Par une ordonnance n° 394274 du 14 mars 2016, le Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Nantes le jugement de la requête formée le 27 octobre 2015 devant lui par Mme D... et tendant à l'annulation de ce jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 27 octobre 2015, 28 janvier et 16 juin 2016 et 8 février 2018 Mme H...D..., représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 27 août 2015 ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Saint-Malo, au besoin après avoir ordonné une nouvelle expertise, à lui verser la somme de 18 976,25 euros en réparation des préjudices résultant de l'atteinte aux nerf obturateurs et la somme de 82 000 euros en réparation des préjudices résultant de l'atteinte aux nerfs sciatiques ;
3°) de mettre à la charge de l'établissement hospitalier les frais d'expertise ainsi que le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- au cours de l'intervention qu'elle a subie le 22 mars 2011, les deux nerfs obturateurs ont été sectionnés, ce qui est nécessairement le résultat d'une maladresse fautive du chirurgien, et non d'un aléa thérapeutique, ainsi que l'a conclu à tort et sans aucune justification convaincante l'expert désigné par le président du tribunal administratif ;
- l'atteinte sciatique bilatérale dont elle a souffert peu de temps après l'intervention est la conséquence de l'utilisation inadéquate de la technique d'électrocoagulation ;
- elle produit au dossier le rapport du DrA..., chirurgien et expert près de la cour d'appel de Rennes, dont les conclusions contredisent le rapport d'expert sur lequel le tribunal administratif de Rennes s'est fondé pour rejeter sa demande ;
- la cour devra ordonner une expertise afin d'évaluer les préjudices qu'elle a subis du fait de l'atteinte portée aux deux nerfs obturateurs et au nerf sciatique ;
- ses préjudices résultant de la section des nerfs obturateurs peuvent être évalués à la somme totale de 18 976,25 euros ;
- ses préjudices résultant de l'atteinte aux nerfs sciatiques ne peuvent, en l'absence d'une expertise, qu'être évalués provisoirement : elle demande à ce titre une somme de 82 000 euros ;
- à titre subsidiaire, compte tenu des contradictions et des imprécisions que comporte le rapport de l'expert judiciaire, la cour devra ordonner une contre expertise.
Par des mémoires enregistrés les 20 octobre 2016 et 23 février 2018 le centre hospitalier de Saint-Malo, représenté par MeG..., conclut au rejet de la requête de MmeD....
Il soutient que les moyens présentés par la requérante ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine et à la Mutuelle de la fonction publique qui n'ont pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Le Bris,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- les observations de MeC..., substituant MeB..., représentant MmeD..., et de MeF..., substituant MeG..., représentant le centre hospitalier de Saint-Malo.
1. Considérant que MmeD..., née en 1948, s'est vue diagnostiquer un cancer de l'endomètre en février 2011 ; que, pour le traitement de cette pathologie, elle a subi le 22 mars 2011 au centre hospitalier de Saint-Malo une hystérectomie élargie avec curage ganglionnaire bilatéral réalisée sous coelioscopie ; qu'au cours de l'intervention, les deux nerfs obturateurs, qui contrôlent les adducteurs des cuisses ont été sectionnés ; qu'elle a en outre souffert par la suite de douleurs persistantes et de troubles moteurs inexpliqués ; qu'à sa demande une expertise a été ordonnée par le président du tribunal administratif de Rennes et confiée à un gynécologue obstétricien qui s'est adjoint un sapiteur neurologue ; que le rapport d'expertise a été déposé le 31 juillet 2012 ; que, par un jugement du 27 août 2015, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de Mme D...tendant à la condamnation du centre hospitalier de Saint-Malo à l'indemniser de ses préjudices ; que l'intéressée relève appel de ce jugement et demande à la cour de condamner l'établissement hospitalier à lui verser la somme totale de 100 976,25 euros ;
2. Considérant, d'une part, que Mme D...demande la réparation des préjudices qu'elle estime résulter d'une atteinte neurologique bilatérale constatée au niveau de sa vertèbre L5 postérieurement à l'intervention du 22 mars 2011 ; que, cependant, il ressort du rapport d'expertise, et notamment des conclusions du sapiteur neurologue spécifiquement consulté sur ce point, qu'il est " peu probable que cette atteinte soit la conséquence de l'intervention car elle est située loin du champ opératoire et ne comporte aucune caractéristique infectieuse ou hématome pouvant s'inscrire dans une complication de l'intervention " ; qu'en outre, le sapiteur relève qu'il n'a pas trouvé dans la littérature médicale de description d'une lésion de la racine L5 au cours d'une chirurgie pelvienne ; que l'explication proposée par le chirurgien consulté à titre privé par la requérante, selon laquelle cette atteinte aurait pu être provoquée par l'usage excessif du bistouri électrique lors de l'intervention, du fait de la chaleur dégagée par l'instrument, n'est pas de nature, alors qu'elle n'est pas étayée par l'observation de cas similaires, à remettre en cause les conclusions de l'expertise sur ce point ; que, dès lors, le lien de causalité entre l'intervention chirurgicale du 22 mars 2011 et cette pathologie dont est atteinte Mme D...ne peut être regardé comme établi ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise complémentaire sur ce point, il y a lieu de rejeter les conclusions de la requérante tendant à ce que le centre hospitalier de Saint-Malo soit condamné à réparer les préjudices découlant de l'atteinte à la vertèbre L5 ;
