Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 27 juin 2016 l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de n'accorder, dans l'attente d'une meilleure connaissance de l'état de santé de M. C..., à celui-ci que la somme provisionnelle de 3 004 euros ;
3°) de limiter à 2 000 euros la somme à verser pour les préjudices subis par son fils.
Il soutient que :
- le jugement n'est pas suffisamment motivé ;
- l'état de santé de M. C...n'étant pas stabilisé, le tribunal administratif de Nantes ne pouvait fixer définitivement l'indemnité due à celui-ci ; en effet, M. C...est en attente d'un traitement susceptible d'améliorer son état de santé ; de même, en l'absence de traitement, cet état est susceptible d'aggravation ; il y a donc lieu pour M. C...de justifier des derniers éléments médicaux le concernant ;
- les préjudices de M. C...ne peuvent donc être indemnisés qu'à titre provisionnel à concurrence d'un montant qui ne saurait excéder la somme proposée par l'office.
La requête a été communiquée le 5 juillet 2016 à la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe qui n'a pas produit de mémoire.
Par un mémoire enregistré le 7 novembre 2016 l'Établissement français du sang, représenté par MeA..., conclut à la confirmation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté les conclusions présentées à son encontre par la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de tout succombant au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir qu'aucun des moyens développés par la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe en première instance n'était fondé.
Par un mémoire enregistré le 10 mars 2017 M. E...C..., représenté par MeB..., conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il n'a pas intégralement fait droit à ses prétentions indemnitaires, qu'il réitère ;
3°) à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- l'engagement de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale n'est pas contestable ;
- le tribunal a estimé que sa situation médicale n'évoluerait plus ;
- le caractère évolutif de sa pathologie justifie l'attribution d'une somme de 50 000 euros au titre du préjudice spécifique de contamination ;
- il a subi de lourdes souffrances physiques et morales évaluées à 8 000 euros, un préjudice d'agrément évalué à 5 000 euros, et un préjudice moral de discrimination justifiant l'attribution d'une somme de 8 000 euros ;
- la souffrance morale de son fils justifie une réparation à hauteur de 30 000 euros.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;
- la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 ;
- la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coiffet,
- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.
1. Considérant que M.C..., né le 23 août 1964, atteint d'une hémophilie A sévère ayant rendu nécessaire l'administration régulière de produits sanguins en grande quantité depuis son enfance, a été identifié comme porteur du virus de l'hépatite C le 24 septembre 1991 et qu'une hépatite chronique C de génotype A a été mise en évidence en 2006 ; qu'estimant que sa contamination était imputable aux produits sanguins reçus par lui, M. C...a formé une demande d'indemnisation auprès de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) le 5 mai 2011, lequel lui a proposé, le 25 juin 2012, une indemnisation provisionnelle de 3 004 euros, dans l'attente de la détermination de ses préjudices définitifs ; que M. C...a rejeté cette offre et a saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à la condamnation de cet établissement à l'indemniser de manière définitive de ses préjudices, à hauteur de 71 000 euros en ce qui le concerne et de 30 000 euros en ce qui concerne son fils Paul ; que, par un jugement du 27 avril 2016, le tribunal administratif de Nantes a alloué à M. C...les sommes respectives de 22 000 euros et de 4 000 euros et rejeté le surplus des conclusions de sa demande ; que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales demande l'annulation de ce jugement ; que, par la voie de l'appel incident, M. C... en demande la réformation et réitère intégralement ses conclusions indemnitaires ;
Sur l'obligation de l'ONIAM :
2. Considérant que l'ONIAM ne conteste pas l'origine transfusionnelle de la contamination de M. C...par le VHC ; qu'ainsi son obligation à l'égard de celui-ci doit être regardée comme établie, dès lors en particulier que l'enquête transfusionnelle n'a pas été en mesure d'écarter la responsabilité de divers centres de transfusion sanguine dans la contamination par ce virus ;
Sur l'évaluation des préjudices :
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique applicable à tous les litiges nés, comme en l'espèce, postérieurement au 1er juin 2010 : " Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite B ou C ou le virus T-lymphotropique humain causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang réalisée sur les territoires auxquels s'applique le présent chapitre sont indemnisées au titre de la solidarité nationale par l'office mentionné à l'article L. 1142-22 dans les conditions prévues à la seconde phrase du troisième alinéa de l'article L. 3122-1, aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 3122-2, au premier alinéa de l'article L. 3122-3 et à l'article L. 3122-4, à l'exception de la seconde phrase du premier alinéa. (...) " ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le traitement antiviral dont a bénéficié M. C... à compter du 1er novembre 2006 a été arrêté le 31 mars 2007 en l'absence de réponse virologique ; qu'une fibrose de stade F0-F1 a été diagnostiquée le 7 janvier 2011 ; que dans l'attente d'une trithérapie éventuelle, une surveillance simple a été décidée