Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 25 juillet et 9 septembre 2016, 23 janvier et 18 juillet 2017 et 6 mars 2018 le centre hospitalier de Saint-Brieuc, représenté par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 4 mai 2016 ;
2°) de rejeter la demande présentée par la CPAM des Côtes d'Armor.
Il soutient que :
- le jugement n'est pas suffisamment motivé ;
- le taux de déficit permanent dont reste atteinte Mme G...à la suite de l'infection nosocomiale est nécessairement supérieur à 25% compte tenu des troubles très importants qu'elle subit, ce qui justifie que son préjudice soit pris en charge par la solidarité nationale ; certains examens neurologiques étaient nécessaires pour évaluer précisément les séquelles directement imputables à la méningite infectieuse, qui n'ont pas été réalisés ; si besoin il faudrait ordonner une expertise complémentaire ; le rapport du DrC..., qui a participé aux opérations d'expertise en tant que médecin conseil du centre hospitalier, doit à cet égard être pris en compte;
- seules la perte de revenus et l'incidence professionnelle générés par l'infection nosocomiale peuvent faire l'objet d'un recours subrogatoire et non l'intégralité de la pension d'invalidité servie à l'assurée ; il ne ressort pas des éléments produits que MmeG..., qui, selon le rapport d'expertise, n'était pas en activité au moment des faits, aurait subi une perte de revenu ou un préjudice professionnel en lien avec l'infection nosocomiale, alors notamment que la pension d'invalidité n'a été versée qu'à compter du 1er décembre 2011, soit près de 3 ans après la consolidation de son état, fixée au 15 avril 2009, et que l'intéressée souffre de troubles psychiques ;
- les juges de première instance ne pouvaient pas ordonner la capitalisation des frais de santé futurs alors qu'il n'avait pas donné son accord sur cette modalité ; en outre il n'est pas établi que Mme G...suive effectivement deux séances de kinésithérapie par semaine, et l'imputabilité à l'infection nosocomiale des frais médicaux réclamés pour la période du 4 mai 2016 au 6 décembre 2017 n'est pas certifiée par le médecin conseil ;
- la caisse ne justifie pas de la nature ni de la cause des frais hospitalier qui auraient été engagés pour la période du 25 mars au 2 avril 2009.
Par un mémoire enregistré le 21 mars 2017 la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Côtes d'Armor, représentée par MeD..., conclut au rejet de la requête du centre hospitalier de Saint-Brieuc et demande à la cour de mettre à la charge de ce dernier la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens invoqués par le centre hospitalier de Saint-Brieuc ne sont pas fondés.
Par un courrier enregistré le 24 mars 2017, Mme A...G...informe la cour qu'elle ne souhaite pas intervenir dans l'instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Le Bris,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- les observations de MeB..., substituant MeE..., représentant le centre hospitalier de Saint-Brieuc et de MeD..., représentant la CPAM des Côtes d'Armor.
1. Considérant que MmeG..., née en 1971, souffre depuis 1995 de lombosciatalgies invalidantes ; qu'après avoir subi les 29 et 31 octobre 2008 des infiltrations épidurales au centre hospitalier de Saint-Brieuc, elle a été victime d'une méningite à staphylocoque doré, dont elle a guéri malgré plusieurs rechutes, mais dont elle a conservé des séquelles ; qu'elle a saisi le 30 juin 2009 la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CRCI) de Bretagne, qui a ordonné une expertise confiée à un médecin hygiéniste et à un neurologue ; que les experts ont déposé leur rapport le 3 novembre 2011 ; que, par un avis du 26 janvier 2012, la CRCI a conclu au caractère nosocomial de l'infection ainsi qu'à l'absence de faute du centre hospitalier, et a retenu un taux de déficit fonctionnel permanent imputable à l'infection de 25%, conformément au rapport d'expertise ; que le centre hospitalier de Saint-Brieuc relève appel du jugement du 4 mai 2016 par lequel le tribunal administratif de Rennes l'a condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Côtes d'Armor la somme de 217 469,34 euros en remboursement des débours exposés par elle à raison de l'infection dont a été victime Mme G..., ainsi que la somme de 1 047 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
Sur la responsabilité du centre hospitalier de Saint-Brieuc :
2. Considérant qu'aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 1142-1-1 du même code : " Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que lorsque le taux de déficit fonctionnel permanent résultant d'une infection nosocomiale est au plus égal à 25%, l'établissement hospitalier qui en est reconnu comme responsable doit indemniser intégralement le dommage de la victime et, le cas échéant, les tiers payeurs subrogés dans ses droits des préjudices qui ont résulté directement de cette infection ;