3. Considérant, d'autre part, qu'il résulte du rapport d'expertise qu'alors qu'il s'efforçait d'arrêter une hémorragie survenue au cours de l'hystérectomie, le chirurgien a accidentellement sectionné le nerf obturateur droit de MmeD..., et qu'il a par ailleurs constaté, à la fin de l'intervention, que le nerf obturateur gauche avait également été sectionné, de façon inexpliquée ; que l'expert, après avoir relevé que l'intervention avait été pratiquée " dans les règles de l'art et conformément aux données de la science ", et que les soins apportés avaient été " attentifs et diligents ", a conclu à l'existence d'un aléa thérapeutique et à l'absence de faute de l'hôpital ; que, cependant, l'expert a également indiqué que la section des nerfs obturateurs au cours d'une telle intervention est très peu décrite dans la littérature médicale, ce dont on peut conclure qu'il ne s'agit pas d'une complication attendue, y compris en cas d'hémorragie ; que le chirurgien consulté à titre privé par la requérante affirme quant à lui que la section de ces nerfs ne peut résulter que d'un geste maladroit ou à tout le moins imprécis du chirurgien ayant pratiqué l'intervention ; qu'en outre, dans ses conclusions provisoires datées du 11 juin 2012, le neurologue consulté en tant que sapiteur a indiqué que la section des deux nerfs obturateurs au cours de l'intervention justifiait une réparation ; que compte tenu des appréciations imprécises et contradictoires ainsi portées sur l'origine du préjudice subi par MmeD..., l'existence ou non d'une faute commise par le centre hospitalier de Saint-Malo à l'origine de la section successive des deux nerfs obturateurs au cours de l'intervention du 22 mars 2011 ne peut être, en l'état de l'instruction, déterminée avec certitude ;
4. Considérant, au surplus, que l'expert a indiqué qu'il n'était pas en mesure de fixer la date de consolidation de l'état de Mme D...en lien avec la section de ses nerfs obturateurs ; que l'instruction ne permet donc pas davantage en l'état d'évaluer de manière certaine et définitive le préjudice résultant pour la requérante de cet accident ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 que la cour n'est pas en mesure d'apprécier si la section des nerfs obturateurs de la patiente résulte d'un aléa thérapeutique ou trouve sa cause dans un geste chirurgical fautif ni de se prononcer sur la date de consolidation de son état de santé et, par suite, sur l'étendue des différents préjudices subis ; qu'il y lieu d'ordonner une nouvelle expertise aux fins énoncées dans le dispositif du présent arrêt ;
DÉCIDE :
Article 1er : Il sera, avant dire droit, procédé à une expertise avec mission pour un chirurgien spécialisé en gynécologie de :
1°) préciser :
- les antécédents médicaux et chirurgicaux de MmeD... ;
- les causes de la section successive des deux nerfs obturateurs au cours de l'intervention du 22 mars 2011 ;
- si ce dommage résulte d'un geste médical inadapté et/ou inapproprié ;
- si ce dommage résulte d'un aléa thérapeutique et de préciser dans ce cas la probabilité de survenance d'un tel dommage ;
- les complications dont a souffert Mme D...et qui sont la conséquence directe de la section des deux nerfs obturateurs ;
- les traitements entrepris pour traiter les conséquences de la section des nerfs obturateurs, leur durée, leurs résultats et leurs éventuels effets secondaires ;
- la date, les conditions et les circonstances de la guérison de MmeD..., si elle est intervenue, ainsi que la date de consolidation de son état de santé en rapport avec la section de ses deux nerfs obturateurs.
2°) analyser les préjudices subis par Mme D...qui découlent de la section des nerfs obturateurs et des traitements subis pour y remédier, en particulier :
- les préjudices patrimoniaux subis par la victime (dépenses de santé, frais divers, frais d'assistance par une tierce personne et autres préjudices);
- les préjudices extrapatrimoniaux temporaires (déficit fonctionnel temporaire, souffrances endurées, préjudice esthétique temporaire) et permanents (déficit fonctionnel permanent, préjudice d'agrément, préjudice esthétique permanent, préjudice sexuel et autres préjudices).
3°) par référence au rapport d'expertise remis le 31 juillet 2012, apporter tout commentaire ou précision qui pourrait paraître nécessaire à la compréhension des causes et des conséquences de l'accident médical du 22 mars 2011.
Article 2 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert prendra connaissance des différents rapports d'expertise existants, du dossier médical et de tous documents concernant MmeD..., pourra se faire communiquer les documents relatifs au suivi médical, aux actes de soins et aux diagnostics pratiqués qu'il estime nécessaires à l'accomplissement de sa mission et pourra entendre les parties et tous les sachants. Il pourra procéder, s'il l'estime utile, à l'examen médical de MmeD....
Article 3 : L'expert sera désigné par la présidente de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2, R. 621-9 et R. 621-14 du code de justice administrative. Le rapport d'expertise sera déposé en deux exemplaires dans un délai de trois mois à compter de la date de notification du présent arrêt. L'expert en notifiera des copies aux parties intéressées.
Article 4 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H...D..., à la mutuelle de la fonction publique, à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine et au centre hospitalier de Saint-Malo.
Délibéré après l'audience du 12 avril 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- M. Coiffet, président assesseur,
- Mme Le Bris, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 27 avril 2018.
Le rapporteur,
I. Le BrisLe président,
I. Perrot
Le greffier,
M. E...
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N°16NT00987