanties de représentation dont il pouvait se prévaloir.
M. E...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 janvier 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que, pour annuler, par le jugement attaqué du 15 avril 2015, l'arrêté du 8 avril 2015 par lequel le préfet du Nord a fait obligation à M.E..., ressortissant algérien, de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel celui-ci pourrait être reconduit d'office et l'a placé en rétention administrative, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a estimé qu'en faisant obligation à M. E...de quitter le territoire français, alors que l'intéressé, d'une part, pourrait prétendre de plein droit, à compter du 15 juin 2015, à la délivrance d'un certificat de résidence sur le fondement du 1 de l'article 6 de l'accord franco-algérien, d'autre part, avait épousé religieusement une compatriote en séjour régulier, enfin, maîtrisait la langue française et veillait sur une tante, qui l'héberge et qui présente un état de santé fragile, le préfet du Nord avait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressé ;
2. Considérant, toutefois, que, si M.E..., entré régulièrement sur le territoire français le 15 juin 2005, à l'âge de vingt-six ans, a versé au dossier des documents lui permettant de justifier d'un séjour habituel sur ce territoire depuis cette date, il est constant que l'intéressé s'est maintenu irrégulièrement en France en dépit de deux mesures d'éloignement, qui ont été prises à son égard le 18 janvier 2009 ainsi que le 1er juin 2011, la première de ces mesures étant devenue définitive et la légalité de la seconde ayant été confirmée par une décision définitive du juge administratif ; que l'intéressé ne peut ainsi invoquer une volonté sérieuse d'intégration dans la société française, alors même qu'il aurait travaillé dans le secteur du bâtiment, au demeurant dans des conditions irrégulières ; qu'il ne justifie pas plus d'une bonne maîtrise de la langue française, le procès-verbal de son interpellation révélant qu'il s'exprime mal dans cette langue, en dépit de la formation à l'alphabétisation qu'il a suivie en 2005 et 2006 ; que la vie commune entretenue par M. E... avec sa compagne n'est attestée que depuis le 1er avril 2013, soit depuis à peine plus de deux ans à la date de l'arrêté contesté ; que M.E..., qui n'a pas d'enfant, n'établit pas, par ses seules allégations, être dépourvu d'attaches familiales proches dans son pays d'origine, dans lequel il a habituellement vécu jusqu'à l'âge de vingt-six ans ; qu'enfin, la seule attestation rédigée le 8 avril 2015, soit à la date même à laquelle l'arrêté contesté a été pris, par la tante de M. E...ne saurait suffire à corroborer les allégations de ce dernier selon lequel l'état de santé de sa parente rendrait indispensable sa présence à ses côtés ; qu'il suit de là que le préfet du Nord est fondé à soutenir que, pour annuler son arrêté du 8 avril 2015, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lille a retenu à tort qu'il avait commis, pour faire obligation à M. E...de quitter le territoire français, une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette décision sur la situation personnelle de l'intéressé ;
3. Considérant qu'il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. E...devant le tribunal administratif de Lille ;
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
4. Considérant que l'arrêté contesté du 8 avril 2015 a été signé par M. D... B..., directeur de l'immigration et de l'intégration de la préfecture du Nord, qui a agi dans le cadre d'une délégation de signature qui lui avait été consentie par un arrêté du préfet du Nord en date du 29 septembre 2014 régulièrement publié le même jour au numéro spécial n° 278 du recueil des actes administratifs de la préfecture ; que cette délégation habilitait M. B...à signer notamment les décisions faisant obligation à des ressortissants étrangers de quitter le territoire français ; qu'il suit de là que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte manque en fait ;
5. Considérant qu'aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / (...) / 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré ; / (...) " ;
6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. E...a, comme il a été dit au point 2, fait l'objet, le 1er juin 2011, d'un arrêté portant refus de délivrance d'un titre de séjour et lui faisant obligation de quitter le territoire français, dont la légalité a été confirmée par un arrêt de la cour administrative de Douai du 14 mars 2012 ; que, s'étant néanmoins maintenu irrégulièrement sur ce territoire, il entrait ainsi dans le cas prévu par les dispositions précitées du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile autorisant qu'il fasse de nouveau l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la décision prise à cette fin par le préfet du Nord reposerait sur une base légale erronée doit être écarté ;
7. Considérant que M.E..., qui pouvait seulement justifier, à la date à laquelle l'arrêté contesté du 8 avril 2015 a été pris, d'un séjour d'une durée d'un peu plus de neuf ans et trois mois, ne peut utilement se prévaloir du bénéfice des stipulations du 1 de l'article 6 de l'accord franco-algérien, selon lesquelles le ressortissant algérien qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans peut prétendre de plein droit à la délivrance d'un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " ;
8. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / (...) " et qu'aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien : " (...) / Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : / (...) / 5. Au ressortissant algérien qui n'entre pas dans les catégories (...) qui ouvrent droit au regroupement familial dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ; / (...) " ;
9. Considérant qu'eu égard à ce qui a été dit au point 2, et compte tenu notamment des conditions du séjour de M. E...sur le territoire français, malgré l'ancienneté de ce séjour, il n'est pas établi que, pour estimer que la décision faisant obligation à l'intéressé de quitter le territoire français n'avait pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cet acte était pris, le préfet du Nord aurait commis une erreur d'appréciation ; qu'il n'est, par suite, pas davantage établi que cette décision aurait été prise en méconnaissance des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du 5 de l'article 6 de l'accord franco-algérien, ni, dès lors, que M. E...se serait trouvé, à la date de l'arrêté contesté, en situation de prétendre de plein droit à la délivrance, sur ce dernier fondement, d'un certificat de résidence d'un an, ce qui aurait fait obstacle à ce qu'il fasse légalement l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ;
Sur la légalité de la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire :
