Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 14 novembre 2014, 17 février 2015, 2 juin 2015, 15 septembre 2015 et 5 février 2016, Mme B... et M. C..., agissant en leur nom propre et en qualité d'ayants droit de leur fille Emma, représentés par Me Behr, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy du 18 septembre 2014 ;
2°) de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Nancy à leur verser la somme de 200 000 euros en réparation des souffrances physiques et morales subies par leur fille, ainsi que la somme de 100 000 euros à chacun en réparation de leur préjudice moral ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Nancy la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'équipe médicale de la maternité régionale universitaire de Nancy a pratiqué sur leur fille, entre le 21 septembre 2003 et le 24 février 2004, des gestes et des actes de réanimation agressive qui traduisent une obstination déraisonnable et ont eu pour conséquence d'infliger à leur enfant des souffrances inutiles ;
- les médecins de la maternité régionale universitaire de Nancy ont manqué à leurs devoirs en ne leur donnant pas une information complète sur l'état de santé de leur fille, sur les risques de séquelles neurologiques et en ne recueillant pas leur consentement éclairé avant de pratiquer sur leur fille toute une série d'actes et de traitements, notamment des réanimations agressives ; ils n'ont pas non plus reçu d'information sur les risques liés aux médicaments expérimentaux administrés à leur fille ;
- du jour de sa naissance jusqu'à son décès, leur fille, polyhandicapée et totalement dépendante, a enduré, du fait des multiples soins, traitements et hospitalisations nécessités par son état de santé, des souffrances physiques et morales très importantes qui doivent être réparées par le versement d'une indemnité de 200 000 euros ;
- ils ont également subi un préjudice moral, résultant de l'anxiété générée par l'état de santé de leur fille et la lourdeur de son handicap et de l'abandon de tout projet d'avoir un nouvel enfant, qui doit être réparé par le versement à chacun d'une indemnité de 100 000 euros.
Par un mémoire, enregistré le 31 décembre 2014, la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle, représentée par Me Fort, indique s'en remettre à la sagesse de la cour, sollicite que ses droits soient réservés et demande que l'arrêt lui soit déclaré commun.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 25 mars 2015, 10 juillet 2015, 16 novembre 2015 et 31 mai 2016, le centre hospitalier régional universitaire de Nancy, venant aux droits et obligations de la maternité régionale universitaire de Nancy, représenté par Me Dubois, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que la maternité régionale universitaire de Nancy n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dhiver,
- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,
- les observations de Me Behr, avocat de Mme B... et M. C...,
- les observations de Me Fort, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle,
- et les observations de Me Dubois, avocat du centre hospitalier régional universitaire de Nancy.
1. Considérant que MmeB..., atteinte d'une infection à streptocoque B, a donné naissance à la maternité régionale universitaire de Nancy, le 21 septembre 2003, à une fille prénommée Emma, née grande prématurée à 25 semaines et quatre jours d'aménorrhée avec un poids de 720 grammes ; que l'enfant, née en grande détresse respiratoire et en état de mort apparente, a été ventilée par masque puis intubée ; qu'après avoir récupéré des mouvements respiratoires actifs entre quatre et cinq minutes de vie, elle a été transférée dans l'unité de réanimation néonatale de la maternité où elle a été placée en ventilation assistée avec un traitement antibiotique ; que, par la suite, l'enfant a présenté une complication respiratoire qui l'a conduite à multiplier les malaises respiratoires, associés à des épisodes d'apnée-bradycardie augmentant en fréquence et en gravité, qui ont nécessité des réanimations intensives pratiquées de façon répétées ; que, lors d'un entretien qui s'est tenu le 29 janvier 2004 avec le chef du service de réanimation néonatale de l'établissement hospitalier, les parents, Mme B...et M.C..., ont été informés de ce que leur fille présentait une atteinte cérébrale mettant en jeu son pronostic vital et que l'équipe médicale se trouvait face à une " impasse thérapeutique " ; que la sédation analgésique envisagée lors de cet entretien n'a pas été mise en place ; que l'enfant a été transférée le 24 février 2004 au centre hospitalier universitaire de Nancy qu'elle a quitté le 9 juin 2004 ; que très lourdement handicapée par un retard neuro-psychomoteur majeur entraînant une absence totale d'autonomie, une surdité subtotale, une atteinte de la vision et une atteinte respiratoire, l'enfant est décédée le 16 mars 2010 à l'âge de six ans ;
