Par une requête enregistrée le 28 juillet 2014, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par
MeD..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1306561 du 23 mai 2014 du Tribunal administratif de Melun ;
2°) de condamner solidairement le Centre hospitalier intercommunal de Créteil et la Société hospitalière d'assurances mutuelles à lui verser la somme de 38 969,50 euros, majorée de la pénalité de 15 % prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, soit la somme de 5 845,42 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2012, date de réception de sa demande préalable, outre la capitalisation des intérêts échus en application des dispositions de l'article 1154 du code civil ;
3°) de condamner solidairement le Centre hospitalier intercommunal de Créteil et la Société hospitalière d'assurances mutuelles à lui verser la somme de 700 euros au titre des frais d'expertise ;
4°) de déclarer la décision à intervenir opposable à MFP Services et MCD Mutuelle ;
5°) de mettre à la charge solidaire du Centre hospitalier intercommunal de Créteil et de la Société hospitalière d'assurances mutuelles une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la responsabilité pour faute du Centre hospitalier intercommunal de Créteil est engagée à raison des soins prodigués à M. B...sur le fondement des dispositions de l'alinéa 1er de l'article L. 1142 du code de la santé publique ;
- il est manifeste que les soins reçus par M. B...au Centre hospitalier intercommunal de Créteil n'étaient pas conformes aux données actuelles de la science en ce qu'ils n'étaient manifestement pas adaptés à son état de santé, l'expert ayant conclu que l'indication opératoire ne s'imposait pas en l'absence de signes fonctionnels et en présence d'une acuité visuelle de 6/10ème ;
- le seul caractère évolutif de la cataracte ainsi que l'existence d'un glaucome et d'une myopisation unilatérale impossible à corriger et entrainant une " inégalité intolérable de la taille de l'image ", qui ne ressortent, d'ailleurs, pas du rapport d'expertise, ne pouvaient justifier le recours à la chirurgie pratiquée ;
- si le tribunal administratif a estimé, ainsi que l'indiquait l'expert dans son rapport, que l'indication opératoire n'était pas justifiée, il n'a pas tiré toutes les conséquences de ses propres constatations et a inexactement apprécié les faits en ne retenant aucune faute imputable au Centre hospitalier intercommunal de Créteil ;
- les dommages subis par M. B...sont incontestablement et directement en lien avec l'indication chirurgicale fautive posée sans laquelle l'accident médical intervenu au décours de cette intervention et au moment où elle est réalisée, ne se serait pas produit ;
- une indemnité de 38 969,50 euros doit, sur le fondement du protocole d'indemnisation transactionnelle, lui être allouée au titre des préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux correspondant aux sommes de 1 042,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire total, 5 600 euros au titre des souffrances endurées, 27 934 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, 2 793 euros au titre du préjudice d'agrément et 1 600 euros au titre du préjudice esthétique ;
- il est fondé à solliciter le remboursement des frais d'expertise d'un montant de 700 euros ;
- la Société hospitalière d'assurances mutuelles ayant méconnu le dispositif amiable d'indemnisation sans motif légitime, il est fondé à rechercher la condamnation solidaire du Centre hospitalier intercommunal de Créteil et de son assureur à lui verser la somme de 5 845,42 euros au titre de la pénalité de 15 % prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 février 2015, le Centre hospitalier intercommunal de Créteil et la Société hospitalière d'assurances mutuelles, représentés par Me Le Prado, concluent au rejet de la requête et à l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions dirigées contre l'assureur du centre hospitalier, société privée d'assurances.
Ils soutiennent que :
- aucune faute de nature à engager la responsabilité du Centre hospitalier intercommunal de Créteil n'a été commise dans la prise en charge de M. B...dès lors que l'indication opératoire était tout à fait justifiée compte tenu d'une acuité visuelle de l'oeil gauche de 6/10ème faible et de la dégradation de celle-ci témoignant, ainsi, d'un profil évolutif rapide de la cataracte nécessitant une chirurgie à court terme ;
- l'acuité visuelle de 5/10ème ne constitue pas le seuil d'opérabilité, lequel doit être apprécié au cas par cas en fonction d'autres facteurs cliniques ;
- aucune faute de nature à engager la responsabilité du Centre hospitalier intercommunal de Créteil n'a été commise dans les soins prodigués à M. B...dès lors que la rupture capsulaire à l'origine du décollement de la rétine ayant entraîné sa quasi cécité est constitutive d'un accident médical non fautif soit un aléa thérapeutique ;
- il n'existe aucun lien de causalité entre le choix thérapeutique et le dommage dès lors que la perte de l'acuité visuelle de l'oeil gauche de M. B...est la conséquence d'un aléa thérapeutique survenu au cours de l'opération, elle-même inévitable ;
- la réparation du dommage résultant d'une perte de chance ne pourrait être indemnisée qu'à hauteur de 10% du préjudice subi ;
- compte tenu de la bonne foi de la Société hospitalière d'assurances mutuelles, la Cour ne pourra que rejeter les conclusions présentées par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales au titre de la pénalité de 15 % prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;
- la Société hospitalière d'assurances mutuelles étant une personne morale de droit privé, le juge administratif n'est pas compétent pour connaître de la demande présentée à son encontre en sa qualité d'assureur du Centre hospitalier intercommunal de Créteil.
