Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 décembre 2020, le préfet de la Gironde demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 4 novembre 2020 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme J... devant le tribunal administratif de Bordeaux ;
3°) de mettre à la charge de Mme J... le paiement de la somme de 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'il n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, alors que la jeune G... peut effectivement bénéficier en Algérie d'un traitement approprié à son état de santé et que les enfants de Mme J..., que son arrêté n'a pas vocation à séparer de leur mère, pourront y poursuivre leur scolarité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 janvier 2021, Mme E... épouse J..., représentée par Me I..., conclut au rejet de la requête du préfet, à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer un titre de séjour, à défaut de réexaminer sa situation et de lui délivrer un récépissé de demande l'autorisant à travailler, dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous une astreinte de 80 euros par jour de retard, passé ce délai et, en outre de mettre à la charge de l'État le paiement de la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que les moyens soulevés par le préfet ne sont pas fondés.
Mme J... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 février 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020, et notamment son article 5 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... épouse J..., ressortissante algérienne née le 1er janvier 1976, est entrée en France le 1er juin 2012, accompagnée de son époux et de leur fille G.... Elle a bénéficié d'autorisations provisoires de séjour en qualité d'accompagnant d'enfant malade. Le 19 juin 2017, elle a sollicité le renouvellement de son autorisation provisoire de séjour et la délivrance d'un certificat de résidence algérien en qualité de salarié, sur le fondement de l'article 7 b) de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Par un arrêté du 31 octobre 2018, le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours. Par un jugement du 7 mars 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cet arrêté et enjoint au réexamen de la situation de Mme J.... Par un arrêté du 7 mai 2020, le préfet de la Gironde a de nouveau refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle serait reconduite à l'issue de ce délai. Ce dernier relève appel du jugement du 4 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cet arrêté, lui a enjoint de délivrer à Mme J... un certificat de résidence algérien et a mis à la charge de l'État la somme de 1 000 euros à verser à Me I....
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Bordeaux :
2. Aux termes de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
3. Il ressort des pièces du dossier, notamment de l'avis rendu le 30 juin 2019 par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, que la jeune G... J..., née le 5 novembre 2010, peut effectivement bénéficier d'une prise en charge appropriée à sa pathologie en Algérie. Par ailleurs, ni la décision de refus de délivrance d'un certificat de résidence algérien, ni la décision d'éloignement en litige n'a pour objet ou pour effet de séparer Mme J... de ses jeunes enfants et rien n'empêche ces derniers, âgés respectivement de neuf, sept et quatre ans, de poursuivre dans leur pays d'origine leur scolarité entamée en France. Ainsi, alors que rien ne fait obstacle à ce que la vie familiale de Mme J... avec ses enfants se poursuive ailleurs qu'en France, notamment en Algérie, c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur le motif tiré de la méconnaissance des stipulations citées au point ci-dessus pour annuler l'arrêté du 7 mai 2020.
4. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme J... devant le tribunal administratif de Bordeaux.
Sur les autres moyens invoqués par Mme J... :
En ce qui concerne l'arrêté pris dans son ensemble :
5. Par un arrêté du 12 novembre 2019, régulièrement publié, le préfet de la Gironde a donné délégation à M. Suquet, secrétaire général de la préfecture, à l'effet de signer notamment les décisions prévues aux articles L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision litigieuse doit être écarté.
6. L'arrêté litigieux vise les conventions internationales et les dispositions légales dont il est fait application, comporte des éléments de faits relatifs à la situation de Mme J... et expose avec précision les raisons pour lesquelles le préfet a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français. Ces indications étaient suffisantes pour permettre à l'intéressée de comprendre et de contester les mesures prises à son encontre. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté du 7 mai 2020 doit être écarté. Il ne ressort pas davantage des termes mêmes de l'arrêté en litige que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de Mme J....
En ce qui concerne le refus de séjour :
7. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. Il ressort des pièces du dossier que Mme J... est entrée en France à l'âge de 36 ans. Les autorisations provisoires de séjour successives dont elle a bénéficié en qualité d'accompagnante de sa fille malade ne lui donnaient pas vocation à rester durablement en France. Par ailleurs, alors que les certificats médicaux qu'elle produit ne sont pas de nature à infirmer l'avis rendu par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration quant à l'accès effectif à des soins appropriés à l'état de santé de sa fille en Algérie et alors même que Mme J... déclare être séparée de son conjoint depuis 2014, rien ne fait obstacle à ce que sa vie familiale se poursuive ailleurs qu'en France, notamment en Algérie où, ainsi qu'il a déjà été dit, ses enfants pourront poursuivre leur scolarité. Enfin, l'intéressée ne justifie pas d'une insertion particulière dans la société française alors même qu'elle a exercé de septembre à novembre 2018 un travail à temps incomplet à raison de 18 à 27 heures mensuelles. Dans ces conditions, le préfet n'a pas, en refusant de lui délivrer un certificat de résidence algérien, porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus et n'a ainsi pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le préfet n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de Mme J....
9. Mme J... ne peut utilement se prévaloir des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que sa situation est entièrement régie par les stipulations de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968.
10. Si le préfet, dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire d'appréciation, peut délivrer à un ressortissant algérien un certificat de résidence afin de permettre l'accompagnement de son enfant malade, il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment de l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, que le préfet aurait, en refusant de délivrer à l'intéressée une telle autorisation, entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation, alors même que Mme J... en avait initialement bénéficié.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
11. Pour les mêmes motifs que ceux qui ont été développés aux points 3 et 10 ci-dessus, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
12. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du dernier alinéa l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : 1° À destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".
13. Les pièces produites au dossier par Mme J... ne permettent pas de caractériser l'existence de risques personnels et actuels qu'elle encourrait en cas de retour dans son pays d'origine. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations et dispositions précitées doit, par suite, être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Gironde est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé son arrêté du 7 mai 2020, lui a enjoint de délivrer à Mme J... un certificat de résidence algérien et a mis à la charge de l'État la somme de 1 000 euros à verser à Me I... en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Les conclusions aux fins d'injonction présentées par voie d'appel incident par l'intimée doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas partie perdante à l'instance, le paiement de la somme que demande Mme J... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
16. Si une personne publique qui n'a pas eu recours au ministère d'avocat peut néanmoins demander au juge le bénéfice de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais spécifiques exposés par elle à l'occasion de l'instance, elle ne saurait se borner à faire état d'un surcroît de travail de ses services et doit faire état précisément des frais qu'elle aurait exposés pour défendre à l'instance. En l'espèce, l'État, qui n'est pas représenté par un avocat, ne justifie pas des frais non compris dans les dépens qu'il aurait exposés. Les conclusions du préfet présentées au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative ne peuvent donc qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 4 novembre 2020 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme J... devant le tribunal administratif de Bordeaux est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme K... E... épouse J... et à Me I....
Copie en sera transmise, pour information, au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 4 février 2021 à laquelle siégeaient :
Mme F... A..., présidente,
M. C... B..., président-assesseur,
Mme H... D..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 mars 2021.
La présidente,
Marianne A...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX03947