Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 décembre 2018 et le 5 mars 2019, le SIAEAG, représenté par Me D...et MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du 20 novembre 2018 du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe ;
2°) de condamner la communauté d'agglomération Grand Sud Caraïbe à lui verser une somme de 3 734 219,04 euros à titre de provision ;
3°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Grand Sud Caraïbe la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa demande est recevable dès lors que les procédures d'exécution forcée ne sont pas applicables à l'encontre d'une personne publique ;
- il n'a jamais signé de convention avec la communauté d'agglomération, du fait du refus de celle-ci, depuis l'intégration des communes Capesterre-Belle-Eau, Terre-de-Haut et Terre-de-Bas, de régulariser par convention la poursuite de la fourniture d'eau aux habitants de ces communes ; il est néanmoins constant qu'il continue depuis le 1er février 2014 à fournir de l'eau aux habitants de ces communes ; la réalité de la fourniture d'eau est caractérisée par la constitution d'une provision correspondant aux dépenses relatives à cette fourniture, par la communauté d'agglomération, conformément à l'avis de la chambre régionale des comptes du 19 mars 2015 ; la communauté d'agglomération ne conteste pas la réalité de la fourniture d'eau mais conteste seulement le montant des factures ; si la fourniture d'eau avait été interrompue, les médias s'en seraient fait l'écho ; l'étude réalisée par Suez et Safège montre que les compteurs mentionnés dans les constats d'huissier et dans les factures du SIAEAG concernent uniquement la commune de Caspeterre-Belle-Eau ; en ce qui concerne les communes de Terre-de-Haut et Terre-de-Bas, elles sont alimentées en eau par une canalisation sous-marine qui part de Basse-Terre et l'alimentation provient d'un feeder dont le point de départ est situé à l'unité de production d'eau potable du SIAEAG de Belle Eau Cadeaux ; le compteur situé à la plage de Grande Anse à Trois Rivières comptabilise la fourniture d'eau aux communes de Terre-de-Haut et Terre-de-Bas, ce que confirme le rapport annuel du SIAEAG de l'année 2013 ; le plan de récolement de la société Sogea précise bien que la canalisation passe par la plage de la Grande Anse ; il justifie ainsi avoir fourni de l'eau à ces trois communes et avoir engagé des dépenses utiles pour la communauté d'agglomération ;
- les compteurs et les factures démontrent que le volume d'eau fourni pour la période d'octobre 2016 à mars 2018 est de 9 099 951 m3 ; s'agissant des charges de production et de fourniture de l'eau, il convient de retenir 0,35 euros par m3 ; le prix de l'eau arrêté par référence à l'avenant au contrat d'affermage entre le SIAEAG et la société générale des eaux revêt un caractère de certitude suffisant ; ce prix est conforme aux principes de l'enrichissement sans cause dès lors qu'il ne comprend pas la rémunération du SIAEAG mais uniquement le paiement de la société générale des eaux ; au titre de la redevance de préservation des ressources en eau, il sollicite une provision de 436 956,08 euros correspondant aux taux applicables au cours des années en litige ; s'agissant de l'octroi de mer, il sollicite une provision de 36 219,39 euros correspondant à l'application d'un taux de 1 % ; il peut enfin prétendre à 76 060,70 euros au titre de la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 2,1 % ;
- la communauté d'agglomération n'apporte aucun élément de nature à établir que les volumes livrés auraient été volontairement augmentés ; il convient de distinguer le volume comptabilisé par les compteurs du syndicat, correspondant à l'eau du réseau partant des usines de production jusqu'aux compteurs de vente en gros et le volume réellement distribué aux usagers, comptabilisé par les compteurs de vente de la communauté d'agglomération ; les pertes sur le réseau de distribution aux usagers impliquent que le SIAEAG alimente ce réseau de quantités suffisantes pour répondre aux besoins des usagers ce qui explique la différence entre les volumes effectivement distribués et ceux comptabilisés par les compteurs de vente en gros ; depuis le 1er janvier 2014, les pertes sont de la seule responsabilité de la communauté d'agglomération qui a refusé la signature d'une convention de gestion provisoire pour assurer la partie distribution de l'eau aux usagers ;
- la communauté d'agglomération ne peut comparer le tarif demandé avec un tarif de l'eau brute non potable ;
- la prétendue défectuosité des compteurs du SIAEAG n'est pas établie ; la communauté d'agglomération ne propose aucun autre relevé de compteur ; de plus, l'usure d'un compteur conduit en général à une minoration des volumes ;
- les fautes invoquées ne peuvent avoir aucune incidence dès lors qu'il s'agit uniquement de savoir si les volumes d'eau ont bien été livrés et si le prix demandé peut être retenu ;
- en tout état de cause, le SIAEAG n'a jamais essayé de bloquer le processus de répartition des équipements de distribution d'eau, au contraire ; la communauté d'agglomération n'apporte aucun élément permettant de penser que le défaut d'entretien du réseau de distribution serait imputable au syndicat.