3. Considérant, d'une part, que les experts ont estimé que la méningite infectieuse dont a été atteinte Mme G...était la conséquence de l'infiltration qu'elle avait subie le 31 octobre 2008 ; que le centre hospitalier de Saint-Brieuc, qui n'invoque pas l'existence d'une cause étrangère, ne conteste pas l'existence de cette infection nosocomiale ;
4. Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que Mme G...présentait, après la consolidation de son état fixée au 15 avril 2009, des troubles sphinctériens, un syndrome déficitaire du membre inférieur gauche et des déficiences cognitives ; que si les experts n'ont pas obtenu la communication d'une évaluation cognitive et neuropsychique de la patiente qu'ils avaient évoquée au cours des opérations d'expertise, ils se sont néanmoins estimés suffisamment informés pour conclure à l'absence d'imputabilité à la méningite des troubles psychologiques de la patiente, ; que, par suite, il n'y a pas lieu d'ordonner un complément d'expertise sur ce point ; qu'en outre, si les experts ont imputé les troubles sphinctériens de la patiente dans leur ensemble à l'infection, ils ont également estimé que les troubles moteurs affectant sa jambe gauche étaient majorés par une " composante psychopathologique " sans lien avec la méningite ; que le DrC..., médecin conseil du centre hospitalier de Saint-Brieuc, qui propose une évaluation du déficit fonctionnel permanent située entre 30 et 35%, ne tient pas compte de cette composante psychopathologique des troubles, dont il ne conteste cependant pas qu'ils sont sans lien direct avec l'infection nosocomiale ; que, par suite, il n'apparaît pas que les experts auraient, comme le soutient le centre hospitalier, sous-évalué le taux de déficit fonctionnel de Mme G...résultant directement de l'infection en le fixant à 25% ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que les premiers juges ont condamné le centre hospitalier de Saint-Brieuc à prendre en charge les conséquences de l'infection nosocomiale contractée par MmeG... ;
Sur les droits de la CPAM des Côtes d'Armor :
6. Considérant, en premier lieu, que la CPAM des Côtes d'Armor justifie avoir engagé à raison de la prise en charge de l'infection nosocomiale dont a été victime Mme G...une somme de 93 684,73 euros au titre de frais hospitaliers pour la période du 4 novembre 2008 au 15 avril 2009, une somme de 8 343,36 euros au titre de frais médicaux, constitués essentiellement de séances de kinésithérapie, jusqu'au 6 décembre 2017, une somme de 45,02 euros au titre de frais pharmaceutique le 4 avril 2009, une somme de 395,57 euros entre le 12 novembre 2008 et le 30 mars 2009 au titre de frais d'appareillage, ainsi qu'une somme de 1 131,80 euros entre le 28 novembre 2008 et le 2 avril 2009 au titre de frais de transports ; que la réalité et l'imputabilité de ces frais sont attestées par le médecin conseil de la caisse ; que si le centre hospitalier de Saint-Brieuc fait valoir, s'agissant des frais hospitalier, que certaines des sommes relatives aux frais d'hospitalisation concernent, en mars 2009 des périodes qui se chevauchent (19 502,79 euros du 24 février au 25 mars 2009 et 1 151,73 euros du 23 au 26 mars 2009), il ressort du décompte produit par la CPAM que Mme G...a pu recevoir certains jours des soins au centre hospitalier de Saint-Brieuc et au centre hélio marin Lannion ; qu'en outre, la période d'hospitalisation au centre hospitalier universitaire de Rennes du 26 mars au 2 avril 2009 correspond à un épisode d'aggravation de l'état de santé de la patiente relevé dans le rapport d'expertise ; que, par suite, le centre hospitalier de Saint-Brieuc doit supporter la charge définitive de l'ensemble de ces frais ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que, s'agissant des dépenses de santé futures, les experts ont estimé que Mme G...aurait besoin d'une à deux séances de kinésithérapie par semaine après la consolidation de son état ; qu'eu égard aux dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale qui limitent le recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale à l'encontre du responsable d'un accident corporel aux préjudices qu'elles ont pris en charge, le remboursement des prestations qu'une caisse sera amenée à verser à l'avenir, de manière certaine, prend normalement la forme du versement d'une rente et ne peut être mis à la charge de l'auteur responsable sous la forme du versement immédiat d'un capital représentatif qu'avec l'accord de ce dernier ; que le centre hospitalier de Saint-Brieuc fait valoir à juste titre qu'il n'a pas donné son consentement à une telle modalité de versement ; que, par suite, il est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes l'a condamné à verser à la CPAM des Côtes d'Armor un capital de 42 726,83 euros au titre des dépenses de santé futures ; que, par suite, le centre hospitalier de Saint-Brieuc doit seulement être condamné à rembourser à la caisse, à échéance annuelle et sur justificatifs, les dépenses de santé postérieures au 6 décembre 2017 qu'elle aura engagées à raison des séances de kinésithérapie effectivement suivies par Mme G... ;
