Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 juillet 2015, l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), représentée par Me Alibert, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1202024 du 21 mai 2015 du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) de rejeter la demande de la société Alsace Lait ;
3°) de mettre à la charge de la SCA Alsace Lait une somme de 3 500 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il ne vise qu'imparfaitement les moyens des parties ;
- la société n'a pas formulé de moyen de légalité interne dans le délai de recours contentieux ;
- les premiers juges ont procédé à une interprétation erronée des dispositions du règlement CEE n° 3950/92 et du régime du prélèvement supplémentaire ;
- le prélèvement supplémentaire étant susceptible d'être dû même en l'absence de dépassement de la quantité globale nationale initialement attribuée à l'Etat membre dès lors que le producteur dépasse sa quantité de référence habituelle, le titre exécutoire est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 novembre 2015, la société Alsace Lait, représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de FranceAgriMer une somme de 3 000 euros à lui verser au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est régulier ;
- elle a soulevé dans sa requête introductive d'instance le moyen tiré de l'absence de bien-fondé de la créance et les autres moyens de légalité interne sont recevables ;
- les producteurs, qui ont contribué au dépassement, ne sont redevables d'un prélèvement supplémentaire que si, au préalable, le dépassement du quota national est caractérisé ;
- l'état exécutoire n'est pas suffisamment motivé ;
- elle n'a pas été invitée par FranceAgriMer à produire ses observations préalablement à l'état exécutoire ;
- les bases de la liquidation ne sont pas indiquées dans l'état exécutoire, en méconnaissance des articles 163 et 81 du décret n° 62-1587 portant règlement général sur la comptabilité publique et la motivation par référence à des correspondances précédentes ne peut être retenue ;
- le titre exécutoire est entaché de défaut de base légale dès lors qu'il se fonde à tort sur l'article 25 de la loi du 30 décembre 2005.
Par un mémoire enregistré le 23 février 2016, l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), soutient en outre que :
- le juge a l'obligation de viser tous les moyens ;
- la société Alsace Lait n'a pas développé dans sa requête de moyen de légalité interne du titre exécutoire en litige ;
- le titre exécutoire n'est pas entaché d'erreur de droit ;
- elle se réfère à ses écritures de première instance pour les autres moyens soulevés en première instance ;
- les états exécutoires n'ont pas à être motivés ;
- la société a eu connaissance des bases de la liquidation ;
- le principe du contradictoire n'a pas été méconnu ;
- le titre exécutoire n'est pas entaché de défaut de base légale.
Par un mémoire enregistré le 25 février 2016, la société Alsace Lait soutient que :
- elle a expressément contesté le bien-fondé du titre exécutoire ;
- le titre exécutoire est entaché d'une erreur de droit.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (CEE) n° 3950/92 du Conseil du 28 décembre 1992 établissant un prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers ;
- le règlement (CE) n° 1392/2001 de la Commission du 9 juillet 1991 portant modalités d'application du règlement (CEE) n° 3950/92 du Conseil établissant un prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers ;
- le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Steinmetz-Schies, premier conseiller,
- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,
- et les observations de Me A...pour la société Alsace Lait et de Me Alibert pour FranceAgriMer.
Considérant ce qui suit :
1. Par un état exécutoire en date du 8 mars 2012, l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer, dit FranceAgriMer, venant aux droits de l'Office national interprofessionnel de l'élevage et de ses productions et de l'ONILAIT, a mis à la charge de la société Alsace Lait, agréée comme acheteur de lait, la somme de 120 951,15 euros au titre du prélèvement supplémentaire dû pour dépassement des quantités de référence en ce qui concerne la campagne de lait 2003-2004. FranceAgriMer relève appel du jugement du 21 mai 2015 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé le titre exécutoire du 8 mars 2012 et a déchargé la société Alsace Lait de la somme de 120 951,15 euros.
Sur la régularité du jugement :
2. FranceAgriMer soutient que le jugement du 21 mai 2015 ne vise et n'analyse qu'imparfaitement les moyens des parties.
3. Aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " la décision (...) contient l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application (...) ".
4. Il ressort de la minute du jugement attaqué qu'ont été régulièrement visés et analysés les mémoires et moyens des parties. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative doit être écarté.
Sur la recevabilité des moyens de première instance :
5. FranceAgriMer soutient que la société Alsace Lait n'a soulevé aucun moyen de légalité interne dans les délais de recours contentieux.
6. La société Alsace Lait, requérante a soulevé, dans son mémoire du 4 mai 2012, le moyen tiré de ce qu'elle ne disposait d'aucun élément d'information relatif à la créance exigée et que, par conséquent, elle contestait le bien-fondé de l'état exécutoire. Ce faisant, la société a soulevé un moyen de légalité interne dans le délai de recours contentieux et la fin de non recevoir opposée par FranceAgriMer doit être écartée.
Sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Strasbourg :
7. FranceAgriMer soutient que la société Unicoolait et la SCEA Olferding n'entraient dans aucune des hypothèses strictement définies pour bénéficier de la réallocation d'une partie limitée des quantités de référence inutilisées au terme de la campagne 2003-2004, que le prélèvement supplémentaire était dû, alors même que la quantité globale garantie attribuée à la France au titre des livraisons n'avait pas été dépassée, et qu'il avait la possibilité de ne pas réallouer les quantités de référence inutilisées.
8. Aux termes de l'article D. 654-64 du code rural et de la pêche maritime dans sa version alors applicable: " L'acheteur déclare à l'office chargé du lait et des produits laitiers, dans le mois qui suit cette prise en charge, les producteurs nouvellement pris en charge, la date de la première livraison ainsi que, le cas échéant, la quantité de référence et le taux de référence de matière grasse dont ils disposaient auprès de l'acheteur précédent. " Aux termes de l'article D. 654-65 du même code : " L'acheteur précédent est tenu de déclarer à l'office chargé du lait et des produits laitiers, dans le mois qui suit la cessation des livraisons, l'identité des producteurs, la quantité de référence et le taux de référence de matière grasse notifiés au producteur qui a cessé ses livraisons à la suite d'un changement d'acheteur, et le volume de livraisons, compte tenu de la correction relative au taux de matière grasse, qu'il a effectuées entre le début de la campagne en cours et la date de cessation. / Si les livraisons, compte tenu de la correction relative au taux de matière grasse, augmentées des allocations provisoires et compte tenu des remboursements éventuels consentis en application de l'arrêté mentionné à l'article D. 654-40, excèdent la quantité de référence, le dépassement constaté est transféré au nouvel acheteur. En outre, ce dernier devient redevable à l'égard de FranceAgriMer des sommes dues au titre du prélèvement pour les campagnes précédentes, notifiées au producteur et dont celui-ci ne s'est pas encore acquitté auprès du ou des acheteurs précédents. Dans le cas où les sommes correspondantes lui ont déjà été payées par les acheteurs précédents, FranceAgriMer en reverse le montant à ces acheteurs au fur et à mesure de leur récupération.".
9. Aux termes du préambule du règlement (CEE) susvisé n° 3950/92 du Conseil du 28 décembre 1992 applicable à la campagne 2003/2004 : " (...) le dépassement de l'une ou l'autre des quantités globales garanties pour l'État membre entraîne le paiement du prélèvement par les producteurs qui ont contribué au dépassement ". Aux termes de l'article 2 du même règlement : " 1. Le prélèvement est dû sur toutes les quantités de lait ou d'équivalent-lait commercialisées pendant la période de douze mois en question et qui dépassent l'une ou l'autre des quantités visées à l'article 3. Il est réparti entre les producteurs qui ont contribué au dépassement. (...) ". Aux termes de l'article 3 : " La somme des quantités de référence individuelles de même nature ne peut dépasser les quantités globales correspondantes à déterminer pour chaque état membre. (...) ". Aux termes du préambule du règlement (CE) n° 1392/2001 de la Commission portant modalités d'application du règlement (CEE) n° 3950/92 du Conseil établissant un prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers : " (...) (5) Afin d'assurer le bon fonctionnement du régime, il est indispensable, d'une part, de contrôler l'exactitude des données communiquées par les acheteurs ou les producteurs ainsi que le paiement avant le 1er septembre des sommes dues au titre du prélèvement et d'autre part, de répercuter effectivement le prélèvement sur les producteurs responsables du dépassement des quantités de références nationales. (...) ".
10. Il ressort des pièces du dossier que la laiterie Alsace Lait s'approvisionne depuis 2008 auprès de la SCEA Olferding, producteur de lait. Jusqu'au 30 décembre 2007, la SCEA Olferding approvisionnait la société Unicoolait. En qualité d'acheteur, la société Unicoolait avait été déclarée, le 8 novembre 2006, par l'Office national interprofessionnel de l'élevage et de ses productions, redevable du prélèvement supplémentaire prévu à l'article 1er du règlement (CEE) n° 3950/92 susvisé pour un montant de 120 951,15 euros au titre de la campagne 2003/2004 pour s'être approvisionnée auprès de la SCEA Olferding, laquelle avait dépassé ses quantités de références de producteur laitier et ne s'était pas acquittée du prélèvement correspondant auprès de l'acheteur précédent. Le 8 novembre 2006, le directeur de l'Office national interprofessionnel de l'élevage et des productions avait rendu la société Unicoolait débitrice de la somme de 120 951,15 euros au titre d'un prélèvement supplémentaire pour la campagne 2003/2004. Par un jugement du 4 décembre 2008, le tribunal administratif de Strasbourg avait confirmé la légalité dudit état. Le 20 juin 2011, FranceAgriMer a demandé à la société Alsace Lait de s'acquitter du prélèvement en cause. Devant le refus de celle-ci et après mise en demeure, FranceAgriMer a émis le 8 mars 2012 l'état exécutoire litigieux, d'un montant de 120 951,15 euros.