10. Considérant qu'il résulte de l'examen des motifs de l'arrêté en litige que ceux-ci comportent la mention des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision refusant d'accorder à M. E...un délai pour lui permettre de se conformer volontairement à l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre ; que, par suite, cette décision est suffisamment motivée au regard de l'exigence posée par le II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et par l'article 12 de la directive 2008/115/CE ; que, dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que, pour prendre cette décision, le préfet du Nord ne se serait pas livré à un examen suffisamment attentif de la situation particulière de M.E... ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 9 que le moyen tiré de ce que la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire à M. E...devrait être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté ;
12. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger dispose d'un délai de trente jours à compter de sa notification et peut solliciter, à cet effet, un dispositif d'aide au retour dans son pays d'origine. (...) Eu égard à la situation personnelle de l'étranger, l'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours. / Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / (...) / 2° Si l'étranger s'est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, de son récépissé de demande de carte de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour au motif que sa demande était ou manifestement infondée ou frauduleuse ; / 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque est regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / (...) / d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; / (...) " ;
13. Considérant que, si M. E...soutient qu'il n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions précitées du 2° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il ressort des motifs de l'arrêté contesté que, pour refuser d'accorder à l'intéressé un délai de départ volontaire, le préfet du Nord s'est, en outre, fondé sur les dispositions précitées du 3° de cet article, qui suffisaient à justifier à elles seules le prononcé d'une telle décision ; qu'il suit de là que le moyen doit être écarté comme inopérant ;
Sur la légalité de la décision de placement en rétention administrative :
14. Considérant que la délégation de signature mentionnée au point 4, consentie à M. B..., directeur de l'immigration et de l'intégration de la préfecture du Nord, le 29 septembre 2014 et régulièrement publiée le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture, habilitait cette autorité à signer les décisions plaçant en rétention administrative des ressortissants étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ; qu'il suit de là que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte manque en fait ;
15. Considérant qu'il résulte de l'examen des motifs de l'arrêté en litige que ceux-ci comportent la mention des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision plaçant M. E...en rétention administrative ; que, par suite, cette décision est suffisamment motivée au regard de l'exigence posée par l'article 3 de la loi du 11 juillet 1979 ; que, dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que, pour prendre cette décision, le préfet du Nord ne se serait pas livré à un examen suffisamment attentif de la situation particulière de M.E... ;
16. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 9 que le moyen tiré de ce que la décision plaçant M. E...en rétention administrative devrait être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté ;
17. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A moins qu'il ne soit assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de cinq jours, lorsque cet étranger : / (...) / 6° Fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé ; / (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 561-2 du même code : " Dans les cas prévus à l'article L. 551-1, l'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger pour lequel l'exécution de l'obligation de quitter le territoire demeure une perspective raisonnable et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque, mentionné au II de l'article L. 511-1, qu'il se soustraie à cette obligation. (...) " ;
18. Considérant, qui, si M. E...excipe de l'incompatibilité de ces dispositions, notamment issues de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, avec les objectifs de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, il n'a toutefois pas assorti son moyen de précisions suffisantes pour permettre à la cour d'en apprécier le bien-fondé ;
19. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M.E..., qui faisait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai prise le jour même, n'a pas été en mesure de justifier, lors de son interpellation, de la possession d'un document d'identité en cours de validité, quand bien même il a pu ensuite produire devant le juge un passeport périmé, et s'était déjà soustrait à des précédentes mesures d'éloignement exécutoires ; que la seule attestation d'hébergement émise le jour même de l'édiction de l'arrêté contesté, qu'il a versée au dossier, ne peut lui permettre de justifier d'une domiciliation stable ; que, dès lors, le préfet du Nord n'a pas méconnu les dispositions des articles L. 551-1 et L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni n'a commis d'erreur d'appréciation, pour décider de le placer en rétention administrative et non de l'assigner à résidence ;
20. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 15 avril 2015, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif Lille a annulé son arrêté en date du 8 avril 2015 faisant obligation à M. E... de quitter sans délai le territoire français, fixant le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office et le plaçant en rétention administrative ; que, dès lors, la demande que M. E...a présentée au tribunal administratif de Lille doit être rejetée ; qu'il en est de même des conclusions qu'il présente en cause d'appel au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 15 avril 2015 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif Lille est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. E...devant le tribunal administratif de Lille et les conclusions qu'il présente en cause d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. C... E... et à Me A...F....
Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 23 juin 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Olivier Nizet, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller,
- M. Jean-François Papin, premier conseiller.
Lu en audience publique le 7 juillet 2016.
Le rapporteur,
Signé : J.-F. PAPINLe président
de la formation de jugement,
Signé : O. NIZET
Le greffier,
Signé : I. GENOT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
Isabelle Genot
''
''
''
''
1
4
N°15DA01026