Par une requête enregistrée le 12 mai 2021, Mme A..., représentée par Me Mercier, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 23 mars 2021 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 15 mars 2021 du préfet de la Haute-Garonne ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans le délai de 24 heures suivant notification du jugement sous astreinte de 100 euros par jour de retard ; à défaut de procéder au réexamen de sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre des articles
L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la décision de transfert :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- elle a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière en raison de la méconnaissance de l'article 4 du règlement 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions des articles 3.2, 17.1 et 17.2 de ce règlement en raison des conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie et des risques qu'elle encourt en raison de sa vulnérabilité ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en raison des risques encourus en cas de retour en Italie ;
En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est dépourvue de base légale du fait de l'illégalité de la décision de transfert ;
- elle a été prise en méconnaissance de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en l'absence de perspective raisonnable d'exécution.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 décembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État-membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États-membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Christelle Brouard-Lucas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante nigériane née en 1993, est entrée en France en décembre 2020 et a présenté une demande d'asile le 14 janvier 2021. Le relevé de ses empreintes ayant révélé qu'elle avait introduit une demande similaire en Italie le 12 novembre 2016, le préfet de la Haute-Garonne, par deux arrêtés du 15 mars 2021, d'une part, a décidé le transfert de Mme A... aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et, d'autre part, l'a assignée à résidence dans le département de la Haute-Garonne. Mme A... relève appel du jugement du 23 mars 2021, par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés. Mme A... a été déclarée en fuite le 25 mars 2021.
Sur la légalité de l'arrêté portant transfert aux autorités italiennes :
2. En premier lieu, il ressort de l'examen de l'arrêté contesté portant transfert qu'il vise les textes applicables, fait mention des demandes d'asile déposées en Italie en 2016 et en Allemagne en 2019 ainsi que de l'accord des autorités italiennes. Il reprend les observations de Mme A... et précise qu'il ne ressort pas de son dossier qu'elle souffrirait de pathologies d'une particulière gravité et qu'elle n'atteste pas que sa protection ne serait pas assurée en Italie, avant d'écarter l'application des articles 3.2-17.1 et 17.2 du règlement (UE) n° 604/2013. Cet arrêté indique ainsi suffisamment les considérations de fait sur lesquelles il se fonde pour décider le transfert de l'intéressée aux autorités italienne, le visa de la délégation de signature ne faisant pas partie des mentions obligatoires à ce titre. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cet arrêté doit être écarté.
3. En deuxième lieu, il ressort des termes mêmes de la motivation de l'arrêté contesté, telle qu'elle vient d'être exposée au point précédent, que le préfet a procédé à un examen particulier de la situation personnelle de Mme A... et qu'il a examiné, en tenant compte des observations formulées par l'intéressée, la possibilité de mettre en œuvre la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 avant d'ordonner son transfert aux autorités italiennes. Dès lors, le moyen tiré de ce que la décision en litige serait entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle doit être écarté.
4. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme A... s'est vu remettre, le 14 janvier 2021, le jour même de l'enregistrement de sa demande d'asile en préfecture, et à l'occasion de l'entretien individuel, les brochures A et B contenant les informations pour les demandeurs d'une protection internationale dans le cadre d'une procédure Dublin ainsi que le guide du demandeur d'asile en France. Ces brochures lui ont été remises en langue française. Si elle a indiqué, lors de l'entretien individuel qui a eu lieu le 14 janvier 2021, parler uniquement l'anglais, elle a également indiqué ne pas savoir le lire et il ressort du compte-rendu de cet entretien que la version française des guides lui a été traduite en anglais par l'interprète sur lecture de l'agent. Mme A... a signé ce compte-rendu en indiquant qu'elle n'avait rien à ajouter. Dans ces conditions, l'ensemble des informations sur les droits et obligations des demandeurs d'asile a été porté à la connaissance de Mme A... dans une langue qu'elle comprend, la circonstance que le compte-rendu de l'entretien ne comporte pas de précision sur la durée de cet entretien n'étant pas de nature à permettre de considérer que la lecture complète des brochures n'aurait pas été faite à Mme A.... Par suite, le moyen tiré du vice de procédure dont serait entaché l'arrêté contesté en raison de la méconnaissance de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
5. En quatrième lieu, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les États membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un État autre que la France, que cet État a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet État membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet État membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet État de ses obligations.
6. En l'espèce, si Mme A... invoque les difficultés rencontrées par l'Italie pour accueillir les demandeurs d'asile, les divers rapports d'organisations non gouvernementales qu'elle produit ne permettent pas, compte tenu de leur caractère général et des dates auxquelles ils ont été publiés, de considérer que les autorités italiennes ne seraient pas en mesure de traiter sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile ni davantage que son transfert en Italie comporterait un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. De même si elle soutient qu'elle a été victime de la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle lors de son séjour en Italie et qu'elle risque de se trouver de nouveau aux prises avec ce réseau de prostitution, elle n'apporte aucun élément de nature à établir la réalité de ces affirmations. Par suite, en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe en Italie des défaillances systémiques dans le traitement des demandeurs d'asile, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse serait entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions des articles 3.2 et de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doivent être écartés.
7. Enfin, pour les motifs exposés au point précédent, le moyen tiré de ce que cette décision serait contraire à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté, les seules affirmations de Mme A... sur le risque d'être victime d'un réseau de prostitution n'étant étayées par aucun élément du dossier.
Sur la légalité de l'arrêté portant assignation à résidence :
8. D'une part, compte tenu de ce qui a été dit aux points précédents, le moyen tiré de ce que la décision portant assignation à résidence serait dépourvue de base légale compte tenu de l'illégalité de la décision portant transfert doit être écarté.
9. D'autre part, l'arrêté attaqué vise les textes dont il est fait application, mentionne les faits relatifs à la situation personnelle et administrative de Mme A... et indique avec précision les raisons pour lesquelles le préfet de la Haute-Garonne a décidé de l'assigner à résidence. En particulier cet arrêté précise, notamment, que l'exécution de la décision de remise aux autorités italiennes demeurait une perspective raisonnable " eu égard à l'accord de transfert des autorités italiennes en date du 29 janvier 2021, valable six mois ". Ces indications, qui, contrairement à ce que soutient Mme A..., expliquent la raison pour laquelle la décision de transfert demeurait une perspective raisonnable et qui lui ont permis de comprendre et de contester la mesure prise à son encontre, étaient suffisantes. Par suite, le moyen tiré de la motivation insuffisante de l'arrêté contesté doit être écarté.
10. Enfin, au soutien du moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, Mme A... ne se prévaut d'aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l'argumentation développée en première instance et ne critique pas utilement la réponse qui lui a été apportée par le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif. Il y a donc lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs pertinents retenus par le premier juge.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du préfet de la Haute-Garonne du 15 mars 2021. Par suite, ses conclusions tendant à l'annulation de ce jugement doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 17 février 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Brigitte Phémolant, présidente,
Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,
Mme Christelle Brouard-Lucas, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 mars 2022.
La rapporteure,
Christelle Brouard-LucasLa présidente,
Brigitte Phémolant
La greffière,
Sophie LecarpentierLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 21BX01991 2