Par une requête et des mémoires enregistrés respectivement les 14 décembre 2017,
17 mai 2018 et 25 octobre 2018, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, représenté par la
SCP Meier-Bourdeau Lécuyer, avocats, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1600290 en date du 14 septembre 2017 du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, en tant qu'il fait droit à la demande de Mme B...;
2°) de rejeter les conclusions présentées par Mme B...devant ce tribunal ;
3°) de mettre à la charge de Mme B...la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier pour insuffisance de motivation ;
- c'est à tort que le tribunal a considéré qu'il entrait dans les attributions du gouvernement de se prononcer sur les demandes de protection fonctionnelle de ses anciens membres ;
- le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, exécutif de la collectivité, n'était pas compétent pour se prononcer sur la demande de protection fonctionnelle de Mme B... présentée sur le fondement de l'article 199-1 de la loi organique du 19 mars 1999 ; il incombait au congrès, qui s'est vu conférer l'exercice des compétences attribuées à la Nouvelle-Calédonie, de se prononcer sur cette demande ; à cette incompétence matérielle s'ajoute une incompétence ratione temporis dès lors Mme B...n'était plus ministre mais était redevenue membre du congrès à la date à laquelle elle a formé sa demande de protection ;
- MmeB..., qui ne pouvait être considérée comme ayant fait l'objet de " violences, menaces ou outrages " à l'occasion de ses fonctions, n'entrait pas dans le cas défini à l'article 199-1 de la loi organique du 19 mars 1999, où l'octroi de la protection demandée pouvait être accordé ; l'article 199-1 de la loi organique du 19 mars 1999 ne saurait être compris dans un sens large, comme protégeant l'élu calédonien lorsqu'il fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable de l'exercice de ses fonctions, cette extension de la protection applicable en métropole, n'a été opérée que postérieurement à l'introduction, par la loi organique du 3 août 2009, de l'article 199-1 dans la loi organique du 19 mars 1999 ; cet article 199-1 n'envisage pas la protection en cas de poursuites pénales, mais seulement en cas de violences, menaces et outrages, qui faisaient défaut en l'espèce ;
- à supposer même que l'article 199-1 puisse être compris comme concernant le cas du fonctionnaire victime de poursuite pénales, les agissements en cause de MmeB..., à l'origine de sa citation à comparaître, procédaient, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, d'une faute personnelle détachable du service, ce qui excluait l'octroi de la protection demandée ;
- en se croyant à tort lié par la décision d'irrecevabilité prise par le tribunal correctionnel de Nouméa sur la plainte avec constitution de partie civile pour diffamation publique déposée par MmeB..., les premiers juges en ont déduit, de manière erronée, que cette dernière n'avait pas commis de faute personnelle excluant le bénéfice de la protection fonctionnelle.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 septembre 2018, MmeB..., représentée par la SELARL d'avocats Royanez, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par ordonnance du 19 octobre 2018, la clôture d'instruction a été fixée
au 2 novembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999, relatives à la
Nouvelle-Calédonie ;
- le code de justice administrative dans ses dispositions applicables en Nouvelle-Calédonie.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Appèche,
- les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public,
- et les observations de Me Lécuyer, avocat du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
Considérant ce qui suit :
1. MmeB..., qui a été membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie
du 17 mars 2011 au 10 juillet 2015, a adressé au président de ce gouvernement le 3 mai 2016, date à laquelle elle avait cessé d'être ministre et était membre du congrès, une demande tendant à l'octroi de la protection fonctionnelle à raison d'une citation à comparaître devant le tribunal correctionnel de Nouméa le 15 janvier 2016 du chef de propos gravement diffamatoires tenus par elle à l'encontre de la directrice des services fiscaux de la Nouvelle-Calédonie,
le 13 juin 2013, à l'occasion d'un discours prononcé dans l'enceinte du congrès de la
Nouvelle-Calédonie. Le gouvernement n'ayant pas répondu à cette demande, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, saisi par MmeB..., a, par jugement n° 1600290 du
14 septembre 2017, annulé la décision implicite de refus de protection fonctionnelle née du silence gardé par le gouvernement sur la demande présentée par l'intéressée et a enjoint à celui-ci d'accorder la protection fonctionnelle demandée. Par la requête susvisée, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie relève appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article 199-1 de la loi organique du 19 mars 1999 susvisée : " Les membres du gouvernement, le président du gouvernement, le président du congrès, le président de l'assemblée de province ou un élu suppléant l'un d'entre eux ou ayant reçu une délégation bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la
Nouvelle-Calédonie ou les provinces conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales. La Nouvelle-Calédonie ou les provinces sont tenues de protéger les membres du gouvernement, le président du gouvernement, le président du congrès, le président de l'assemblée de province ou un élu suppléant l'un d'entre eux ou ayant reçu une délégation contre les violences, menaces ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. (...) ".