Par un mémoire enregistré le 15 janvier 2019, la communauté d'agglomération Grand Sud Caraïbe, représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête ou, subsidiairement, à ce que la provision allouée soit réduite à hauteur de 75 % en raison du caractère contestable de la créance et à hauteur de 50 % en raison des fautes commises par l'appelant, et à la condamnation du SIAEAG à lui verser une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'action du SIAEAG est irrecevable ; s'agissant d'une personne morale de droit public et la créance invoquée ne résultant pas de l'exécution d'un contrat, il devait émettre un titre exécutoire pour le recouvrement des sommes qu'il estime lui être dues ;
- elle se devait d'anticiper une possible décision défavorable quant aux sommes demandées par le SIAEAG ; le provisionnement de ces sommes ne traduit pas la reconnaissance du bien-fondé de la créance invoquée ni l'existence de la dette ;
- elle conteste les montants réclamés dès lors que depuis la sortie des trois communes du syndicat, les volumes fournis seraient d'environ 1,5 million de m3 par trimestre alors qu'au cours des six années antérieures, ce volume n'avait été atteint qu'une fois et pour une année entière ; dès le premier trimestre 2014, les quantités invoquées atteignent 1,16 million de m3 soit presqu'autant que pour toute l'année 2013 ; aucun élément rationnel ne peut expliquer une telle augmentation, la population ayant légèrement baissé entre 2010 et 2015 ; le SIAEAG a pu envisager, afin de faire face à des difficultés financières, de livrer des quantités supérieures aux besoins réels ou les compteurs utilisés par le SIAEAG sont peut-être défectueux ; il convient donc de réduire la somme qui sera éventuellement allouée à 25 % de la somme demandée ;
- le tarif dont fait état le SIAEAG est excessif ;
- à supposer que la somme demandée soit considérée comme non sérieusement contestable, elle doit être réduite car l'augmentation des volumes livrés vise le profit personnel du SIAEAG, qui ne peut donner lieu à indemnisation sur le fondement de l'article 1303-2 du code civil concernant l'enrichissement sans cause ;
- le SIAEAG a contribué par plusieurs fautes à créer la situation d'enrichissement sans cause dont il se prévaut ; il est responsable, du fait de ses graves problèmes de gestion, du retard dans la répartition des biens avec la commune de Capesterre-Belle-Eau ; il est également responsable du mauvais entretien du réseau, ayant augmenté les quantités livrées ; il doit être tenu compte de ces fautes en appliquant une réduction d'au moins 50 %.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Le président de la cour a désigné Mme E...A...comme juge des référés en application du livre V du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté préfectoral du 2 mai 2013, les communes de Capesterre-Belle-Eau, Terre-de-Bas et Terre-de-Haut, qui étaient auparavant membres du syndicat intercommunal d'alimentation en eau potable et d'assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG), ont été intégrées à compter du 1er janvier 2014 à une autre intercommunalité, devenue communauté d'agglomération Grand Sud Caraïbe, qui exerçait les compétences de distribution d'eau potable et d'assainissement. Cette adhésion a entraîné le retrait de ces communes du SIAEAG. Toutefois, un désaccord entre les personnes publiques concernées a retardé la répartition des équipements prévue à l'article L. 5211-25-1 du code général des collectivités territoriales qui n'est intervenue que par arrêté préfectoral du 22 août 2018 et a empêché la passation d'un contrat pour la fourniture en gros de l'eau destinée à alimenter les habitants des trois communes concernées. Durant cette période, le