Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 30 mars 2016, le ministre de l'intérieur demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Melun n° 1509495/1 du 12 février 2016 en tant qu'il a annulé son arrêté du 11 décembre 2015 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. P...devant le Tribunal administratif de Melun dirigée contre cet arrêté du 11 décembre 2015.
Il soutient que :
- l'intéressé n'a pas introduit de conclusions à fin d'annulation contre l'arrêté du 11 décembre 2015, ni soulevé le moyen tiré de l'incompétence du signataire de cette décision ;
- en retenant ce moyen qui n'était pas soulevé par le requérant, sans en avoir informé les parties dans les conditions prévues par l'article R. 611-7 du code de justice administrative, le Tribunal administratif de Melun a entaché son jugement d'irrégularité ;
- le signataire de l'arrêté litigieux justifie d'une délégation de signature régulière ;
- c'est une ampliation de l'arrêté du 11 décembre 2015 qui a été notifiée au requérant ;
- l'original de cet arrêté, versé au dossier d'appel, comporte l'ensemble des mentions requises par l'article 4 de la loi du 12 avril 2000.
La requête a été communiquée à M. P...qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu :
- les arrêtés attaqués ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;
- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 ;
- le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 ;
- le décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. X,
- les conclusions de M. W, rapporteur public,
- et les observations de M.A..., représentant le ministre de l'intérieur.
1. Considérant que le ministre de l'intérieur fait appel de l'article 1er du jugement du Tribunal administratif de Melun n° 1509495 du 12 février 2016 portant annulation de son arrêté du 11 décembre 2015, abrogeant celui du 15 novembre 2015, portant assignation à résidence de M. P... sur le territoire de la commune d'Evry ;
2. Considérant qu'en application de la loi du 3 avril 1955, l'état d'urgence a été déclaré par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015, à compter du même jour à zéro heure, sur le territoire métropolitain, prorogé pour une durée de trois mois, à compter du 26 novembre 2015, par l'article 1er de la loi du 20 novembre 2015, puis à compter du 26 février 2016 par l'article unique de la loi du 19 février 2016 ; qu'aux termes de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, dans sa rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015 : " Le ministre de l'intérieur peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe, de toute personne résidant dans la zone fixée par le décret mentionné à l'article 2 et à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics dans les circonscriptions territoriales mentionnées au même article 2. (...) / La personne mentionnée au premier alinéa du présent article peut également être astreinte à demeurer dans le lieu d'habitation déterminé par le ministre de l'intérieur, pendant la plage horaire qu'il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures. / L'assignation à résidence doit permettre à ceux qui en sont l'objet de résider dans une agglomération ou à proximité immédiate d'une agglomération. (...) / L'autorité administrative devra prendre toutes dispositions pour assurer la subsistance des personnes astreintes à résidence ainsi que celle de leur famille. / Le ministre de l'intérieur peut prescrire à la personne assignée à résidence : / 1° L'obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence qu'il détermine dans la limite de trois présentations par jour, en précisant si cette obligation s'applique y compris les dimanches et jours fériés ou chômés (...) " ; qu'il résulte de l'article 1er du décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015, modifié par le décret n° 2015-1478 du même jour, que les mesures d'assignation à résidence sont applicables à l'ensemble du territoire métropolitain à compter du 15 novembre à minuit ;
Sur le bien-fondé du moyen d'annulation retenu par le Tribunal administratif de Melun :
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que MmeA..., adjointe au sous-directeur des libertés publiques du ministère de l'intérieur, qui a signé l'arrêté attaqué du 11 décembre 2015, avait reçu du directeur des libertés publiques et des affaires juridiques de ce ministère, par décision du 19 novembre 2015 publiée au journal officiel du 20 novembre 2015, délégation de signature "à l'effet de signer les mesures de police administrative prises en application notamment de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence relatif aux assignations à résidence " ; que le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté aurait été signé par une autorité incompétente doit dès lors être écarté ;
4. Considérant, par ailleurs, qu'aux termes du second alinéa de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000, "Toute décision prise par une autorité administrative comporte, outre la signature de son auteur la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci" ; que l'original de l'arrêté attaqué, signé, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, par délégation du directeur des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur, par MmeA..., adjointe au sous-directeur des libertés publiques, comporte, en caractères lisibles, les mentions prévues par les dispositions précitées ; que, par suite, la circonstance que l'ampliation de cette décision notifiée à M. P... ne comporte pas la signature de son auteur est sans influence sur sa légalité ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin de statuer sur les moyens de régularité, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a retenu le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte pour annuler son arrêté du 11 décembre 2015 ;
5. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. P... à l'appui de ses conclusions en annulation en première instance ;
Sur les autres moyens invoqués à l'encontre de la mesure d'assignation à résidence attaquée :
6. Considérant, en premier lieu, que si l'arrêté du 15 novembre 2015 ne mentionne pas que le requérant pouvait demander le retrait de la mesure d'assignation à résidence et que cette demande serait alors soumise à une commission consultative, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de l'arrêté en litige ;
7. Considérant, en second lieu, que le ministre de l'intérieur s'est fondé, pour prendre la décision d'assignation à résidence contestée, sur des éléments figurant dans des " notes blanches " des services de renseignement, versées au débat contradictoire ; qu'il ressort de ceux de ces éléments qui ont été repris dans les motifs de l'arrêté du 24 février 2016 que M. P...est un théologien et une figure emblématique du salafisme en Ile-de-France, ainsi qu'un interlocuteur priviligié des militants islamistes sur le territoire national ; qu'il a effectué en 2006 un séjour dans une " madrassah " dirigée par une personne interpellée dans le cadre du démantèlement des filières irakiennes du 19ème arrondissement de Paris ; qu'il a été impliqué dans une filière d'acheminement vers la Syrie et mis en cause dans plusieurs affaires d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, financement du terrorisme et apologie de celui-ci ; que, sous couvert de l'association " Fraternité Musulmane Sanâbil " qu'il préside, il fournit un soutien logistique aux détenus islamistes et utilise sa notoriété pour recruter de futurs combattants pour le djihad ; qu'au cours du pique-nique annuel organisé en 2014 par cette association, afin de récolter des fonds destinés aux islamistes radicaux, M. P... est apparu proche d'Amedy M...et de Sabri MehdiN... ; que plusieurs des relations proches de M. P..., dont certaines sont impliquées dans les attentats qui ont eu lieu à Paris le 13 novembre 2015, ont rejoint les rangs de Daech ;
8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et notamment d'éléments précis et circonstanciés recueillis par l'administration et figurant dans une note des services de renseignement, non sérieusement contestés par M.P..., que l'association " Fraternité Musulmane Sanâbil " qu'il préside, qui a pour objet d'apporter un soutien matériel et moral à des détenus musulmans, apporte une aide à des détenus islamistes radicaux incarcérés pour des faits de terrorisme ; qu'au pique-nique annuel organisé en 2014 par cette association, ont notamment participé M. B... M..., l'un des auteurs des attentats de janvier 2015 à Paris, et M. O... N..., qui a quitté le territoire national pour la Syrie en compagnie de Hayat Boumeddiène, compagne de M. M... ; qu'en outre, M. P... a hébergé M. G... C...le 29 juin 2006, alors qu'il se rendait en Belgique afin d'y rencontrer des membres de la mouvance radicale, et a entretenu des relations avec M. F...H...au travers de l'association Sanâbil, jusqu'à ce qu'il quitte le territoire national pour la zone irako-syrienne, avec M. I...D..., trésorier de l'association, qui a quitté la France pour la Syrie en juillet 2015, ainsi qu'avec M. E... K..., proche de M. J...L..., ancien imam de la mosquée de Lagny-sur-Marne qui a fait l'objet d'une mesure de fermeture administrative le 2 décembre 2015 sur le fondement de l'article 8 de la loi du 3 avril 1955 ; qu'au surplus, si M. P...indique qu'il n'est pas demeuré en relation avec les responsables ou employés du garage de Saint-Brice-sous-Forêt, dans lequel il venait simplement faire réparer le véhicule de l'association, il ne conteste pas la réalité de ses relations avec M. Q...et M.R..., gérants de ce garage, qui ont eux aussi rejoint les rangs de l'organisation Etat islamique ;
9. Considérant qu'il ressort de ces éléments que, quand bien même le requérant n'a pas fait l'objet de poursuites judiciaires, le ministre de l'intérieur n'a pas fait un usage illégal des pouvoirs de police administrative qui lui sont dévolus par la loi susvisée du 3 avril 1955 modifiée relative à l'état d'urgence ; que bien que le requérant est père de famille et a un emploi, il n'a pas non plus entaché son arrêté d'une erreur d'appréciation de ses conséquences sur la situation de M. P... ;
10. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a annulé son arrêté du 11 décembre 2015 abrogeant celui du 15 novembre 2015 portant assignation à résidence de M. S...sur le territoire de la commune d'Evry ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1509495/1 du Tribunal administratif de Melun du 12 février 2016 est annulé.
Article 2 : Les conclusions de la demande présentée par M. S...devant le Tribunal administratif de Melun tendant à l'annulation de l'arrêté du ministre de l'intérieur du 11 décembre 2015 sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M.S....
Délibéré après l'audience du 28 juin 2016, à laquelle siégeaient :
- M. XX, président de chambre,
- M. Y, premier conseiller,
- Mme T, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 juillet 2016.
Le président rapporteur,
X L'assesseur le plus ancien,
Y
Le greffier,
ZLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16PA01153