2. Considérant qu'à la suite d'une plainte déposée par les requérants, dénonçant les traitements réservés à leur fille lors de son séjour à la maternité régionale universitaire de Nancy, une information judiciaire pour blessures involontaires a été ouverte le 4 janvier 2006 ; que deux expertises ont été ordonnées dans le cadre de cette procédure, les experts ayant rendu leurs rapports en juin 2008 et février 2009 ; que le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Nancy a rendu une ordonnance de non-lieu le 13 janvier 2010, confirmée par la chambre d'instruction de la cour d'appel de Nancy le 16 septembre 2010, puis par la Cour de cassation le 6 septembre 2011 ; que Mme B...et M.C..., agissant en leur nom propre et en qualité d'ayants droit de leur enfant décédée, ont saisi le tribunal administratif de Nancy en lui demandant de condamner la maternité régionale universitaire de Nancy, aux droits et obligations de laquelle vient le centre hospitalier régional universitaire de Nancy, à réparer les préjudices subis par eux-mêmes et par leur fille du fait des agissements de l'établissement hospitalier ; qu'ils relèvent appel du jugement du 18 septembre 2014 par lequel ce tribunal a rejeté leur demande ;
Sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle tendant à ce que l'arrêt lui soit déclaré commun :
3. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " (...) L'intéressé ou ses ayants droit doivent indiquer, en tout état de la procédure, la qualité d'assuré social de la victime de l'accident ainsi que les caisses de sécurité sociale auxquelles celle-ci est ou était affiliée pour les divers risques. Ils doivent appeler ces caisses en déclaration de jugement commun ou réciproquement. A défaut du respect de l'une de ces obligations, la nullité du jugement sur le fond pourra être demandée pendant deux ans, à compter de la date à partir de laquelle ledit jugement est devenu définitif, soit à la requête du ministère public, soit à la demande des caisses de sécurité sociale intéressées ou du tiers responsable, lorsque ces derniers y auront intérêt (...) " ; qu'il résulte des termes mêmes de ces dispositions que la caisse doit être appelée en déclaration de jugement commun dans l'instance ouverte par la victime contre le tiers responsable, le juge étant, le cas échéant, tenu de mettre en cause d'office la caisse si elle n'a pas été appelée en déclaration de jugement commun ; que les conclusions tendant à ce que la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle soit appelée en déclaration d'arrêt commun doivent dès lors être accueillies ; que celle-ci a été régulièrement mise en cause et a produit dans la présente instance ;
Sur la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Nancy :
En ce qui concerne l'existence d'une faute liée à une obstination déraisonnable :
4. Considérant qu'aux termes de l'article 9 du décret du 6 septembre 1995 portant code de déontologie médicale en vigueur à la date des faits, désormais codifié à l'article R. 4127-9 du code de la santé publique : " Tout médecin qui se trouve en présence d'un malade ou d'un blessé en péril ou, informé qu'un malade ou un blessé est en péril, doit lui porter assistance ou s'assurer qu'il reçoit les soins nécessaires " ; qu'aux termes de son article 37, codifié depuis à l'article R. 4127-37 du même code, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " En toutes circonstances, le médecin doit s'efforcer de soulager les souffrances de son malade, l'assister moralement et éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique " ; qu'il résulte de ces dispositions que toute personne doit recevoir les soins les plus appropriés à son état de santé, sans que les actes de prévention, d'investigation et de soins qui sont pratiqués lui fassent courir des risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté ; que ces actes ne doivent toutefois pas être poursuivis par une obstination déraisonnable et qu'ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris lorsqu'ils apparaissent inutiles ou disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, que le patient soit ou non en fin de vie ;
5. Considérant que Mme B...et M. C...soutiennent que les actes et gestes de réanimation pratiqués sur leur fille entre le 21 septembre 2003 et le 24 février 2004 par les médecins de la maternité régionale universitaire de Nancy, qui ont eu pour conséquence d'infliger à celle-ci des souffrances inutiles, ont été poursuivis par une obstination déraisonnable alors même qu'ils avaient précisé, avant la naissance de leur enfant, qu'ils ne souhaitaient pas qu'elle fasse l'objet d'un " acharnement thérapeutique " ;
