Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 11 juin 2015, Mme A..., représentée par la SELAFA Cabinet Cassel, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 10 avril 2015 ;
2°) d'annuler avec toutes conséquences de droit l'arrêté du 9 décembre 2013 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'article 3 de la loi n° 89-1007 du 31 décembre 1989, et plus précisément la limite d'âge à 57 ans sans possibilité de report pour les ingénieurs du contrôle de la navigation, qui constitue une discrimination liée à l'âge, méconnaît les objectifs de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 ;
- l'impossibilité de report de la limite d'âge méconnaît l'article 21 de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne et les articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 février 2016, la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité instituant la Communauté européenne ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, notamment son article 21 ;
- la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, notamment ses articles 1, 2, 4 et 6 ;
- le règlement (CE) n° 551/2004 du 10 mars 2004 du Parlement et du Conseil ;
- la directive 2006/23/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2006 ;
- le règlement (CE) n° 1108/2009 du Parlement européen et du conseil du 21 octobre 2009 ;
- le règlement (UE) n° 805/2011 de la Commission du 10 août 2011 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi modifiée n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 89-1007 du 31 décembre 1989 ;
- la loi n° 95-116 du 4 février 1995, notamment son article 91 ;
- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;
- la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Portail,
- et les conclusions de M. Roux, rapporteur public.
1. Considérant que Mme A... est ingénieur du contrôle de la navigation aérienne ; que, par arrêté du 9 décembre 2013, la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie a prononcé sa mise à la retraite à l'âge de 57 ans à compter du 9 mars 2014 au motif que l'intéressée avait atteint la limite d'âge applicable à son grade ; que, par un jugement du 10 avril 2015, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de Mme A... tendant à l'annulation de cet arrêté ; que Mme A... relève appel de ce jugement ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1-3 de la loi du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public, issu de l'article 93 de la loi du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige : " Sous réserve des droits au recul des limites d'âge prévus par l'article 4 de la loi du 18 août 1936 concernant les mises à la retraite par ancienneté, les fonctionnaires régis par la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires appartenant à des corps ou à des cadres d'emplois dont la limite d'âge est inférieure à soixante-cinq ans sont, sur leur demande, lorsqu'ils atteignent cette limite d'âge, maintenus en activité jusqu'à l'âge de soixante-cinq ans, dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, sous réserve de leur aptitude physique " ; que, toutefois, aux termes de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1989 relative au corps des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne, dans sa rédaction applicable au litige : " La limite d'âge des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne est fixée à cinquante-sept ans, sans possibilité de report " ;
3. Considérant, en premier lieu, et, d'une part, que la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail a pour objet, en vertu de ses articles 1 et 2, de proscrire les discriminations professionnelles directes et indirectes, y compris les discriminations fondées sur l'âge ; que, toutefois, aux termes du paragraphe 5 de son article 2 : " La présente directive ne porte pas atteinte aux mesures prévues par la législation nationale qui, dans une société démocratique, sont nécessaires à la sécurité publique, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé et à la protection des droits et libertés d'autrui " ; qu'aux termes du paragraphe 1er de l'article 4 de la même directive : " Nonobstant l'article 2, paragraphes 1 et 2, les Etats membres peuvent prévoir qu'une différence de traitement fondée sur une caractéristique liée à l'un des motifs visés à l'article 1er ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d'une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée " ;
4. Considérant, d'autre part, que le paragraphe 2 de l'article 10 de la directive du Parlement européen et Conseil du 5 avril 2006 concernant une licence communautaire de contrôleur de la navigation aérienne, autorise les Etats membres, s'ils le jugent nécessaire pour des raisons de sécurité, à prévoir une limite d'âge pour les contrôleurs de la navigation aérienne dont les fonctions opérationnelles de contrôle de la circulation aérienne nécessitent la détention d'une telle licence ; que cette faculté était maintenue en vigueur à la date du litige par l'effet des dispositions de l'article 2 du règlement (CE) n° 1108/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 ; qu'elle a ensuite été à nouveau maintenue en vigueur par l'article 31 du règlement (UE) n° 805/2011 de la Commission du 10 août 2011 établissant les modalités relatives aux licences et à certains certificats de contrôleur de la circulation aérienne ;