Par un mémoire, enregistré le 26 février 2015, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me Ribeiro, conclut aux mêmes fins que précédemment.
Il soutient, en outre, que :
- à supposer qu'une perte de chance puisse être retenue, celle-ci ne pourrait qu'être majeure dès lors qu'il n'est aucunement établi que M. B...aurait présenté ultérieurement une rupture capsulaire ;
- le juge administratif est bien compétent pour connaître des conclusions dirigées contre la Société hospitalière d'assurances mutuelles.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 ;
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code des assurances ;
- le décret n° 98-11 du 27 février 1998 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bonneau-Mathelot,
- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public,
- les observations de MeC..., substituant Me Ribeiro, avocat de l'ONIAM ;
- et les observations de Me Le Prado, avocat du Centre hospitalier intercommunal de Créteil et de la Société hospitalière d'assurances mutuelles.
Considérant ce qui suit :
1. M. A...B...était suivi depuis 2003 au sein du service d'ophtalmologie du Centre hospitalier intercommunal (CHI) de Créteil pour un glaucome à angle ouvert. Le 29 mars 2007, après avoir constaté une baisse importante de l'acuité visuelle de son oeil gauche, le docteur Atmani a posé le diagnostic de cataracte cortico-nucléaire et a proposé à l'intéressé une intervention chirurgicale. Le 28 juin 2007, M. B...a, alors, subi une opération de l'oeil gauche, laquelle a, toutefois, été interrompue en raison de complications opératoires. Les suites opératoires ont été marquées par une hypertonie oculaire. En dépit d'une reprise chirurgicale le 13 juillet 2007 et de trois nouvelles interventions, les 6 septembre, 4 octobre et 23 novembre 2007, l'acuité visuelle de l'oeil gauche a été réduite à une simple perception lumineuse mal localisée. Par suite, M. B...a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI) d'Ile-de-France afin d'obtenir la réparation des préjudices subis. Par un avis du 16 décembre 2010, celle-ci a considéré que la responsabilité du CHI de Créteil était engagée. Le 21 avril 2011, la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), assureur du CHI de Créteil, a refusé d'indemniser M.B..., qui a, alors, sollicité la substitution de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) conformément aux dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique. Après avoir indemnisé M. B...en lui versant une somme de 38 969,50 euros, l'ONIAM a saisi le Tribunal administratif de Melun, dans le cadre de son action subrogatoire, d'une demande tendant, d'une part, à la condamnation solidaire du CHI de Créteil et la SHAM à lui verser une somme de 38 969,50 euros en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, d'autre part, à la majoration de cette somme de la pénalité de 15 % prévue par les dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique et de l'assortir des intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2012, date de sa demande préalable, ainsi que de leur capitalisation et, enfin, à ce que soit mise à la charge solidaire du CHI de Créteil et de la SHAM la somme de 700 euros au titre des frais d'expertise. L'ONIAM relève appel du jugement du 23 mai 2014 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Sur l'exception d'incompétence de la juridiction administrative soulevée par le CHI de Créteil et la SHAM :
2. D'une part, en application des dispositions combinées de l'article 1er du décret du 27 février 1998 susvisé modifiant le code des marchés publics, dont les dispositions figurent désormais sur ce point à l'article 29 de ce code, et de l'article 2 de la loi du 11 décembre 2001, également, susvisée, qui dispose que " Les marchés passés en application du code des marchés publics ont le caractère de contrats administratifs ", un contrat d'assurance passé par une des personnes morales de droit public soumises aux dispositions du code des marchés publics en application de son article 2, notamment, par un centre hospitalier, présente le caractère d'un contrat administratif. D'autre part, si l'action directe ouverte par l'article L. 124-3 du code des assurances à la victime d'un dommage, ou à l'assureur de celle-ci subrogé dans ses droits, contre l'assureur de l'auteur responsable du sinistre, tend à la réparation du préjudice subi par la victime, elle poursuit l'exécution de l'obligation de réparer qui pèse sur l'assureur en vertu du contrat d'assurance. Elle relève par suite de la compétence de la juridiction administrative dès lors que le contrat d'assurance présente le caractère d'un contrat administratif et que le litige n'a pas été porté devant une juridiction judiciaire avant la date d'entrée en vigueur de la loi du 11 décembre 2001. Dans ces conditions, compte tenu du caractère administratif du contrat d'assurance conclu entre le CHI de Créteil et la SHAM, et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que le juge judiciaire aurait été saisi de ce litige avant la date d'entrée en vigueur de la loi susvisée du 11 décembre 2001, les conclusions de la requête de l'ONIAM dirigées contre la SHAM relèvent, contrairement à ce que soutiennent le CHI de Créteil et la SHAM, de la compétence de la juridiction administrative. Il y a lieu, par voie de conséquence, d'écarter l'exception d'incompétence de la juridiction administrative ainsi opposée par le CHI de Créteil et la SHAM.