6. Considérant, d'une part, qu'il ressort des résultats d'une étude conduite par l'INSERM figurant dans le rapport du premier expert désigné dans le cadre de la procédure pénale, que le taux de survie des enfants nés prématurés à 25 semaines est de 60 % avec un pourcentage de séquelles lourdes de 5 % et modérées de 9 % ; que l'expert cite les résultats d'une autre étude selon laquelle 70 % des filles nées à un âge post menstruel de 25 semaines ne présentent, à l'âge de six ans, aucune infirmité ou une infirmité légère ; qu'il ressort également d'une autre enquête sur les naissances prématurées conduite dans les pays européens, citée par le second expert, que la pratique généralement admise en Europe occidentale est de réanimer les enfants nés à 25 semaines ; qu'eu égard à l'ensemble de ces données et alors que les médecins n'étaient pas en mesure d'évaluer à la naissance la prévisibilité des séquelles de l'enfant de Mme B...et M.C..., née prématurément à 25 semaines et quatre jours, ils n'ont pas fait preuve d'une obstination déraisonnable en décidant de la réanimer à sa naissance, le 21 septembre 2003 ;
7. Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction, et notamment des rapports des deux experts, que l'enfant a présenté des complications respiratoires à partir de son dixième jour de vie ; qu'elle a en effet été atteinte d'une dysplasie broncho-pulmonaire, complication respiratoire fréquente chez les prématurés ventilés artificiellement qui, selon les experts, a été certainement liée à une infection materno-foetale à ureaplasma urealyticum mise en évidence le 1er octobre 2003 ; que cette complication respiratoire a eu pour conséquence une dépendance à l'oxygène importante avec la nécessité d'une assistance respiratoire par machine, une hypercapnie chronique importante ainsi que des accès de bronchospasme et des arrêts respiratoires ; que l'enfant est restée sous respiration artificielle jusqu'au 20 octobre 2003 puis a dû être de nouveau intubée à deux reprises, du 30 octobre au 7 novembre 2003 puis du 19 au 26 décembre 2003 ; qu'elle a par ailleurs présenté de nombreux épisodes de ralentissement du rythme des battements cardiaques ; qu'il ressort des explications des experts que les bradycardies sont un phénomène relativement fréquent chez les enfants très prématurés et sont liées à leur immaturité ; qu'en l'espèce, ces épisodes, qui sont apparus au début du mois d'octobre 2003, se sont accrus en fréquence et en gravité, mettant en jeu, pour certains, le pronostic vital et nécessitant des manoeuvres de réanimation intensive ; que, selon les experts, ces malaises cardiaques sont devenus particulièrement inquiétants à partir de décembre 2003, alors que l'enfant approchait du terme théorique ;
8. Considérant que, dans le même temps, les médecins ont constaté un retard du développement neuro psychomoteur de l'enfant ; que, sur ce point, il ressort des deux expertises que l'évaluation clinique du développement neurologique de l'enfant a été rendue très difficile au cours des premiers mois par le traitement analgésique et sédatif qui lui était appliqué lorsqu'elle était intubée et par les techniques d'assistance respiratoire lorsqu'elle était autonome ; que ce n'est qu'au milieu du mois de décembre 2003 que les premiers éléments franchement péjoratifs ont été relevés et fin décembre au plus tôt, au terme corrigé, que les éléments de pronostic ont pu être rassemblés ;
9. Considérant qu'eu égard à l'ensemble de ces éléments, et alors même que le risque de dégradation neurologique existait du fait de la naissance très prématurée, de prémices de retard de développement et des multiples complications qui se sont succédées, que les médecins n'ont pu disposer de suffisamment d'éléments cliniques et paracliniques pour s'interroger sur le caractère raisonnable d'une poursuite des réanimations qu'à partir, au plus tôt, de la fin du mois de décembre 2003 ou au début du mois de janvier 2004 ; que, dans ces conditions, le médecin de la maternité régionale universitaire de Nancy n'a pas commis de faute en attendant le 29 janvier 2004 pour faire part à Mme B...et M. C...de la situation d'échec thérapeutique dans laquelle l'équipe médicale se trouvait et en leur proposant de mettre en place une sédation analgésique de leur enfant ;
10. Considérant, enfin, qu'il résulte de l'instruction que Mme B...et M. C...n'ont pas été en mesure, à l'issue de l'entretien du 29 janvier 2004, de donner une réponse à la proposition qui leur avait été faite en ce sens ; qu'ils n'ont pas pu répondre lorsqu'ils ont à nouveau été sollicités les 11 et 18 février 2004 ; qu'en poursuivant les soins et en maintenant leur enfant en vie jusqu'à son départ du service le 24 février 2004, les médecins de la maternité régionale universitaire de Nancy n'ont pas commis de faute dès lors qu'ils ne disposaient d'aucune indication des parents leur permettant d'envisager de cesser le processus de réanimation lourde engagé ;
