Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 9 mars 2016, complétée par un mémoire enregistré le 19 mai 2016, Mme D... épouseB..., représentée par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 14 janvier 2016 ;
2°) d'annuler la décision du préfet des Bouches-du-Rhône du 12 janvier 2016 décidant sa réadmission en Espagne ;
3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, celui-ci s'engageant alors à renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- la décision est entachée d'erreur de fait, l'Espagne n'ayant pas accepté le 11 janvier 2016 la prise en charge demandée par les autorités françaises, ce que ne peut valoir l'acceptation donnée à l'Allemagne le 24 septembre 2015 ;
- l'administration n'a pas respecté le délai de quinze jours prévu par l'article 25 du règlement 604/2013 suivant sa demande de prise en charge à l'Espagne pour prendre la décision de réadmission ;
- la demande de prise en charge ne pouvait ainsi prendre en compte les besoins particuliers immédiats de la personne à transférer à la date de la demande de prise en charge contrairement à l'article 8 modifié par le règlement 118/2014 ;
- le courrier d'acceptation des autorités espagnoles daté du 12 janvier 2016, produit pour la première fois en appel, ne lui a pas été communiqué en violation de l'article 26 du règlement 604/2013, et rien ne démontre qu'il soit antérieur à la décision de remise notifiée le même jour ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en n'appliquant pas la clause humanitaire prévue par l'article 17.2 du règlement, alors que sa mère et ses 5 soeurs, et des membres de la famille de son époux sont demandeurs d'asile en France ;
- la légalité de l'assignation à résidence est entachée par l'illégalité de la mesure de réadmission en Espagne.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 avril 2016, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête de Mme B....
Il soutient qu'aucun des moyens invoqués contre les décisions en litige n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hameline,
- et les observations de Me C..., représentant Mme B....
1. Considérant que Mme A... D...épouseB..., de nationalité syrienne, a déposé une demande d'asile auprès des services de la préfecture des Bouches-du-Rhône le 9 novembre 2015 ; que, par arrêtés du 12 janvier 2016, le préfet des Bouches-du-Rhône a, d'une part, décidé sa remise aux autorités espagnoles en vue du traitement par cet Etat membre de sa demande d'asile, et, d'autre part, prononcé son assignation à résidence ; que Mme B... relève appel du jugement du 14 janvier 2016 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille statuant en application de l'article L. 512-1 III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions ;
Sur le bien-fondé du jugement contesté :
En ce qui concerne la légalité de la décision de remise aux autorités espagnoles :
2. Considérant, d'une part, qu'en vertu du 1° de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'admission en France d'un étranger qui demande le bénéfice de l'asile peut être refusée si l'examen de sa demande relève de la compétence d'un autre Etat membre en application, depuis le 1er janvier 2014, des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ; que le paragraphe 2 de l'article 7 de ce règlement prévoit que " la détermination de l'Etat membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un Etat membre " ; qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 13 du même règlement : " Lorsqu'il est établi [...] que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un Etat membre dans lequel il est entré en venant d'un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière." ; qu'il résulte de ces dispositions que la détermination de l'Etat membre en principe responsable de l'examen de la demande de protection internationale s'effectue une fois pour toute à l'occasion de la première demande d'asile, au vu de la situation prévalant à cette date ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 26 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Lorsque l'État membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d'un demandeur (...), l'État membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l'État membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale. (...) 2. La décision visée au paragraphe 1 contient des informations sur les voies de recours disponibles, y compris sur le droit de demander un effet suspensif, le cas échéant, et sur les délais applicables à l'exercice de ces voies de recours et à la mise en oeuvre du transfert et comporte, si nécessaire, des informations relatives au lieu et à la date auxquels la personne concernée doit se présenter si cette personne se rend par ses propres moyens dans l'État membre responsable. " ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'à la date à laquelle Mme B... et son époux ont présenté leur demande d'asile auprès des autorités françaises, ils avaient franchi irrégulièrement la frontière espagnole depuis moins de douze mois, leurs empreintes ayant été prises dans ce pays en application du règlement communautaire dit " Eurodac " le 20 avril 2015 ; qu'il suit de là qu'en application des dispositions précitées du règlement du 26 juin 2013, l'Espagne était et demeurait, en principe, l'Etat responsable de l'examen de leur demande de protection internationale ; que la circonstance que Mme B... ait entretemps effectué une autre demande d'asile en Allemagne le 3 septembre 2015 demeurait sans influence sur ce point, alors que les autorités espagnoles avaient au demeurant accepté par décision du 24 septembre 2015 la demande de reprise en charge effectuée par les autorités allemandes en application des articles 23 à 26 du même règlement ;