jusqu'en 2012 ; que les éléments médicaux relatifs à l'état de santé de M. C...et aux traitements suivis par lui figurant au dossier sont anciens, le dernier certificat du médecin traitant du patient produit datant du 21 octobre 2013, date à laquelle ce médecin recommandait une abstention thérapeutique et un suivi régulier de la fibrose ; que ces prescriptions se fondaient alors, notamment, sur les recommandations de la Haute Autorité de Santé actualisées en juin 2014 selon lesquelles il n'y avait pas de justification à la mise en oeuvre, dès le diagnostic d'infection par le VHC, du traitement des patients aux stades de fibrose F0 et F1, comme c'est le cas de M. C..., dès lors " que l'évolution de la maladie vers un stade plus sévère peut prendre plusieurs années, voire plusieurs décennies et les patients peuvent donc rester longtemps asymptomatiques et sans complications. Ceci autorise le clinicien et le patient à attendre la mise à disposition d'associations thérapeutiques d'efficacité et de tolérance éprouvées. " ; que cependant il est constant qu'à l'heure actuelle l'état de santé de M.C..., s'il est stabilisé, n'est ni consolidé ni guéri, et demeure évolutif ; que les recommandations plus récentes de l'Association de la société française d'hépatologie, émises en février 2016 et produites par l'ONIAM, indiquent que les hépatites virales C de génotype 1 peuvent être désormais traitées par de nouvelles thérapies combinées ayant reçu une autorisation de mise sur le marché, en particulier en cas de
co-infections VIH/VHC comme c'est le cas en l'espèce ;
5. Considérant que, dans les circonstances rappelées au point 4, les éléments médicaux à la disposition de la cour ne lui permettent pas, en l'état de l'instruction, de se prononcer de manière efficiente sur le point de savoir si l'état de santé de M. C...peut être regardé comme consolidé, ni de mesurer l'étendue définitive des préjudices personnels subis par lui et par son fils ; qu'il y a lieu, par suite, avant de statuer sur les conclusions des parties, d'ordonner une expertise à cette fin ;
DÉCIDE :
Article 1er : Avant de statuer sur la requête présentée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et sur les demandes incidentes présentées par M.C..., il sera procédé à une expertise médicale contradictoire en présence de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et de M.C....
Article 2 : L'expert aura pour mission :
1°) de prendre connaissance du dossier médical et de tous documents concernant M. C..., d'examiner ce dernier et de se faire communiquer toute pièce utile ;
2°) de décrire les troubles présentés par M. C...et d'identifier ceux d'entre eux en lien direct avec sa contamination par le virus de l'hépatite C en faisant le départ de ceux imputables au VIH ;
3°) de préciser les traitements spécifiques suivis par M. C...dont il a fait l'objet depuis 2013 ainsi que leur résultat, efficacité et tolérance ; de préciser en particulier si M. C... a bénéficié des nouveaux traitements faisant l'objet des recommandations de l'Association de la société française d'hépatologie, ou s'il a refusé de suivre ces nouvelles thérapies, ou si un traitement est programmé à court terme ;
4°) de préciser si M. C...peut être considéré comme guéri, consolidé ou stabilisé à la date de l'expertise ;
5°) de préciser dans quelle situation se trouve M. C...au regard du référentiel spécifique de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, et où il se situe en ce qui concerne ses préjudices personnels ; de préciser si l'ARN est détectable ou non, le stade de la fibrose ou si M. C...présente une maladie hépatique de caractère évolutif ;
6°) de préciser le cas échéant, l'absence de guérison virologique, la persistance d'une cirrhose malgré la guérison virologique, la survenue d'un carcinome hépatocellulaire, le recours à une transplantation hépatique, les manifestations extra-hépatiques évolutives ;
7°) de donner tous éléments utiles d'appréciation des préjudices personnels et patrimoniaux subis par M. C...et par son fils en relation directe avec sa contamination par le virus de l'hépatite C ;
8°) de proposer l'évaluation, le cas échéant des troubles de toute nature dans les conditions d'existence, et s'il y a lieu à majorer cette évaluation du fait de la co-infection VIH/VHC ;
9°) de proposer l'évaluation le cas échéant d'un préjudice esthétique, de souffrances physiques endurées, d'un préjudice d'agrément et de déterminer la durée et le taux du déficit fonctionnel temporaire et le taux du déficit fonctionnel permanent, ainsi que le montant éventuel d'un préjudice matériel ;
10°) de préciser, le cas échéant, dans quelle mesure l'état de la victime est susceptible de modification, en aggravation ou amélioration ;
11°) d'une façon générale, de recueillir tous éléments et faire toutes autres constatations utiles de nature à éclairer la cour dans son appréciation des préjudices subis.
Article 3 : L'expert déposera son rapport au greffe de la cour en deux exemplaires dans un délai de trois mois et en notifiera des copies aux parties intéressées. Avec leur accord, cette notification peut s'opérer sous forme électronique.
Article 4 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Après avoir prêté serment, il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à ONIAM, à M. E...C..., à l'Établissement français du sang et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe.
Délibéré après l'audience du 12 avril 2018 à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Le Bris, premier conseiller.
Lu en audience publique le 27 avril 2018.
Le rapporteur,
O. Coiffet
Le président,
I. Perrot Le greffier,
M. D...
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16NT02095