8. Considérant, en troisième et dernier lieu, qu'aux termes de l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale : " L'assuré a droit à une pension d'invalidité lorsqu'il présente une invalidité réduisant, dans des proportions déterminées, sa capacité de travail ou de gain, c'est-à-dire le mettant hors d'état de se procurer, dans une profession quelconque, un salaire supérieur à une fraction de la rémunération normale perçue dans la même région par des travailleurs de la même catégorie, dans la profession qu'il exerçait avant la date de l'interruption de travail suivie d'invalidité ou la date de la constatation médicale de l'invalidité si celle-ci résulte de l'usure prématurée de l'organisme " ; qu'eu égard à la finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail qui lui est assignée par ces dispositions législatives et à son mode de calcul, en fonction du salaire, fixé par l'article R. 341-4 du code de la sécurité sociale, la pension d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de revenus professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité ; que, dès lors, le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une pension d'invalidité ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice ;
9. Considérant qu'il appartient au juge, pour évaluer les droits de l'organisme versant une pension d'invalidité, de déterminer, en premier lieu, si l'incapacité permanente conservée par la victime a entraîné des pertes de revenus professionnels et une incidence professionnelle et, dans l'affirmative, d'évaluer ces postes de préjudice sans tenir compte, à ce stade, du fait qu'ils donnent lieu au versement d'une pension d'invalidité ; que les droits à indemnisation de cet organisme ne peuvent excéder, en tout état de cause, le montant cumulé de ces deux postes de préjudices ;
10. Considérant qu'il résulte du rapport d'expertise que MmeG..., qui était sans activité professionnelle au moment des faits, n'a pas subi de perte de gains professionnels mais que le déficit fonctionnel permanent imputable à l'infection dont elle reste atteinte est susceptible d'avoir une incidence sur sa vie professionnelle future dès lors qu'elle devra bénéficier d'aménagements de poste tenant compte de ses troubles moteurs et sphinctériens ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en l'évaluant à la somme de 18 000 euros ; que, par suite, la somme de 73 056,43 euros que le centre hospitalier de Saint-Brieuc a été condamné à verser à la CPAM des Côtes d'Armor au titre de la pension d'invalidité versée à Mme G...doit être ramenée à la seule somme de 18 000 euros ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la somme de 218 516,34 euros que le centre hospitalier universitaire de Saint-Brieuc a été condamné à verser à la CPAM des Côtes d'Armor par le jugement du tribunal administratif de Rennes du 4 mai 2016, qui est suffisamment motivé, doit être ramenée à 129 076,54 euros, incluant l'indemnité forfaitaire de gestion, à laquelle s'ajouteront, à échéance annuelle et sur justificatifs, les dépenses de santé engagées par la caisse postérieurement au 6 décembre 2017 à raison des séances de kinésithérapie suivies par Mme G... ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Saint-Brieuc, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la CPAM des Côtes d'Armor demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 218 516,34 euros que le centre hospitalier universitaire de Saint-Brieuc a été condamné à verser à la CPAM des Côtes d'Armor est ramenée à 129 076,54 euros.
Article 2 : Le centre hospitalier universitaire de Saint-Brieuc est condamné à rembourser à la CPAM des Côtes d'Armor, à échéance annuelle et sur justificatifs, les dépenses de santé postérieures au 6 décembre 2017 que la caisse engagera à raison des séances de kinésithérapie suivies par MmeG....
Article 3 : Le jugement n°1304539 du tribunal administratif de Rennes du 4 mai 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Les conclusions présentées par la CPAM des Côtes d'Armor au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Saint-Brieuc, à la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor et à Mme A...G....
Délibéré après l'audience du 26 avril 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- M. Berthon, premier conseiller,
- Mme Le Bris, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 18 mai 2018.
Le rapporteur,
I. Le BrisLe président,
I. Perrot Le greffier,
M. F...
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°16NT02397