5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de la demande d'asile déposée en France par M. et Mme B... le 9 novembre 2015, le préfet des Bouches-du-Rhône a demandé la reprise en charge de ces derniers tant aux autorités allemandes qu'aux autorités espagnoles le 5 janvier 2015 ; qu'il résulte du document émanant du ministère de l'intérieur espagnol produit pour la première fois par l'administration en appel et qu'il n'est pas valablement contesté par la requérante que l'Espagne, Etat responsable du traitement de la demande d'asile de l'intéressée, a expressément donné son accord aux autorités françaises pour la réadmission de celle-ci le 12 janvier 2016 ; que, par suite, le préfet a pu, sans erreur de droit ni défaut de base légale, prendre la mesure de réadmission en Espagne de Mme B... le 12 janvier 2016 alors que le traitement de la demande d'asile de l'intéressée relevait en application du règlement du 26 juin 2013 des autorités espagnoles, et que sa prise en charge était acceptée par ces mêmes autorités au sens des articles 25 et 26 de ce règlement ;
6. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des termes de la décision préfectorale en litige que celle-ci comprenait les mentions exigées par les dispositions précitées du paragraphe 2 de l'article 26 du règlement du 26 juin 2013, et qu'elle précisait que la demande de reprise en charge présentée par la France aux autorités espagnoles avait été expressément acceptée par ces dernières en application de l'article 25 de ce règlement ; que Mme B... n'est ainsi pas fondée à soutenir que la procédure suivie à son égard aurait méconnu les dispositions du règlement du 26 juin 2013 et notamment de son article 26, en ce qu'elle n'aurait pas été informée conformément aux exigences posées par le règlement de l'acceptation de sa prise en charge par les autorités espagnoles ;
7. Considérant, en troisième et dernier lieu, que le paragraphe 2 de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 prévoit la possibilité d'écarter l'application des critères de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen des demandes d'asile en cas de mise en oeuvre de la clause humanitaire selon laquelle un Etat membre peut, même s'il n'est pas responsable en application des critères fixés par le règlement, " rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées notamment sur des motifs familiaux ou culturels " ; que la faculté laissée par cette disposition à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile ;
8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme B..., qui a quitté la Syrie en 2012, est entrée en France accompagnée de son époux et de ses enfants en bas âge le 20 octobre 2015 après avoir résidé depuis le 20 avril 2015 en Espagne puis en Allemagne ; que son époux a également fait l'objet d'une décision de réadmission en Espagne le même jour qu'elle ; que, si elle fait valoir qu'un frère et une soeur de son époux vivent en France, il ressort de ses déclarations que ceux-ci, demandeurs d'asile, ne sont entrés sur le territoire français qu'en juillet et décembre 2015 ; que dans ces conditions, et alors même que plusieurs soeurs et la mère de la requérante séjourneraient en France depuis une durée non précisée, l'une d'entre elle ayant été admise au séjour au titre de l'asile, l'intéressée ne démontre pas que le préfet aurait méconnu les dispositions précitées de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 en ne décidant pas, à la date du 12 janvier 2016, d'accepter son admission au séjour en qualité de demandeur d'asile en France plutôt qu'en Espagne où M. et Mme B... et leurs enfants avaient précédemment séjourné ;
En ce qui concerne la légalité de l'assignation à résidence :
9. Considérant que pour les motifs indiqués aux point 2 à 8 ci-dessus, Mme B... ne démontre pas l'illégalité de la décision par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône a décidé sa remise aux autorités espagnoles ; qu'elle ne peut ainsi utilement invoquer une telle illégalité, par voie d'exception, à l'encontre de la décision du même jour prononçant son assignation à résidence ;
10. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à se plaindre que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du préfet des Bouches-du-Rhône du 12 janvier 2016 ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Considérant que le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par Mme B..., n'implique aucune mesure d'exécution ; qu'il y a lieu, par suite, de rejeter les conclusions présentées par l'intéressée tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de lui délivrer un récépissé de demande d'asile ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de quelque somme que ce soit au conseil de Mme B..., qui n'a au demeurant pas demandé l'aide juridictionnelle, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D...épouse B...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 6 juin 2016, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Pocheron, président-assesseur,
- Mme Hameline, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 27 juin 2016.
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N° 16MA00951