5. Considérant qu'une limite d'âge inférieure au droit commun constitue une différence de traitement selon l'âge affectant les conditions d'emploi et de travail au sens des dispositions précitées des articles 1 et 2 de la directive 2000/78 CE du Conseil du 27 novembre 2000, ainsi que l'a notamment jugé la Cour de justice de l'Union européenne par son arrêt du 12 janvier 2010 (aff. C-229/08) ; qu'une telle mesure peut cependant être justifiée si elle est nécessaire, aux termes du paragraphe 5 de l'article 2 de la directive, notamment à la sécurité publique ou si, en vertu du paragraphe 1 de l'article 4 de la directive, la caractéristique qui fonde la différence de traitement, liée notamment à l'âge, en raison de la nature de l'activité professionnelle ou des conditions de son exercice, constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante de cette activité, pour autant que cette exigence soit proportionnée ; que la directive du Parlement et du Conseil du 5 avril 2006 ayant offert aux Etats membres, dans le but d'assurer la sécurité de la circulation aérienne, la faculté, maintenue en vigueur, d'instaurer une différence de traitement selon l'âge pour les contrôleurs de la navigation aérienne exerçant des fonctions opérationnelles et si celle-ci est ainsi justifiée dans son principe, en ce qui concerne ces contrôleurs, au regard des dispositions précitées de la directive du 27 novembre 2000 prohibant les discriminations professionnelles, il convient cependant de vérifier, d'une part, que la limite d'âge de 57 ans fixée par la loi du 31 décembre 1989 est justifiée en ce qu'elle concerne tous les membres du corps des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne, indépendamment de leur affectation dans leurs différentes fonctions, et, d'autre part, que le niveau de la limite d'âge retenu est compatible avec les exigences posées par cette directive du 27 novembre 2000 et proportionné avec les motifs permettant d'instaurer une limite d'âge inférieure au droit commun ;
6. Considérant qu'il ressort de l'ensemble des pièces du dossier que la sécurité aérienne dépend principalement du contrôle assuré par les ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne ; que ce contrôle comporte le " contrôle en route ", consistant à guider les avions dans la traversée de l'espace aérien dont ils ont la charge, ainsi que le " contrôle d'approche ", consistant à guider les avions aux abords d'un aérodrome, depuis la vigie d'une tour de contrôle ou une salle de radar, et le " contrôle d'aérodrome ", consistant à accompagner l'atterrissage des aéronefs ; que, dans le cadre du contrôle en route, dont ils ont la charge exclusive, les ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne doivent assurer seuls la gestion du vol des avions croisant dans un même espace aérien à des altitudes, vitesses et trajectoires différentes et être capables de recomposer immédiatement le plan de vol des appareils en fonction des positions des uns et des autres ; que, dans le cadre des deux autres types de contrôles qu'ils effectuent, les ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne doivent également assurer en toute sécurité l'approche des aérodromes et l'utilisation des pistes ; que l'exercice par ces derniers de leurs différentes fonctions nécessite une attention constante aux informations données par leurs écrans radar et une capacité à prendre immédiatement les mesures nécessaires à la bonne gestion des situations qui se présentent à eux ; qu'eu égard aux conséquences potentielles d'une erreur qu'ils commettraient, des exigences de réactivité appropriée particulièrement fortes s'imposent à eux ;
7. Considérant qu'il ressort également de l'ensemble des pièces du dossier et qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que l'exercice par les contrôleurs de la navigation aérienne de leurs fonctions nécessite, compte tenu de la nature de leur travail sur écran, de la vigilance permanente exigée par les situations d'urgence auxquelles ils sont susceptibles d'être confrontés et des cycles de travail irréguliers de jour comme de nuit qui sont les leurs, des facultés d'attention, de concentration et de récupération dont la mobilisation particulièrement intense et constante s'accompagne d'une importante charge mentale ; que ces facultés sont susceptibles d'être affectées par l'âge, dès lors que celui-ci peut amoindrir l'endurance, la vigilance et les performances au travail du contrôleur de la navigation aérienne ; que si, dans leur mission de contrôle en route, ces agents travaillent par équipes de deux, chacun de ses membres est chargé d'une tâche spécifique et complémentaire et ne peut, pour cette raison, relâcher son attention pendant toute la durée de son cycle de travail ; qu'ainsi, l'institution d'une règle générale permet d'éviter que soient encore en fonction des agents dont les aptitudes seraient amoindries par l'âge ; que, compte tenu de ces spécificités et ainsi qu'il a été dit, le paragraphe 2 de l'article 10 de la directive 2006/23/CE du Parlement européen et Conseil du 5 avril 2006 concernant une licence communautaire de contrôleur de la navigation aérienne, dont les dispositions ont été maintenues en vigueur, a autorisé les Etats membres, pour des raisons de sécurité, à prévoir des limites d'âge pour les contrôleurs chargés de fonctions opérationnelles ;