En ce qui concerne l'obligation d'information :
11. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser / (...) Les droits des mineurs ou des majeurs sous tutelle mentionnés au présent article sont exercés, selon les cas, par les titulaires de l'autorité parentale ou par le tuteur. Ceux-ci reçoivent l'information prévue par le présent article, sous réserve des dispositions de l'article L. 1111-5 (...) / En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. " ; qu'aux termes de l'article L. 1111-4 du même code : " (...) / Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. / Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté. / Le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. (...) " ;
12. Considérant qu'un manquement des médecins à leur obligation d'information engage la responsabilité de l'hôpital dans la mesure où il a privé le patient d'une chance de se soustraire au risque lié à l'intervention ou aux traitements en refusant qu'ils soient pratiqués ; que c'est seulement dans le cas où l'intervention ou les traitements étaient impérieusement requis, en sorte que le patient ou, s'agissant d'un mineur, ses parents ne disposaient d'aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent écarter l'existence d'une perte de chance ;
13. Considérant que, lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que, si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les médecins de leur obligation ;
Quant au défaut d'information relatif à l'utilisation de certains médicaments :
14. Considérant que Mme B...et M. C...reprochent à la maternité régionale universitaire de Nancy de ne pas les avoir informés des risques liés à l'utilisation de certains médicaments et substances, tels notamment que l'Ibuprofen Pedea, le monoxyde d'azote inhalé et le diphémanil méthylsulfate ; qu'ils ne font toutefois état d'aucun risque lié à ces traitements qui se serait réalisé ; que si les antibiotiques Vancomycine et Amiklin présentent un risque de toxicité auditive, il résulte de l'instruction, notamment du rapport du premier expert, que l'existence d'un lien de causalité direct entre l'utilisation de ces médicaments et la surdité de l'enfant n'est pas établie ; qu'au demeurant, à supposer même que les requérants n'aient pas reçu toute l'information sur les effets indésirables des médicaments administrés à leur fille, il ressort des explications des experts qu'il n'existait pas d'alternative thérapeutique pour traiter les différentes complications auxquelles l'équipe médicale de la maternité régionale universitaire de Nancy a été confrontée ;
Quant au défaut d'information relatif à l'état de santé de l'enfant et aux soins apportés :
15. Considérant que Mme B...et M. C...soutiennent que ce n'est que le 29 janvier 2004, en même temps qu'il leur a été demandé de se prononcer sur la mise en place d'une sédation analgésique de leur fille, qu'ils ont reçu une information complète sur la gravité de son état ; qu'ils soulignent que le caractère parcellaire des explications qui leur avaient été données jusqu'alors les a privés de la possibilité de donner leur consentement aux soins et actes pratiqués sur leur enfant, notamment aux gestes répétés de réanimation ;
16. Considérant cependant qu'il résulte de l'instruction que Mme B...et M. C... ont, avant l'entretien du 29 janvier 2004 avec le chef du service de réanimation néonatale de la maternité régionale universitaire de Nancy, rencontré à treize reprises les médecins du service ; qu'à l'occasion de ces rencontres, qui ont parfois été informelles, ainsi que lors de leurs visites quotidiennes dans le service, ils ont été régulièrement informés de l'évolution de l'état de leur fille, de sa dégradation progressive et des traitements entrepris ; qu'ils ont été informés des réanimations pratiquées sur leur enfant auxquelles ils ont d'ailleurs assisté à plusieurs reprises ;
17. Considérant que si Mme B...et M. C...font en outre valoir que ce n'est que le 22 janvier 2004 qu'ils ont signé l'autorisation de prise en charge de leur fille, les médecins n'ont, en tout état de cause, pas commis de faute en réalisant, avant cette date, des manoeuvres de réanimation dès lors que celles-ci, accomplies dans le seul but de sauver l'enfant, étaient indispensables à sa survie et, compte tenu de ce qui a été dit aux points 7 à 9, n'étaient pas disproportionnées à son état ;