SIAEAG a poursuivi les livraisons de l'eau destinée à l'alimentation de ces trois communes et a facturé ces livraisons à la communauté d'agglomération Grand Sud Caraïbe qui a refusé le paiement des sommes réclamées. Le SIAEAG, qui a obtenu la condamnation de la communauté d'agglomération à lui verser une provision pour les périodes du 1er janvier 2014 au troisième trimestre 2016 par deux ordonnances du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe des 1er février 2016 et 19 avril 2017 dont la première a été partiellement confirmée par ordonnance du juge des référés de la cour du 22 mai 2016, a saisi le juge des référés du tribunal d'une nouvelle action en référé provision pour la période du quatrième trimestre 2016 au premier trimestre 2018. Il fait appel de l'ordonnance du 20 novembre 2018 par laquelle le juge des référés du tribunal a rejeté sa demande.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. En application du principe selon lequel une collectivité publique est irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu'elle a le pouvoir de prendre, les collectivités territoriales, qui peuvent émettre des titres exécutoires à l'encontre de leurs débiteurs, ne peuvent saisir directement ce juge d'une demande tendant au recouvrement de leurs créances. Toutefois, en raison tant de l'absence de voies d'exécution à l'encontre des personnes publiques que, s'agissant des collectivités territoriales, des limitations apportées par l'article L. 1612-15 du code général des collectivités territoriales à l'inscription d'office à leur budget des dépenses obligatoires, il en va différemment dans l'hypothèse où le débiteur est une personne publique. Dans ce cas, faute de pouvoir contraindre la collectivité débitrice, la collectivité créancière n'est pas tenue de faire précéder sa demande par l'émission d'un titre de recettes rendu exécutoire. Ainsi, l'absence d'émission d'un titre exécutoire par le SIAEAG à l'encontre de la communauté d'agglomération Grand Sud Caraïbe ne rend pas irrecevables les conclusions du SIAEAG tendant à l'allocation d'une provision à valoir sur la créance qu'il estime détenir contre la communauté d'agglomération.
Sur le fond du litige :
3. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ".
4. Il résulte des dispositions précitées de l'article R. 541-1 du code de justice administrative que pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui paraît revêtir un caractère de certitude suffisant.
5. En cas de nullité d'un contrat ou en l'absence de contrat, un fournisseur peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé. Les fautes éventuellement commises par l'intéressé sont sans incidence sur son droit à indemnisation au titre de l'enrichissement sans cause de la collectivité, sauf si elles ont été de nature à vicier le consentement de l'administration, ce qui fait obstacle à l'exercice d'une telle action.
6. Il est en l'espèce constant que le SIAEAG et la communauté d'agglomération Grand Sud Caraïbe n'ont conclu aucun contrat fixant les conditions de la fourniture d'eau en gros aux communes de Capesterre-Belle-Eau, Terre-de-Haut et Terre-de-Bas à partir du 1er janvier 2014 et que le SIAEAG a néanmoins assuré la continuité de la fourniture en eau des trois communes depuis leur retrait du syndicat. Ainsi, et sans que la communauté d'agglomération puisse utilement se prévaloir de fautes du SIAEAG, ce syndicat peut prétendre, sur le fondement quasi-contractuel de l'enrichissement sans cause, au remboursement de ses livraisons qui ont été utiles à la population résidant dans les communes de Capesterre-Belle-Eau, Terre-de-Bas et Terre-de-Haut pour lesquelles la communauté d'agglomération exerce la compétence relative à l'approvisionnement en eau.