3. En vertu d'un principe général il incombe, lorsqu'un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, à la collectivité publique dont il dépend de le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui, dans la mesure où une faute personnelle détachable du service ne lui est pas imputable, de lui accorder sa protection dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales, sauf s'il a commis une faute personnelle, et, à moins qu'un motif d'intérêt général ne s'y oppose, de le protéger contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont il est l'objet. Ce principe s'applique à tous les agents publics, quel que soit le mode d'accès à leurs fonctions et donc également aux élus des collectivités territoriales y compris ceux mentionnés à l'article 199-1 de la loi organique du 19 mars 1999 rappelé ci-dessus. En effet, si le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie soutient que cet article ne mentionne que la protection contre " les violences, menaces ou outrages ", il ne peut être interprété comme ayant entendu exclure le bénéfice de cette protection dans le cas, notamment, où les intéressés feraient l'objet de poursuites pénales.
4. Pour la mise en oeuvre de ce principe, l'autorité ou la collectivité compétente pour prendre les mesures susceptibles d'assurer cette protection est, non pas celle dont l'intéressé relève à la date à laquelle il forme sa demande de protection ou à la date à laquelle il est statué sur cette demande, mais celle dont l'intéressé relevait à la date des faits en cause, des faits ayant été imputés de façon diffamatoire, ou des faits, qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions, à raison desquels il fait l'objet de poursuites pénales.
5. En l'espèce, Mme B...a sollicité la protection fonctionnelle à la suite d'une citation directe à comparaitre devant la juridiction correctionnelle motivée par des propos tenus par elle le 13 juin 2013, à l'occasion d'un discours prononcé dans l'enceinte du congrès de la Nouvelle-Calédonie et alors qu'elle était ministre. Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie était par suite compétent pour connaître de sa demande de protection fonctionnelle présentée le 3 mai 2016, même si à cette date elle était membre du congrès, et alors au demeurant qu'elle relevait toujours de la même collectivité territoriale, représentée par le président du gouvernement en application de l'article 134 de la loi organique.
6. Par suite, en adressant sa demande de protection au gouvernement de la
Nouvelle-Calédonie, exécutif de la collectivité territoriale, Mme B...ne peut être regardée, contrairement à ce que soutient ce dernier, comme ayant saisi une autorité incompétente pour en connaître, le gouvernement disposant d'ailleurs, et en tout état de cause, de la faculté de soumettre à la discussion du congrès la demande de l'intéressée en vertu des dispositions des articles 73 ou 76 de la loi organique susvisée.
7. En l'espèce, l'action en citation directe devant la juridiction correctionnelle dont Mme B...a été l'objet concerne des propos prononcés le 13 juin 2013 dans l'exercice de ses fonctions alors qu'elle était membre du gouvernement et à l'occasion de débats au congrès de la Nouvelle-Calédonie. Il ressort des pièces du dossier et des circonstances de l'espèce que les propos tenus par Mme B...ne révèlent pas un excès de comportement ou une faute d'une très particulière gravité de nature à faire regarder leur auteur comme ayant commis une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions. Dans ces conditions, et en l'absence de motif d'intérêt général s'y opposant, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie avait l'obligation, suite à cette citation directe à comparaitre signifiée à MmeB..., d'accorder à cette dernière sa protection.
8. Par suite, le gouvernement requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, qui ne s'est pas considéré comme lié par le jugement du Tribunal correctionnel de Nouméa en date du 2 septembre 2016 qu'il a seulement mentionné dans le jugement attaqué sans se fonder expressément sur son contenu, a annulé sa décision implicite de rejet du 3 juillet 2016 née du silence gardé sur la demande de protection fonctionnelle de Mme B.... Par suite, la requête du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'accorder à Mme B... une somme de 1 500 euros sur le fondement dudit article.
DECIDE :
Article 1er : La requête du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie est rejetée.
Article 2 : La Nouvelle-Calédonie versera une somme de 1 500 euros à Mme B...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et à
Mme A...B....
Délibéré après l'audience du 9 janvier 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- Mme Appèche, président assesseur,
- Mme Jimenez, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 janvier 2019.
Le rapporteur,
S. APPECHELe président,
I. BROTONS
Le greffier,
S. DALL'AVA
La République mande et ordonne au ministre des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 17PA03811 2
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