18. Mais considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des études citées au point 5 du présent arrêt, que la naissance prématurée d'un enfant comporte le risque d'un handicap psychomoteur ; que, ainsi qu'il ressort des expertises, les différentes complications respiratoires et cardiaques dont l'enfant de Mme B...et M. C...a été atteinte ont accru ce risque ; que les médecins de la maternité régionale universitaire de Nancy devaient informer les parents de l'existence d'un tel risque, qui était connu ; que le second expert indique dans son rapport : " avant le 14 janvier [2004], il semble, à la lecture des rapports [des] entretiens, n'avoir jamais été clairement évoqué avec [les parents] la crainte d'une dégradation neurologique de leur fille, simplement l'accent a été mis sur ses grandes difficultés respiratoires " ; que si l'autre expert mentionne que les médecins " ont clairement exposé leurs inquiétudes quant au devenir neuro-développemental d'Emma ", il ne donne aucune précision quant au moment auquel cette information aurait été délivrée ; qu'il résulte de l'instruction que si les parents ont reçu avant la naissance des explications sur les difficultés d'une naissance prématurée, ils n'ont pas eu d'information sur le risque d'une atteinte neurologique, ni avant ni après la naissance ; qu'ils n'ont pas davantage eu cette information lorsque, au début du mois d'octobre, la complication respiratoire s'est manifestée ; que ce n'est que le 19 novembre 2003, au plus tôt, que l'existence d'un tel risque a pu être évoquée sans que la retranscription de l'entretien permette de connaître les termes dans lesquels le sujet a été abordé ; que, alors même que la situation devenait inquiétante au début du mois de décembre 2003, Mme B...et M. C...n'ont reçu aucune nouvelle explication ; que ce n'est avec certitude que le 14 janvier 2004 que les parents ont été informés de l'existence d'un retard psychomoteur ;
19. Considérant que si Mme B...et M. C...n'ont pas reçu une information adéquate et suffisante sur les risques d'une atteinte neurologique de leur enfant, la réalisation de ce risque, sans lien avec les gestes de réanimation ainsi qu'il ressort de la première expertise, ne pouvait être évitée ; que, alors même que l'enfant a souffert d'un handicap psychomoteur majeur, il ressort de ce qui a été dit aux points 6 à 10 du présent arrêt que les soins qui lui ont été apportés ne sont pas la traduction d'une obstination déraisonnable ; qu'ainsi, la faute commise par la maternité régionale universitaire de Nancy n'a pas entraîné de perte de chance de soustraire l'enfant au risque qui s'est réalisé ; qu'aucune indemnisation n'est, par conséquent, due à ce titre ;
Quant au préjudice d'impréparation des parents :
20. Considérant qu'indépendamment de la perte d'une chance de refuser des soins, le manquement des médecins à leur obligation d'informer Mme B...et M. C...des risques neurologiques encourus par leur enfant leur ouvre, dès lors que ces risques se sont réalisés, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'ils ont subis du fait de n'avoir pu se préparer à cette éventualité ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice résultant des souffrances morales qu'ils ont endurées en leur allouant à chacun une somme de 50 000 euros ;
21. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme B... et M. C... sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté la demande présentée en leur nom propre ; que le centre hospitalier régional universitaire de Nancy, venant aux droits de la maternité régionale universitaire de Nancy, doit être condamné à verser à chacun des requérants une somme de 50 000 euros ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
22. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Nancy le versement de la somme de 2 500 euros au titre des frais exposés ensemble par Mme B... et M. C... et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le présent arrêt est déclaré commun à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle.
Article 2 : Le jugement n° 1300091 du 18 septembre 2014 du tribunal administratif de Nancy est annulé en tant qu'il a rejeté la demande présentée par Mme B...et M. C...en leur nom propre.
Article 3 : Le centre hospitalier régional universitaire de Nancy est condamné à verser à Mme B... et M. C... chacun une somme de 50 000 (cinquante mille) euros.
Article 4 : Le centre hospitalier régional universitaire de Nancy versera à Mme B... et M. C... ensemble une somme de 2 500 (deux mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... et M. C... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...B..., à M. A... C..., au centre hospitalier régional universitaire de Nancy et à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle.
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N° 14NC02090