11. Il résulte des dispositions précitées que le mécanisme de prélèvement supplémentaire, mis à la charge des producteurs ou des acheteurs de lait en cas de dépassement des quantités individuelles n'est pas conditionné par le dépassement des quantités de référence globales attribuées à un état membre, dès lors que la répartition des excès de quotas laitiers entre les redevables relève des politiques des états membres et est indépendante des excédents nationaux. Par suite, c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la France ne pouvait opérer des prélèvements pour dépassement de quota sur les producteurs alors qu'elle n'était pas en dépassement de quota. L'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer est par suite fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Strasbourg.
12. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Alsace Lait tant en première instance qu'en appel.
Sur les conclusions tendant à l'annulation du titre exécutoire du 8 mars 2012 :
13. En premier lieu, la société Alsace Lait soutient que le titre exécutoire n'est pas suffisamment motivé et qu'il vise à tort l'article 25 de la loi du 30 décembre 2005.
14. L'établissement de ce prélèvement, qui ne revêt pas le caractère d'une sanction, n'est pas au nombre des décisions qui doivent être motivées en application des dispositions de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation et de l'erreur de visa du titre exécutoire doit être écarté.
15. En deuxième lieu, la société Alsace Lait soutient que l'état exécutoire du 8 mars 2012 n'indique pas les bases de la liquidation en méconnaissance de l'article 81 du décret du 29 décembre 1992.
16. Un état exécutoire doit indiquer les bases de liquidation de la dette, alors même qu'il est émis par une personne publique autre que l'Etat, pour lequel cette obligation est expressément prévue par l'article 81 du décret du 29 décembre 1962. En application de ce principe, FranceAgriMer ne peut mettre en recouvrement un prélèvement supplémentaire sans indiquer, soit dans le titre lui même, soit par référence à un document joint à l'état exécutoire ou précédemment adressé au débiteur, les bases et les éléments de calcul sur lesquels il se fonde pour mettre les sommes en cause à la charge des redevables.
17. FranceAgriMer fait valoir que les bases de la liquidation de la dette de la société ont été portés à la connaissance de celle-ci par les différents courriers échangés ainsi que par une correspondance du 20 juin 2011.
18. L'état exécutoire contesté vise la notification de prélèvement de fin de campagne en date du 25 mai 2011, adressée à la société Alsace Lait, l'informant de la somme mise à sa charge pour la campagne 2003/2004, pour un montant de 120 951,15 euros. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que cette notification, qui comportait les bases et les éléments de calcul, a bien été adressée à la société par courrier recommandé avec accusé de réception le 20 juin 2011. Enfin, FranceAgriMer a adressé à la société intéressée une mise en demeure de payer avant poursuite le 21 octobre 2011. Par suite, l'état exécutoire contesté ne méconnait pas, contrairement à ce que soutient la société Alsace Lait, les dispositions de l'article 81 du décret du 29 décembre 1962.
19. En troisième lieu, la société Alsace Lait soutient que le principe du contradictoire n'a pas été respecté.
20. Il ressort des échanges de courrier entre la société Alsace Lait et FranceAgrimer que la société a contesté être redevable des sommes en litige et que FranceAgrimer a maintenu sa demande. Par suite, la société ne peut utilement soutenir que le principe du contradictoire n'a pas été respecté.
21. Il résulte de tout ce qui précède que FranceAgriMer est fondé à soutenir que c'est à tort, que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'état exécutoire du 8 mars 2012 et a déchargé la société Alsace Lait de la somme de 120 951,15 euros.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
22. En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de la société Alsace Lait une somme de 1 500 euros à verser à FranceAgriMer au titre des frais qu'il a exposés pour sa défense. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de FranceAgriMer, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société Alsace Lait au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.
Article 2 : La demande de la société Alsace Lait est rejetée.
Article 3 : La société Alsace Lait versera à FranceAgriMer une somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) et à la société SCA Alsace Lait.
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N° 15NC01623