8. Considérant que l'instruction a permis de confirmer que si treize pour cent des membres du corps des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne sont affectés à des fonctions dites " hors salle ", notamment sur des emplois ouverts à des fonctionnaires relevant d'autres corps, c'est-à-dire sans avoir à exercer une activité opérationnelle de contrôle de la navigation aérienne, ceux-ci doivent néanmoins conserver leur aptitude à ce contrôle et être à même, en fonction des besoins, de reprendre à tout moment une activité opérationnelle en salle de contrôle ; que l'institution d'une telle limite d'âge générale et dérogatoire par l'article 3 de la loi du 31 décembre 1989, répondant à l'objectif de garantir la sécurité aérienne, est, par suite, justifiée au regard des dispositions du paragraphe 5 de l'article 2 de la directive ; qu'elle répond également à une exigence professionnelle essentielle et déterminante pour atteindre cet objectif, au sens des dispositions du paragraphe 1 de l'article 4 de la directive du 27 novembre 2000 ;
9. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que si certains Etats, telle la Nouvelle-Zélande, ne fixent aucune limite d'âge particulière pour les agents chargés du contrôle de la circulation aérienne et si plusieurs Etats européens, dont l'Espagne et les pays scandinaves, ont fixé, pour ces derniers, une limite d'âge de 65 ans, les Etats membres du " bloc d'espace aérien fonctionnel centre-européen ", constitué sur le fondement de l'article 5 du règlement n° 551/2004 du 10 mars 2004 relatif à l'organisation et à l'utilisation de l'espace aérien dans le ciel unique européen et auquel appartient la France, ont tous adopté, pour les contrôleurs de la navigation aérienne, des limites d'âge dérogatoires au droit commun et inférieures à soixante ans ; qu'elles varient ainsi entre 55 ans et 58 ans, en Belgique, en Allemagne et aux Pays-Bas ; qu'une limite d' âge de 57 ans a été fixée au sein de l'organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne " Eurocontrol " ; qu'enfin, la limite d'âge est fixée à 56 ans au Etats-Unis et à 60 ans en Italie, en Russie et en Chine ;
10. Considérant que s'il est vrai que les possibilités de reclassement offertes dans le corps des ingénieurs des études et de l'exploitation de l'aviation civile sont limitées, celles-ci doivent néanmoins être prises en considération dès lors qu'elles permettent aux ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne de poursuivre, sur leur demande et après examen professionnel, une activité au-delà de la limite d'âge qui leur est applicable ;
11. Considérant que si, en application de l'article 38 de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites et dans le cadre du recul général de l'âge des départs à la retraite tenant compte des évolutions de l'espérance de vie et de l'état de santé et d'aptitude des populations, la limite d'âge des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne sera progressivement reculée pour les agents nés à compter du 1er juillet 1961, qui atteindront l'âge de 57 ans à compter du 1er juillet 2018, et sera définitivement portée à 59 ans pour les agents nés à compter du 1er janvier 1963, soit à compter du 1er janvier 2022, il résulte de ce qui précède que la limite d'âge de 57 ans pour les ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne, en vigueur à la date du litige, doit être regardée comme nécessaire et proportionnée au regard des dispositions du paragraphe 5 de l'article 2 et de celles du paragraphe 1 de l'article 4 de la directive invoquée ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que doit être écarté le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué, en ce qu'il se fonde sur l'article 3 de la loi du 31 décembre 1989, méconnaîtrait les dispositions de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 interdisant les discriminations en fonction de l'âge ;
13. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 21 de la charte européenne des droits fondamentaux de l'Union européenne : "1. Est interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle (...)" ; qu'ainsi qu'il a été dit, eu égard à l'objectif d'intérêt général qui s'attache à la sécurité aérienne, la différence de traitement en litige relative à l'âge de départ à la retraite des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne poursuit un but légitime et présente une justification raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ;
14. Considérant, en troisième lieu, que l'instauration d'une limite d'âge pour des fonctionnaires ne porte pas en soi une atteinte à leur droit au respect de leur vie privée et familiale, garanti par les stipulations des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions accessoires tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens doivent être rejetées ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A...et à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer.
Délibéré après l'audience du 1er juin 2016, où siégeaient :
- Mme Buccafurri, présidente,
- M. Portail, président-assesseur,
- Mme Busidan, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 24 juin 2016.
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N° 15MA02422