Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 6 février 2015, M. A..., représenté par MeD..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1305706/1 du 26 décembre 2014 du Tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 27 février 2013 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de nomination en qualité d'huissier de justice associé au sein de la société civile professionnelle Bruno Almouzni et Christian Dupont à la résidence de Brie-Comte-C..., ainsi que la décision implicite de rejet opposée par la ministre à son recours gracieux présenté le 15 avril 2013 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens de l'instance.
Il soutient que :
- le Tribunal a opéré une substitution de base légale des décisions attaquées sans le mettre à même de présenter ses observations ;
- les décisions attaquées sont entachées d'un défaut de base légale dans la mesure où elle se fonde sur le décret n° 75-770 du 14 août 1975 qui règle les conditions d'accès à la profession d'huissier de justice alors qu'il exerce déjà ces fonctions ; qu'en l'espèce, la garde des sceaux, ministre de la justice, aurait dû se fonder sur les dispositions de l'article 41 du décret du 31 décembre 1969 pris pour l'application à la profession d'huissier de justice de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 sur les sociétés civiles professionnelles ; qu'il a suivi la procédure prévue par les dispositions de l'article 27 du décret du 31 décembre 1969 ;
- les décisions en cause méconnaissent l'autorité de la chose jugée de l'arrêt de la cour d'appel de Dijon en date du 3 juin 2010 n° 10/00393 qui rejette le principe d'une destitution du fait qu'elle est disproportionnée au regard des faits reprochés ; que, par suite, il est anormal que le libre exercice de sa profession soit entravé par les décisions contestées mentionnant des décisions de justice exécutées ;
- ce refus est révélateur d'un détournement de pouvoir de la part de la garde des sceaux qui lui inflige une sanction qu'elle n'a pu obtenir par la voie juridictionnelle ;
- ces décisions sont disproportionnées puisqu'elles restreignent sa capacité d'exercer un métier sur le territoire national à sa charge actuelle ; par suite, elles comportent une interdiction d'aller et de venir puisqu'il ne peut plus vivre où il le souhaite, sauf à perdre le bénéfice de son emploi actuel ainsi que de mener une vie familiale normale dès lors qu'elle l'empêche de vivre avec son épouse et son fils qui résident en région parisienne ;
- ces décisions portent aussi une atteinte directe à sa liberté d'entreprendre dès lors que seul l'accès à cette profession, et non son exercice, est réglementée ;
- ces décisions lui causent un préjudice matériel et moral important ;
- enfin, il résulte des développements précédents que les décisions en litige sont également illégales en ce qu'elles portent atteinte au principe d'égalité de traitement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mai 2015, la garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- certaines dispositions et notamment les 1° et 2° du décret n° 75-770 du 14 août 1975 relatif aux conditions d'accès à la profession d'huissier de justice ainsi qu'aux modalités de créations, transferts et suppressions d'offices d'huissiers de justice s'appliquent à toute demande de nomination émanant d'une personne qui possède déjà la qualité d'huissier de justice ; la condition de moralité fait l'objet d'un contrôle à l'occasion de chaque demande de nomination émanant d'une personne qui dispose ou non de la qualité d'huissier de justice ; l'article 45 de la loi du 20 avril 1810 prévoit que cette mission incombe aux parquets généraux et il s'agit également d'une prérogative du garde des sceaux conformément au décret n° 88-814 du 12 juillet 1988 relatif à la nomination et à la cessation des officiers publics ministériels ; ce contrôle se justifie car la moralité d'un officier public ou ministériel est susceptible d'évoluer tout au long de la carrière et ne se limite pas à la première nomination ; or, la mention au bulletin n° 2 de son casier judiciaire mentionnait sa condamnation ; il n'y a donc eu aucune substitution de base légale par le Tribunal ;
- devant répondre à une demande de nomination, il n'était pas lié par les décisions juridictionnelles antérieures ; il n'y a donc aucune méconnaissance de l'autorité de la chose jugée ;
- les décisions attaquées n'ont aucune incidence sur l'activité professionnelle de M. A... qui exerce ses fonctions d'huissiers de justice dans la résidence où il a été nommé le 11 décembre 2000 ; il n'a tenu compte que de son comportement délictueux ; il apprécie souverainement en sa qualité d'autorité de nomination ses capacités et son aptitude sous le seul contrôle du juge administratif ; elle n'est pas liée par les décisions prises par l'autorité judiciaire ;
- s'agissant de l'atteinte à la liberté d'entreprendre, l'intéressé appartient à une profession réglementée, l'installation d'un huissier de justice n'est pas libre, elle fait l'objet d'un agrément préalable après la vérification des conditions réglementaires et le respect de la procédure de nomination ; il en est de même pour toute demande de nomination découlant d'une cession de parts sociales ou de l'exercice du droit de présentation, ainsi que pour les créations et les suppressions d'offices de justice qui sont encadrées par l'article 37 de la loi du 14 août 1975 précitée ;
- s'agissant de l'atteinte à la vie privée et familiale du requérant, les décisions attaquées ne sont pas responsables de l'éloignement et des choix professionnels de son épouse, les agissements contraires à l'honneur et à la probité sont seuls responsables des conséquences découlant de cette décision ;
- il n'y a aucune méconnaissance du principe d'égalité.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le décret n° 69-1274 du 31 décembre 1969 pris pour l'application à la profession d'huissier de justice de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 sur les sociétés civiles professionnelles ;
- le décret n° 75-770 du 14 août 1975 relatif aux conditions d'accès à la profession d'huissier de justice ainsi qu'aux modalités des créations, transferts et suppressions d'offices d'huissiers de justice et concernant certains officiers ministériels et auxiliaires de justice ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Polizzi,
- et les conclusions de M. Roussel, rapporteur public.