Sur les droits de l'ONIAM :
3. Aux termes de l'article L. 1142-14 du code de la santé publique : " Lorsque la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales estime qu'un dommage relevant du premier alinéa de l'article L. 1142-8 engage la responsabilité d'un établissement de santé, [...], l'assureur qui garantit la responsabilité civile ou administrative de la personne considérée comme responsable par la commission adresse à la victime [...], une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis [...] ". Aux termes de l'article L. 1142-15 du même code : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, [...], l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur. / Dans ce cas, les dispositions de l'article L. 1142-14, relatives notamment à l'offre d'indemnisation et au paiement des indemnités, s'appliquent à l'office, [...]. / L'acceptation de l'offre de l'office vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil. La transaction est portée à la connaissance du responsable et, le cas échéant, de son assureur. / L'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur [...]. Il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise. / En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, [...], le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue. / Lorsque l'office transige avec la victime, ou ses ayants droit, en application du présent article, cette transaction est opposable à l'assureur [...] ou au responsable des dommages sauf le droit pour ceux-ci de contester devant le juge le principe de la responsabilité ou le montant des sommes réclamées. Quelle que soit la décision du juge, le montant des indemnités allouées à la victime lui reste acquis ".
4. En application de ces dispositions, il incombe au juge, saisi d'une action de l'ONIAM subrogé, à l'issue d'une transaction, dans les droits d'une victime à concurrence des sommes qu'il lui a versées, de déterminer si la responsabilité du professionnel ou de l'établissement de santé est engagée.
5. L'ONIAM soutient que le choix d'une intervention chirurgicale revêt un caractère fautif dès lors qu'il ne s'imposait pas compte tenu de l'absence de signes fonctionnels présentés par M. B... et de ce que l'acuité visuelle de son oeil gauche était supérieure au seuil d'indication chirurgicale de 5/10ème rappelé par l'expert dans son rapport devant la CRCI. Si le CHI de Créteil et la SHAM font valoir que le taux d'acuité visuelle ne constitue pas le seul critère d'indication chirurgicale pour une opération de la cataracte, ils n'établissent pas que M. B...présentait des symptômes rendant cette opération nécessaire à la date à laquelle elle lui a été proposée.
6. Toutefois, il ressort également du rapport d'expert que l'acuité visuelle de M. B...s'était rapidement dégradée, passant d'une valeur de 9/10ème à une valeur de 6/10ème faible en à peine trois ans, et allait encore connaître une diminution spontanée, jusqu'à se réduire à une simple " perception lumineuse localisée et un champ visuel correct ". Dès lors, l'indication chirurgicale, qui constituait selon l'expert " le seul traitement de la cataracte ", allait bientôt s'imposer. En outre, cette intervention, très fréquente et réalisée en ambulatoire sous anesthésie locale, n'était pas contre-indiquée à la date à laquelle elle a été proposée et a été acceptée par le patient qui disposait de toutes les informations nécessaires ainsi que d'un délai de réflexion de trois mois entre la consultation et l'opération. Par ailleurs, la rupture capsulaire est une " complication toujours possible de l'intervention de cataracte " et fait partie de " l'aléa de cette chirurgie ". Cet accident médical non fautif pouvait, donc, survenir au cours de l'intervention de la cataracte, indépendamment de la date choisie pour cette intervention et du stade de développement de la cataracte à cette date. Dans ces conditions, le choix thérapeutique des médecins de proposer une intervention chirurgicale de manière anticipée n'a pas augmenté les risques de rupture capsulaire au cours de l'intervention chirurgicale et n'a donc pas contribué à la réalisation du dommage. Par suite, l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que la décision d'opérer M. B...était constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité du CHI de Créteil. Dans ces conditions, les conclusions tendant à la condamnation solidaire de l'hôpital et de son assureur au versement de la somme de 38 969,50 euros augmentée de l'indemnité prévue par les dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique doivent être rejetées.
7. Il résulte de tout ce qui précède que l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin de condamnation du CHI de Créteil et de la SHAM à lui verser les sommes susvisées et la somme de 700 euros au titre des frais d'expertise doivent être rejetées, tout comme, et en tout état de cause, celles tendant à ce que l'arrêt soit déclaré opposable à MFP Services et MCD Mutuelle ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'ONIAM est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, au Centre hospitalier intercommunal de Créteil et à la Société hospitalière d'assurances mutuelles.
Copie en sera adressée à la mutuelle MFP Services et à la mutuelle MCD.
Délibéré après l'audience du 15 février 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme Bonneau-Mathelot, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 mars 2016.
Le rapporteur,
S. BONNEAU-MATHELOTLe président,
J. LAPOUZADE
Le greffier,
A. CLEMENTLa République mande et ordonne à la ministre des affaires sociales et de la santé en ce qui les concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
''
''
''
''
3
N° 14PA03288