7. Il résulte de l'instruction et notamment des pièces produites par le SIAEAG en appel que les factures jointes au dossier sont issues du relevé des compteurs concernant, d'une part, les livraisons d'eau à la commune de Capesterre-Belle-Eau et, d'autre part, les livraisons d'eau aux communes de Terre-de-Bas et Terre-de-Haut, ces communes étant desservies par une canalisation sous-marine et les livraisons correspondantes étant comptabilisées par un compteur situé plage de Grande Anse à Trois Rivières. Ainsi, et en l'absence de tout élément permettant d'estimer que les compteurs seraient défectueux, il n'est pas sérieusement contestable que les livraisons d'eau aux trois communes concernées pour la période du quatrième trimestre 2016 au premier trimestre 2018 représentent un volume total de 9 099 951 m3, sans que la communauté d'agglomération puisse sur ce point se prévaloir de la comparaison entre ce volume qu'elle estime excessif et celui qui correspond à l'eau réellement distribuée aux consommateurs, très inférieur à celui des livraisons en gros, du fait d'un rendement médiocre du réseau de distribution aux usagers, dont l'entretien n'incombe plus au SIAEAG.
8. Par ailleurs, en l'absence d'éléments sur le prix exact de l'eau ainsi fournie, il peut être considéré comme suffisamment certain que les dépenses utiles exposées par le SIAEAG s'établissent au minimum à 0,35 euros par m3, montant légèrement inférieur au tarif minimum établi pour la vente d'eau en gros par l'article 4 de l'avenant au contrat d'affermage conclu par le SIAEAG le 5 février 2003 avec son fermier. Il ne peut être retenu un tarif correspondant à la fourniture d'eau non potable. Ainsi, compte tenu d'un volume d'eau livré de 9 099 951 m3, le montant des dépenses du SIAEAG utiles à la communauté d'agglomération au titre de la production et de livraison d'eau s'élève à un montant non sérieusement contestable de 3 184 982,85 euros.
9. Enfin, il n'est pas contesté que le SIAEAG est redevable de taxes et redevances collectées auprès des personnes bénéficiaires des livraisons d'eau en gros consistant, d'une part, dans la redevance pour la préservation des ressources en eau, de 0,046 euros par m3 en 2016, 0,048 euros par m3 en 2017 et 0,05 euros par m3 en 2018, soit un total de 436 956,08 euros pour la période en litige, d'autre part, dans l'octroi de mer au taux de 1 %, pour un montant de 36 219,39 euros pour la période en litige et, de troisième part, dans la taxe sur la valeur ajoutée, au taux de 2,1 %, pour un montant de 76 060,70 euros pour la période considérée.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le SIAEAG est fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal a rejeté sa demande et à demander la condamnation de la communauté d'agglomération Grand Sud Caraïbe à lui verser une provision de 3 734 219,02 euros.
11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Grand Sud Caraïbe le versement au SIAEAG d'une somme de 1 500 euros au titre des frais d'instance exposés et non compris dans les dépens. En revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du SIAEAG, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à la communauté d'agglomération intimée de la somme que celle-ci demande à ce titre.
ORDONNE :
Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe du 20 novembre 2018 est annulée.
Article 2 : La communauté d'agglomération Grand Sud Caraïbe est condamnée à verser au syndicat intercommunal d'alimentation en eau et d'assainissement de la Guadeloupe une provision de 3 734 219,02 euros à valoir sur la créance correspondant à des livraisons en gros d'eau potable pour la période du quatrième trimestre 2016 au premier trimestre 2018.
Article 3 : La communauté d'agglomération Grand Sud Caraïbe versera au syndicat intercommunal d'alimentation en eau et d'assainissement de la Guadeloupe la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la communauté d'agglomération Grand Sud Caraïbe tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée au syndicat intercommunal d'alimentation en eau et d'assainissement de la Guadeloupe et à la communauté d'agglomération Grand Sud Caraïbe. Une copie en sera adressée au préfet de la Guadeloupe et au ministre des outre-mer.
Fait à Bordeaux, le 13 mai 2019.
Le juge des référés,
Elisabeth A...
La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
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No 18BX04171