1. Considérant que le 2 février 2012, M.A..., a sollicité sa nomination en qualité d'huissier de justice associé au sein de la société civile professionnelle Bruno Almouzni et Christian Dupont à la résidence de Brie-Comte-C... ; que, par une décision du 27 février 2013, confirmée malgré un recours gracieux présenté le 15 avril 2013, la garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté la demande de M.A... ; que par la présente requête, l'intéressé demande à la Cour l'annulation du jugement ayant rejeté sa demande dirigée contre ces deux décisions et l'annulation de celles-ci ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant que, contrairement à ce que soutient le requérant, le Tribunal n'a pas opéré de substitution de base légale des décisions attaquées mais s'est borné à appliquer les textes qui lui semblaient applicables pour préciser la portée du décret du 14 août 1975 et plus précisément de son article 1er, 2° de " faits contraires à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs " ; qu'en tout état de cause, dès lors que le ministre a évoqué ces textes en défense plus d'un an avant l'audience, le requérant a été mis à même de présenter ces observations, ce qu'il n'a d'ailleurs pas fait ; que, par suite, le moyen doit être écarté ;
Sur le fond :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 40 du décret du 31 décembre 1969 : " Tout nouvel associé doit remplir les conditions requises pour exercer la profession d'huissier de justice et être agréé par le garde des sceaux, ministre de la justice, qui le nomme en qualité d'huissier de justice associé " ; qu'aux termes de l'article 1er du décret du 14 août 1975 : " Nul ne peut être huissier de justice, s'il ne remplit les conditions suivantes : (...) 2° N'avoir pas été l'auteur de faits contraires à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs " ;
4. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, contrairement à ce que soutient M. A..., la garde des sceaux devait apprécier, à l'occasion de sa demande de nomination en qualité d'huissier de justice associé au sein de la société civile professionnelle Bruno Almouzni et Christian Dupont, s'il n'avait pas été l'auteur de faits contraires à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs ; qu'il ressort des pièces du dossier que, pour refuser à M. A... son agrément en qualité d'huissier de justice au sein de la société civile professionnelle " Bruno Almouzni et Christian Dupont associés " titulaire d'un office d'huissier de justice à la résidence de Brie-Comte-C..., la garde des sceaux, ministre de la justice, s'est fondée sur la circonstance que l'enquête de moralité menée par les services du parquet faisait ressortir que l'intéressé avait fait l'objet d'une condamnation prononcée le 14 août 2007 par le Tribunal de grande instance de Chalon-sur-Saône statuant en matière correctionnelle à une peine d'un an d'emprisonnement avec sursis et de 25 000 euros d'amende pour des faits d'abus de faiblesse d'une personne vulnérable commis à l'occasion de son activité professionnelle en 2003, et que ce jugement avait été confirmé par la cour d'appel de Dijon le 14 mai 2008 ; qu'il est, en outre, constant que le 9 février 2010, le tribunal de grande instance de Châlons-sur-Saône statuant en matière disciplinaire a prononcé à l'encontre M. A...une sanction d'interdiction temporaire d'exercices de ses fonctions pour ces faits d'une durée de six mois ;
5. Considérant, toutefois, que la ministre ne pouvait se borner à prendre en considération la gravité des faits litigieux mais il lui appartenait de tenir compte également de leur ancienneté et du comportement général de l'intéressé depuis sa nomination en 2000 ; qu'il est constant à cet égard que ces faits, déjà anciens de près de dix ans à la date de la décision litigieuse, sont demeurés isolés et que le respect par M. A...des règles déontologiques de sa profession n'a jamais été mis en cause ; qu'au demeurant, la chambre départementale des huissiers de justice de Seine-et-Marne a rendu un avis favorable sur la demande du requérant ; qu'ainsi, la Garde des Sceaux n'a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, rejeter la demande de nomination de M. A...en qualité d'huissier de justice associé au sein de la société civile professionnelle Bruno Almouzni et Christian Dupont à la résidence de Brie-Comte-C... ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande ; que, par suite, il y a lieu d'annuler ce jugement et les décisions attaquées ;
7. Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, les conclusions de M. A...tendant à la condamnation de l'Etat aux dépens doivent être rejetées, aucun frais n'ayant été exposé à ce titre ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 26 décembre 2014 du Tribunal administratif de Melun et la décision du 27 février 2013 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté la demande de M. A...de nomination en qualité d'huissier de justice associé au sein de la société civile professionnelle Bruno Almouzni et Christian Dupont et la décision implicite de rejet opposée par la ministre à son recours gracieux présenté le 15 avril 2013 contre cette décision sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à M. A...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Me E...D...et au garde des sceaux, ministre de la justice (direction des affaires civiles et du sceau).
Délibéré après l'audience du 16 juin 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Bouleau, premier vice-président,
- M. Polizzi, président assesseur,
- MmeF..., première conseillère,
Lu en audience publique, le 30 juin 2016.
Le rapporteur,
F. POLIZZILe président,
M. BOULEAU
Le greffier,
N. ADOUANE La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 15PA00583